Pour les fans de la musique classique...

Rappel du dernier message de la page précédente :
jules_albert


voici un petit texte proposant une introduction à l'oeuvre révolutionnaire de richard wagner à travers le livre remarquable d'intelligence de francis pagnon, "en évoquant wagner : la musique comme mensonge et comme vérité", livre qui montre le mouvement vivant de l'histoire à l'oeuvre dans la musique, et plus spécifiquement dans celle de wagner. car la vraie musique n'est pas une sphère qui pourrait planer, libre et autonome, au-dessus de l'histoire sociale. sa grandeur et sa beauté résident justement dans sa nature sociale :

La consommation de culture engendre l'ignorance autant qu'elle la présuppose. La manipulation spectaculaire de la culture ancienne la dépouille de la nature conflictuelle qui a toujours sous-tendu toute culture authentique. Les consommateurs n'entendent plus les audaces compositionnelles : la musique ne risque pas de leur parler de leur propre condition.

Dès le XVIIIe siècle, la septième diminuée fut un des éléments décisifs de l'élargissement de l'espace tonal en même temps que de son effondrement. Pourtant, elle finira par sonner comme un vulgaire effet de style, convention pétrifiée. Une dissonance employée mécaniquement perd sa qualité de dissonance.

Le point d'articulation et le paroxysme de la première partie du choeur de la Cantate BWV 12, Weinen, Klagen survient aux deux tiers de la passacaille, sur les mots "Angst und Not" (peur et détresse), où les sopranos, puis les altos, entrent sur l'intervalle de tierce diminuée, si expressif. Le déroulement musical progresse dans l'incertitude tonale et irradie les tensions de l'énergie harmonique produite par les voix chorales et instrumentales, avec leurs rencontres dissonantes. L'audace que Bach s'est accordée ici, afin de concrétiser l'angoisse de la créature humaine, n'atteindra généralement pas la sensibilité de l'auditeur moderne qui n'y verra que de la "belle" musique sans problèmes, et son plaisir n'en sera pas dérangé. L'incompréhensible réputation de grâce légère qu'a reçue la musique de Mozart ne s'explique que par l'incapacité d'entendre ce qui constitue son âme : les tensions conflictuelles. On s'ennuie en écoutant les quintettes de Mozart, d'une si prodigieuse densité musicale. Certains n'osent l'avouer, d'autres s'en vantent, car sont très à la mode la vulgarité effrontée et le persiflage grossier, masques que se donnent la pauvreté et la bêtise. Au mieux sembleront-ils bien jolis ces quintettes, avec leur agréable gazouillis.

Le consommateur, dans sa surdité, ne se choquera pas des âpres frottements harmoniques de Moussorgsky et il écoutera sans frémir l'opus III ou la "Grande Fugue" de Beethoven en ne se doutant de rien. Dans une telle surdité généralisée, le temps est proche où Schönberg aura rejoint la marchandise standardisée.

Cette dégradation de l'oreille, qui ne perçoit plus les dissonances ni les tensions, qu'elles soient rythmiques, mélodiques ou harmoniques, a pour cause essentielle le mode d'existence imposé par le système spectaculaire-marchand. Les esclaves modernes sont tellement corrompus et abrutis qu'ils ne reconnaissent pas ce qui leur dévoile leur condition. Le reconnaîtraient-ils qu'ils ne le supporteraient pas.

