les employés
portrait d'une couche sociale dont le malaise allait favoriser l'arrivée au pouvoir du nazisme, le livre de siegfried kracauer, publié en 1929 et interdit par hitler en 1933, annonçait l'évolution de la société actuelle.
le capital a prolétarisé le monde tout en supprimant visiblement les classes sociales. les antagonismes d'antan ont été amortis et intégrés, la lutte des classes ayant disparu, il n'y a donc plus de classes.
et il n'y a plus de syndicats car si le scandale de la séparation sociale entre possédants et dépossédés, entre dirigeants et dirigés, entre exploiteurs et exploités a cessé d'être la source principale du conflit social (les rares luttes qui ont lieu ne remettent jamais en question le système) c'est parce qu'il n'y a plus de classes en lutte mais seulement une société de masse à la dérive.
les syndicats, carcasses d'une classe dissoute, poursuivent l'objectif de maintenir la fiction d'un marché du travail régulé.
de nos jours, l'ouvrier est la base du capital, non sa négation. le capital au moyen de la technologie s'approprie de toutes les activités et son principe structure toute la société: il réalise le travail, transforme le monde en monde technologique de travailleurs qui vivent pour consommer. fin d'une classe ouvrière à l'écart, extérieure, dotée de ses propres valeurs et opposée au capital. généralisation du travail salarié et adhésion aux valeurs marchandes.
la société ne se divise pas en 1% d'élite financière et 99% de masses innocentes sans pouvoir de décision. les masses sont fragmentées, hiérarchisées et compromises de gré ou de force avec le pouvoir. les couches intermédiaires jouent un rôle essentiel dans le maintien du système actuel. la division entre l'oligarchie dirigeante d'un côté et les masses exclues de l'autre est amortie par un vaste matelas de classes moyennes, catégorie qui a ses propres intérêts et une conscience à part. la classe moyenne est au capitalisme de consommation, à la société du spectacle, ce que la classe ouvrière avait été pour l'utopie socialiste et la société de classes.
les classes moyennes modernes ne correspondent pas à l'ancienne petite bourgeoisie mais bien aux couches de salariés diplômés liés au travail improductif. elles naissent avec la rationalisation du travail, la spécialisation et la bureaucratisation du régime capitaliste, atteignant un nombre considérable grâce à la tertiairisation progressive de l'économie (et de la technologie qui la rendit possible). ce sont les étudiants d'autrefois : experts, managers, cols blancs et fonctionnaires. lorsque l'économie fonctionne, les classes moyennes sont pragmatiques et partisanes en bloc de l'ordre établi, donc de la partitocratie (régime politique adopté habituellement par le capitalisme, il s'agit d'un mode de gouvernement autoritaire par les élites des partis, né d'un développement constitutionnel régressif (qui supprime des droits) et qui constitue la forme la plus moderne de l'oligarchie politico-financière).
l'Etat partitocratique détermine le mode de vie des classes moyennes. la séparation du public et du privé est ce qui donna lieu à la bureaucratie administrativo-politique, part essentielle de cette classe.
de par leur situation particulière, les classes moyennes ont tendance à contempler le marché depuis l'état : elles le considèrent comme le médiateur entre la raison économique et la société civile, ou mieux, entre les intérêts privés et l'intérêt public, car c'est ainsi qu'elles considèrent leur intérêt de "classe".
pareil que l'ancienne bourgeoisie, sauf que celle-ci contemplait l'Etat depuis le marché. cependant état et marché sont les deux visages d'un même dieu - d'une même abstraction.
dans des conditions favorables qui permettent une consommation abondante, les classes moyennes ne sont pas politisées. ce qui détermine leur politisation c'est lorsque la crise économique sépare l'Etat partitocratique de l'Etat providence consommateur.
alors surgissent en son sein des penseurs, des analystes, des partis et des coalitions qui parlent au nom de toute la société, se faisant passer pour sa représentation la plus authentique.