refuse/resist a écrit :
c'est quoi le déphasage contraint?
Mise en abyme de la notion de riff : le déphasage contraint
Si les mesures et les cycles rythmiques utilisés sont issus de la musique occidentale (généralement en quatre temps, carrures de huit mesures, etc.) et que le groupe ne remet pas en cause les fondements de la musique rock, leurs riffs ont eux-même une structure interne complexe ou du moins déroutante. La principale différence entre la notion commune du mot riff et celle, élargie, de Meshuggah, tient dans le fait que, tout en conservant un cadre rock traditionnel,
la plupart de leurs riffs sont constitués d’entités plus petites. Ils sont une sorte de « riffs premiers » dans le riff, ou de mise en abyme de l’idée de riff dans celui-là même. Nous les appellerons motif. Le dénominateur commun entre riff et motif est très souvent la double croche ou la croche, et est parfois leur seul rapport.
Il en résulte souvent des riffs rappelant le code Morse par leur découpage, torturant la base binaire de la mesure. Nous y trouvons une interprétation particulière de l'agression propre à la musique métal.
L'aspect mathématique, froid et impressionnant, régulier mais décalé, sied parfaitement à l'atmosphère que véhicule ce genre musical.
De tels procédés d’écriture sont utilisés par d’autres groupes de Métal actuels, tels The Dillinger Escape Plan, ou Nostromo. Nous retrouvons des exemples moins récents dans le Rock Progressif des années soixante-dix avec les musiques de Franck Zappa, Genesis, King Crimson, et le Jazz-Rock de cette époque. Cette démarche existe aussi sous forme simplifiée en Métal avec l’utilisation d’un deuxième débit de façon restreinte sur quelques mesures (généralement la croche pointée dans une mesure binaire à quatre temps donnant un aspect très syncopé, parfois décrit comme « tribal »). De plus, cette démarche rythmique existe dans de nombreuses musiques, comme par exemple les musiques afro-cubaines, le Jazz, le Minimalisme répétitif. C’est peut-être ce dernier courant qui est le plus proche de Meshuggah, en raison du quasi-systématisme d’utilisation de ce procédé.
Riff et motif sont complémentaires. Alors que le riff entier évolue dans un cadre régulier régi par des multiples de deux (mesures, cycles) issus de la culture occidentale, le motif consiste en une petite phrase rythmico-mélodique de durée très variable selon les riffs. La structure même du motif utilisé se compose d’une ou plusieurs formules simples : un certain nombre de doubles-croches puis de quarts de soupirs totalisant généralement un nombre impair de double croches (ou réductible à un nombre impair).
Mélanger ces notions de riff et de motif consisterait à ne pas prendre en compte les fondements blues / rock de la musique de Meshuggah. Le motif n'est pas répété à l'infini. Étant donné que cycle et motif ne peuvent se rejoindre sur une longueur classique de cycle rock, un motif est modifié ou remplacé à un moment donné pour compléter le riff, et ce généralement en fin de cycle. Nous résumerons cette technique d’écriture par l’expression « déphasage contraint ».
Il en résulte des riffs longs et, paradoxalement, saccadés et linéaires, qui conservent un effet de « fraîcheur » dans la répétition même. En effet le motif, court, incisif, agressif se répète dans un débit donné par la mesure, mais se décale à l’intérieur de celle-ci (ce que nous observons sur le schéma ci-dessous avec les couleurs rouges et bleues). Ce nouveau tempo d’écoute destructure le cycle tout en lui offrant une linéarité qui efface le systématisme de la mesure rock traditionnelle.
Cycles, tempi et déphasage en tant que démarche naturelle
Si la composition même du motif est primordiale, le choix des tempi de chaque morceau et la longueur des cycles caractérisent aussi les morceaux de Meshuggah. L’impression de rapidité d’un riff peut provenir du dénominateur commun entre tempo et motif, ce dernier utilisant toujours une subdivision entre la croche et la triple croche. Il arrive donc que les tempi des morceaux ne soient pas très rapides comme cela peut exister dans le Black Métal ou le Grindcore par exemple. Cette tendance se confirme d'ailleurs avec l’album Nothing, plus lent et plus lourd que tous les précédents. Les cycles sont quant à eux inhabituellement longs13, assez pour permettre au déphasage d’imprimer une nouvelle idée de tempo sans pour autant l’installer.
Dans les cas de « Soul Burn » ou « Future Breed Machine », certains riffs utilisent un déphasage complet qui prend l’auditeur à contre-pied : le cycle est alors constitué d’une longueur inhabituelle de mesures et le retour du déphasage contraint mis en relief.
b) Corrélation de la caisse claire au riff
Dans le cadre strict du riff, la caisse claire est jouée de deux manières. La première, et la plus courante, est de la placer sur les temps dits « faibles », c’est-à-dire deux et quatre d’une mesure à quatre temps (binaire ou ternaire). Caractéristique de la musique rock et de tous ses dérivés, ce placement peut être considéré comme un mouvement continuel de tension-détente au sein même du riff. Par moment, comme dans « Stengah », cette accentuation des temps faibles devient presque le seul repère pour l’auditeur cherchant à trouver un tempo.
La deuxième manière de placer la caisse claire, plus personnelle et typique du style Meshuggah, est de l’inclure dans le motif du riff. C’est dans le motif lui-même qu’est inclue l’alternance grosse caisse / caisse claire. Ainsi, elle participe au déphasage, et les cycles qu’elle suggère semblent incompréhensibles au premier abord : alors que la doublure des guitares avec la grosse caisse se produit acoustiquement dans la même bande de fréquences, la corrélation guitare / caisse claire est beaucoup moins évidente.
Le motif et son déphasage de cet exemple sont clairs car ils restent assez simples. Nous pouvons noter, comme sur le schéma, l’ambiguïté des premier et cinquième coup de caisse claire, qui font partie du motif, mais correspondent aussi aux temps faibles, donc à leur place traditionnelle. Des exemples de parties de caisses claires déphasées et plus fournies (plusieurs coup de caisse claire dans le motif même) peuvent être entendus dans « Glints Collide » ou « The Mouth Licking What You've Bled », où celle-ci est jouée avec les accents du riff puis décalée, c'est-à-dire en rebonds rythmiques, composants liés au riff mais émancipés des guitares.
Enfin, que ce soit de manière régulière ou non, la caisse claire est vraiment interprétée par Tomas Haake, ce qui ajoute du groove à un passage donné, tout en rompant l’aspect mécanique et mathématique de la musique. Le premier riff de « The Exquisite Machinery of Torture » nous montre une possibilité d’interprétation du motif : la tentative de notation régulière (à l'aide de la transcription de Tim Stevenson) s'approche du jeu de Tomas Haake, mais ne peut l'imiter. Ceci nous prouve qu’au-delà même de techniques polyrythmiques sophistiquées, la musique de Meshuggah nécessite précision et sensibilité dans l’interprétation des riffs.
Déphasage mélodique
La technique du déphasage peut finalement être appliquée à la mélodie. L'exemple le plus systématique et le plus frappant est celui de « Stengah ». Habituellement, le motif est une phrase rythmico-mélodique ; ici motif rythmique et motif mélodique ne comportent pas le même nombre de notes. C'est une deuxième forme de déphasage, occasionnelle, qui s'ajoute à la première et va accroître la linéarité du riff.
Nous n'avons tenu compte des modulations mélodiques, des ambiances en son clean, ni des variations de la batterie qui seront traitées plus loin.
source:
http://www.matthieu-metzger.fr.st/