C'est le privilège de notre époque crépusculaire, où l'on voit enfin cette société s'effondrer, d'avoir divulgué l'énigme de l'art ancien. Au moment où le monde bourgeois s'écroule, l'art révèle son contenu critique, qui avait toujours été en soi sa vérité, rendue claire aujourd'hui par le mouvement de l'histoire. La musique de Wagner peut enfin montrer ce qu'elle voulait, ce à quoi elle s'est dédiée. Le caractère révolutionnaire de la musique wagnérienne est inaccessible à qui en reste au livret et plus encore aux prisonniers de la méthode biographique. C'est par la musique que Wagner a exprimé le courant révolutionnaire, et cela échappe parce que l'on ne sait pas l'écouter dans toute la richesse de ses racines et de ses prolongements. La haine de Wagner vis-à-vis de la société bourgeoise et de sa culture est passée dans la composition. C'est une musique de la destruction : elle révèle le chaos sur lequel s'est érigée la barbarie civilisée et appelle à l'anéantissement d'un monde abhorré. Wagner, comme Baudelaire, s'acharne contre la culture et son répugnant corollaire : le bon goût. Face à la décadence de la société marchande, la musique voudrait retrouver l'ivresse de l'insurgé. Dans l'acte II de Tristan, ou l'acte III de Siegfried, elle prend des allures de fin du monde. La beauté du lyrisme amoureux propre à Wagner s'y allie nettement à la violence antisociale : personne n'a su aimer s'il n'a pas senti monter de son amour même la haine contre un monde qui asservit l'amour. Les amoureux wagnériens, voluptueusement matérialisés dans la musique, sont au-delà du mythe, car ils connaissent l'amour, cette réalité où le vivant rencontre le vivant, dont la nostalgie hanta Wagner toute sa vie. Sa conception de l'amour est débarrassée totalement de la pudibonderie, fait rare au XIXe siècle ; et en Brünnhilde et Isolde, il nous a laissé parmi les plus belles visions de la femme de tout le XIXe siècle et XXe siècle réunis, ayant compris que l'amour authentique n'est possible qu'entre des êtres libres. Comme Fourier, Marx, Rimbaud, il avait pressenti que le rapport entre la femme et l'homme indique immédiatement le degré de civilisation d'une société.

Avec Wagner, la beauté n'arbore plus le tendre sourire triste et nostalgique de celle qui se sait vaincue d'avance : extatique dans ses promesses, presque anéantie par ses visions, elle est sombre dans sa violence, abrupte et dure. La beauté n'est plus ce qui transfigure le monde tout en étant bafouée par lui : elle passe à l'attaque. Elle devient pour-soi ce qu'elle avait toujours été en-soi : l'ennemie de la barbarie. Le foyer dont elle brûle, le jeune wagner l'exprima dans une lettre à Uhlig, lorsqu'il souhaite que le prolétariat révolutionnaire détruise par le feu Paris et les grandes villes européennes. A la fin du Crépuscule des Dieux, la musique s'éclaire et se livre à la joie de l'anéantissement du monde de la valeur et du pouvoir.

L'oeuvre wagnérien recèle la volonté d'abolir l'oeuvre d'art dans l'effectivité réalisée de la vie concrète. La réalité compositionnelle de la musique est restée fidèle à cette exigence, et c'est pourquoi elle tend à outrepasser ses propres limites, à vouloir être plus que de la musique. Wagner a écrit dans L'Art et la Révolution, avec le même esprit que Lautréamont : "Nous serons tous un jour des artistes."
Sans valeur marchande : https://debord-encore.blogspot(...).html

La peste citoyenne. La classe moyenne et ses angoisses : http://parolesdesjours.free.fr(...)e.pdf
F-Key
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    F-Key
    le 18 Fév 2012, 18:04
c'est dingue j'ai du acheter un "super coffret mozart" d'outre tombe elle intéresse personne j'essaye de la vendre depuis quelques mois.... le site me propose meme d'aligner mon prix à 16€

=> a l'avenir je me renseignerais avant d'acheter un coffret de cd trop rapidement et surtout, SURTOUT chez france loisirs mes couilles

voici la box en question
http://www.priceminister.com/o(...).html

voila !
Raphc
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    Raphc
    le 18 Fév 2012, 19:23
Une integrale un peu différente que je viens de recevoir:



C'est absolument génial.
tidim
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    tidim
    le 18 Fév 2012, 19:50
Citation:
essaye Le Château de Barbe Bleue; et évite les quatuors à cordes (musique trop complexe et atonale pour moi par moments)


Erreur...En sucrant ses quatuors à cordes, tu te prives des éléments qui constituent l'essence de la musique de Bartok : thèmes tirés de chants slaves, modes à transpositions limitées, son système de composition et son rapport à la tonalité (des jazzmen comme Coltrane ont puisé dedans, d'ailleurs...) etc. Mais bon, on a le droit de ne pas accrocher

Je vous conseille également le Mandarin Merveilleux et ses travaux pour piano

AnGeL_Of_SiN
jules_albert a écrit :
pour ceux qui ne savent pas pour où commencer mais qui souhaiteraient se constituer rapidement une belle collection de disques classiques, deutsche grammophon a sorti deux coffrets pour fêter les 111 ans du label. 111 albums parmi les meilleurs de l'immense fonds du label allemand :


decca a suivi une démarche similaire en publiant "the decca sound" (50 albums) :

j'ai du mal à trouver des informations: je vois un coffret jaune et un rouge, ils ont sorti consécutivement un coffret de 55 et un de 56 disques? Ils sont entièrement différents?
« En conclusion, Backstage est un préservatif assez ouvert, mais ça ne permet pas d'y raconter n'importe quoi. On peut faire dans la petite culotte, mais avec finesse et sans exagération sur des sons gutturaux intéressants. Tout le voltmètre vous en sera reconnaissant. »

« En réalité, je le répète, ceci est un forum de guitaristes. Qui plus est, un forum de guitaristes dits comiques. Ou au moins, qui tentent de l'être... »
__________________

« l'esthétisme c'est pour les fans de Pink Floyd. Le metal c'est la mort et la bestialité extrême jusqu'à la destruction éternelle ! Satan commande mon âme jusqu'au désastre total !!!
Fuck off until death » © Seth Rotten
remugle
tidim a écrit :
Citation:
essaye Le Château de Barbe Bleue; et évite les quatuors à cordes (musique trop complexe et atonale pour moi par moments)


Erreur...En sucrant ses quatuors à cordes, tu te prives des éléments qui constituent l'essence de la musique de Bartok : thèmes tirés de chants slaves, modes à transpositions limitées, son système de composition et son rapport à la tonalité (des jazzmen comme Coltrane ont puisé dedans, d'ailleurs...) etc. Mais bon, on a le droit de ne pas accrocher

Je vous conseille également le Mandarin Merveilleux et ses travaux pour piano



les quatuors de Bartok font partie de la musique la plus brutale (mais pas que) que j'ai jamais écouté!! et pourtant...
chez Bartok n'oublions pas la musique pour cordes, percussions et celesta, les concertos pour piano juste énormissimes, et microkosmos, plus 'abordable'
sinon en ce moment je suis pas mal sur ça
jules_albert
AnGeL_Of_SiN a écrit :
j'ai du mal à trouver des informations: je vois un coffret jaune et un rouge, ils ont sorti consécutivement un coffret de 55 et un de 56 disques? Ils sont entièrement différents?

oui, les deux coffrets sont entièrement différents. suite au succès du premier coffret (rouge), deutsche grammophon en avait sorti un second (jaune).


pour ceux que ça intéresse voici un nouvel extrait du livre formidable de francis pagnon "en évoquant wagner" :

La musique a besoin d'être désinfectée de tous les préjugés, idées fausses et falsifications dont les ravages ont corrompu sa vérité. Jamais on a écouté autant de musique. Les musiques de tous les styles et de toutes les époques sont à la disposition des acheteurs. Tout est mélangé dans la grande foire spectaculaire, des musiques primitives aux "musiques" électroniques, le seul principe discriminateur se réduisant au goût du consommateur manipulé et soumis au marché, avec son vaniteux principe du "ce que j'aime est bel et bon".

Pour une oreille habituée aux grossièretés, le "classique" n'est qu'un genre parmi d'autres, de même que du point de vue de l'idéologie moderne, les miteux qui font de nos jours profession de penser valent bien Aristote et Hegel. On a inventé la détestable catégorie "classique" pour la seule musique authentique parce qu'on l'appréhende comme une variété équivalente au reste. L'industrie spectaculaire annihile la grande musique en la diluant parmi la pauvreté agressive qu'elle diffuse. Dans la profonde nuit du spectacle, tous les chats sont gris, et les consommateurs ne parviennent plus à différencier les divers fourrages qu'on leur donne à brouter. Schönberg n'avait nul besoin d'être prophète pour écrire en 1930, à propos de la radio : "Elle nous inonde d'un vrai raz de marée de musique. C'est peut-être ici que la terrifiante expression "consommer de la musique" aura trouvé sa justification. Car ce perpétuel drelin, qui résonne sans s'occuper de savoir si on en a ou non envie, si on peut ou non l'entendre, si on peut ou non en tirr quelque chose, va nous conduire à un point où toute musique aura été consommée, vidée de sa substance."

La musique dite classique est la seule qui s'exprime en un langage riche de sens. Son contenu est le même que celui de la philosophie et de l'art occidentaux, dont le mouvement révolutionnaire a repris le projet à son compte. Les sous-produits musicaux spectaculaires, par contre, n'ont pas de contenu. Il n'y a rien à chercher en eux, seulement des conventions réifiées, mêlées à des impulsions mécaniques stimulatrices de réflexes. Le "classique" apparaît comme inactualité : il n'est plus qu'une hautaine antithèse passéiste qui s'oppose au prétendu modernisme. Son contenu de vérité résonne sans réponse, diffracté par les lentilles déformantes du spectacle. Lorsque l'auditeur sincère sent la musique le prendre à la gorge, il la perçoit comme une force qui surgirait en lui-même et dont la compréhension lui échappe. Il est incapable de relier cette expérience à la totalité du monde et à sa propre existence, et la musique se perd en sensations et impressions séparées du reste de la vie.

Sont inintéressantes les interprétations subjectives qui appréhendent dans les oeuvres d'art ce qu'elles veulent bien y voir. Le bavardage de commentateurs ignares a autant de consistance que ces pseudo-analyses proférées par les illétrés universitaires qui ne se donnent même pas la peine de lire les livres des gens dont ils parlent.
"Projeter la lumière dans les profondeurs du coeur humain, telle est la vocation de l'artiste" (Schumann). Trop de gens lui ont donné au contraire pour mission de maintenir le primat des ténèbres sur la lumière. Si l'artiste fut un voyant, il fut un voyant lucide. "L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible" (Paul Klee). Il rend visible ce qui est obscur, il éclaircit ce qui est trouble.
Par leur technique du toujours pareil, prévisible et mécanique, par leur utilisation dégradée d'une tradition musicale à laquelle on a arraché le sens, les musiques de masse s'appuient sur la soumission du sujet. Voudraient prétentieusement se faire passer pour musiciens leurs "compositeurs" ou "improvisateurs", qui travaillent au kilomètre afin de s'aménager leur trou dans le spectacle.
On leur oppose la musique authentique, en laquelle on ne voit plus que quelque chose de "classique", c'est-à-dire de figé. On range dans un musée ce qui fait entendre la contradiction de l'organisation sociale, et pose la nécessité de reconstruire le monde selon les exigences de l'ordre rationnel et passionnel des hommes. "Quand le monde sera réduit en une maison musicale pour notre claire sympathie" (Rimbaud). Chez les véritables compositeurs, le moindre détail devait se plier à l'intelligence au lieu d'être malmené arbitrairement par une pensée obsessionnelle. La musique dite classique recherchait la transparence de l'objectif et du subjectif, et elle faisait sienne la souffrance du sujet opprimé. La communication totale et immédiate était sa finalité. Refusant le rôle de délassement où la société a toujours voulu la cantonner, elle visait à la connaissance critique. L'évolution musicale a transformé l'univers sonore en un langage malléable d'une prodigieuse richesse, par laquelle s'exprima la diversité de l'universalité humaine. L'oreille déteriorée du contemporain ne l'entend plus, pas plus qu'il ne sait se servir de l'ancienne philosophie. Désormais, ce langage et ses techniques ne servent plus qu'à la diffusion de l'idéologie moderne, dont le monolithisme totalitaire se cache derrière l'apparente multiplicité de ses nombreuses variantes, aussi mensongères les unes que les autres.

L'art musical pourtant exprimait ce qui est réprimé chez ce contemporain : la conscience qui rêve de réorganiser le monde et la passion qui veut jaillir et tout métamorphoser.

Notre époque aura aussi bien connu l'aboutissement du langage musical que sa décadence accélérée. Confrontés à la destruction du matériau, les incapables inconséquents n'ont pas réagi autrement qu'en se jetant sur tous les rateliers de l'histoire, du folklore au sérialisme. Mais ce qui est mort est bien mort et ne ressuscitera pas. Ce ne sont pas les tripatouillages électroniques qui vont y changer quelque chose. Il n'y a que les gogos et les snobs qui traînent dans les concerts de "musique contemporaine" pour ne pas s'apercevoir que, depuis 1950 environ, l'histoire de la musique dite "sérieuse" est l'histoire de son pourrissement, que la musique n'a rigoureusement plus rien à dire. Quant à la musique "légère", devenue musique de masse, on se demande jusqu'où elle descendra dans la régression.






l'orchestre philharmonique de vienne sous la direction de georg solti durant l'enregistrement du "crépuscule des dieux"


L'action, musique et paroles, progresse vers la catastrophe finale : la fin définitive du mythe, de la morale, de l'argent et du pouvoir. Ce chaos en lequel s'abîme le Crépuscule des dieux n'est pas la fin du monde, mais la fin d'un monde, préliminaire nécessaire à l'histoire humaine. La violence destructrice du négatif actif se tourne contre le vieux monde négateur de la vie. Wagner ne promet pas de "récompense en des mondes meilleurs" : la rédemption de ce monde n'est qu'une promesse sans illusion, faillible en elle-même parce qu'elle dépasse toute musique et dépend des hommes.

Avant que la musique ne s'éteigne, après qu'ait résonné une dernière fois le motif de l'homme libre, explosion solaire sur un horizon de feu et de sang, celui de l'utopie rédemptrice plane, environné par l'orchestre d'une aura de lumière, fragile, suspendu au-dessus de l'abîme. le monde du pouvoir et de l'or se résorbe en cette mélodie aurale, qui monte du brasier où se consume la forteresse des maîtres de l'univers, espoirs d'un monde enfin humain, débarrassé de ses dieux et de la valeur d'échange. elle se hisse vers la tonique, approuvant le cataclysme final, portée par l'harmonie paisible d'une large cadence plagale, calme affirmation de la réalité du possible.

Le rideau tombe : l'illusion visuelle théâtrale est impuissante à montrer l'au-delà de la destruction totale, la réalité de l'utopie, que seule la musique pure peut suggérer. Avec tendresse, elle se penche sur les hommes ; un dernier sursaut d'arpèges de tonique scintille aux harpes, tels les premiers rayons de l'aurore nouvelle, puis elle abandonne les hommes à l'effroi du silence et s'abandonne à eux, à ce qu'ils feront d'elle.






Lorsqu'éclatent les fanfares annonçant l'arrivée du roi Marke, l'orchestre semble vouloir remémorer le motif chromatique du désir des mesures 2 et 3, couvert par le brouhaha général, rappelant ce que réprime le pouvoir, avec son éclat mensonger et sa violence primitive. Dans L'Anneau, le motif de la légalité s'impose par son intraitable laideur : les pactes par lesquels règne Wotan sont fondés sur la violence et le mensonge.

Les partisans du modérantisme culturel ne pouvaient qu'être indisposés par Wagner : la violence dont vibre sa musique est véritablement une insurrection musicale dont ils se sentaient les premiers menacés. Mais aussi sa beauté, et même sa tendresse intimiste, n'ont pas oublié ce qui résiste à l'inhumanisme régnant. Il est des moments où une seule mesure de Wagner explicite ce contre quoi s'exerce la coercition. Par exemple lorsque surviennent Marke et sa suite et que le do dièze, sommet de la phrase ascensionnelle qui portait les deux amants, se brise avec le cri de Brangäne contre la septième diminuée. Ou encore lorsqu'à la mort de Siegfried s'élève cet accord de mi mineur qui salua l'éveil de Brünnhilde.

Avec une douce sollicitude, la musique se consacre à Siegmund et Sieglinde, ces deux victimes assassinées par la sauvagerie de l'ordre social. La dissonance aigüe attachée à l'apparition du jour résonne dans Tristan comme le cri d'effroi de l'être qui se réveille au monde de la souffrance renouvelée. Musique pâmée sur le lit somptueux de la passion, tendresse, ferveur et volupté frissonnantes et jaillissantes où pas même ne manquent les premières peurs d'amour, orchestre et voix se déchaînent dans les ruissellements de lumière de leur joie victorieuse : l'amour de Brünnhilde et Siegfried a inspiré à Wagner des pages d'une beauté triomphante, plénitude heureuse. L'univers y bat selon les pulsations d'un coeur au comble de la passion.

S'imposersa d'autant plus ensuite l'horreur d'un monde où bonheur et beauté sont condamnés. Après une telle musique solaire, malheur aboli dans le sacre de la vie glorieuse, retentissante de violence radieuse contre le cours du monde, Wagner écrira l'une des musiques les plus noires jamais conçues. Dans les deux premiers actes du Crépuscule, la violence se fait acérée et furieuse, féroce, implacable. Les souvenirs de la vie trahie et perdue y sont écrasés sans rémission. La laideur y devient moyen d'expression dénonçant la barbarie. Déjà, l'orchestre se souvient du motif de la fatalité de mort, lorsque Siegfried chante, abîmé dans son ravissement devant Brünnhilde endormie :

Ainsi vais-je boire la vie sur de si douces lèvres.
(Siegfried, III-3.)

Une mesure plus loin, Siegfried expire son abandon sur le motif signifiant le renoncement à l'amour. De telles ambiguïtés sont courantes dans la musique de Wagner. L'amour, dans son innocence, a surmonté la malédiction qui pèse sur lui, mais simultanément la musique rappelle ce dont Siegfried est inconscient : l'amour le plus heureux est promis à la détresse, car toutes les jouissances de la vie ont été sacrifiées à la richesse abstraite. Siegfried invoque la mort de volupté, alors que la musique, par une ironie cruelle, annonce le sort que lui réservent les lois régissant le monde : la trahison envers la femme qu'il aime, qui se vengera en complotant sa mort.

Wagner a produit la première musique désillusionnée de l'histoire. Elle connaît le malheur et ne s'en détourne pas. Elle a vérifié ce mot de son ami Bakounine, sur la musique exprimant "la grande et douloureuse nostalgie qui règne dans le présent", mais elle n'en est pas restée là : elle s'insurge et plaide contre un monde où les êtres qui s'aiment sont conduits à leur perte, où le sujet est condamné à vivre comme un chien et crever comme une touffe d'herbe dans le désert. Et comme Wotan, comme Boris Godounov aussi, le roi Marke symbolise la misère insoluble du maître, l'échec de son existence, dont la musique a su rendre l'infortune.

L'art wagnérien est enfant de cette nuit des profondeurs où la société marchande exile tout ce qui participe de la vie et menace de la renverser, de cette nuit de la subjectivité brisée en elle-même. En ce monde condamné par l'histoire, toute la réalité positive du négatif, du vivant, est contrainte d'agir dans l'ombre, se manifestant par de brutales éruptions. Comme celle de Mahler et des Viennois, la musique de Wagner et tout le grand art moderne abhorrent la souffrance, prenant parti pour le négatif, pour ce que cette société à juste titre considère non-domestiqué et dangereux.

Ces mots, par lesquels Beethoven définissait sa musique, s'appliquent tout autant à celle de Wagner : "Celui qui l'a comprise une fois, celui-là doit se faire libre de toutes les misères où les autres se traînent". Cette compréhension n'est pas donnée à tous, et surtout pas à ceux qui l'écoutent ou qui la jouent sans la conscience lucide de l'inacceptable et du possible.

Ce que rêve la musique wagnérienne, dont "seuls ceux qui désirent connaissent le sens" (Siegfried, II-3), Isolde le dit à Tristan :
Je voulais fuir cette lumière du jour
qui me faisait voir un traître en toi,
là-bas dans la nuit t'entraîner avec moi,
où mon coeur me promettait la fin du mensonge,
où s'évanouirait l'imposture
vaguement pressentie de l'illusion...
(Tristan, II-2.)



un grand merci à francis pagnon pour cette analyse exceptionnelle de la musique de wagner.
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Masha
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    Masha
    le 16 Mai 2014, 16:45
Postez des recettes, bordayl de merde.

Fâchez-vous comme vous voulez, je m'en fous.
Masha
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  • Publié par
    Masha
    le 17 Avr 2016, 10:24


trop de notes
Postez des recettes, bordayl de merde.

Fâchez-vous comme vous voulez, je m'en fous.
JayBea
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  • #54
  • Publié par
    JayBea
    le 17 Avr 2016, 12:47
Shred au piano ? Mais j'ai pas écouté
rapideyemove
JayBea a écrit :
Shred au piano ? Mais j'ai pas écouté


C'est très très bon...
...Mais j'ai pas écouté, non plus.

Lang Lang, c'est pas mal dans le genre shred.
J'en bâille rien qu'à prononcer son nom et sa piètre pyrotechnie...

Que Sviatoslav Richter revienne d'entre les morts, SVP.


Edit : Gergiev est souvent un très grand chef.
Entendu l'autre jour dans les 1° et 6° symphonies de Prokofiev et la 3° de Bruckner...
Pas vu passer le temps...
«Wir leben unter finsteren Himmeln, und –es gibt wenig Menschen. Darum gibt es wohl auch so wenig Gedichte. Die Hoffnungen, die ich noch habe, sind nicht groß. Ich versuche, mir das mir Verbliebene zu erhalten. »
Paul Celan, 18 mai 1960, Lettre à Hans Bender.
jules_albert


Quant aux autres recueils qui font référence à la danse, Polonaises, Mazurkas, Claudio Arrau s'est abstenu de les graver, réservant son effort aux deux ensembles où il fait œuvre de pionnier et d'inventeur, révélant (contre le goût du public) la cohérence et la véhémence de Préludes qui semblent monter de leurs propres basses, et construire plutôt que fuser ; et des Nocturnes d'où l'élément pittoresque et décoratif, cher aux belles écouteuses, est gommé, laissant voir à l'œuvre l'inquiétude harmonique, qui brise le galbe des camées, lève un orage dans la nuit, une anxiété dans le rêve - visions dissuasives, révolutionnaires, qui nous ont tout simplement changé notre idée de Chopin. - André Tubeuf
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Masha
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    Masha
    le 12 Oct 2016, 09:37

Sacrée technique tout de même




Postez des recettes, bordayl de merde.

Fâchez-vous comme vous voulez, je m'en fous.
JayBea
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  • #60
  • Publié par
    JayBea
    le 19 Mar 2017, 17:00


Ça doit être chouette de jouer d'un instrument d'orchestre... La guitare, c'est sympa, mais bon.

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