ce 20 novembre, anniversaire de la mort de buenaventura durruti, est la date choisie symboliquement par les éditions agone pour la publication de l'immense livre de burnett bolloten consacré à la guerre d'espagne. immense par le volume, mais surtout par la rigueur du contenu.
c'est l'oeuvre de toute une vie : durant 50 ans, bolloten correspond et rencontre de nombreux protagonistes de la guerre, accumule une grande documentation (livres, journaux, lettres, etc.) pour aboutir à ce livre qui aura marqué les esprits en dévoilant la lutte à couteaux tirés (véritable guerre à l'intérieur de la guerre) dans le camp "républicain" entre révolutionnaires (principalement anarchistes et poumistes) et contre-révolutionnaires (communistes et bourgeois soutenus par les soviétiques).
les agissements criminels du parti communiste espagnol et des agents russes avaient certes déjà été dénoncés par orwell, franz borkenau ou h.-e. kaminski, mais le livre de bolloten est la première étude systématique consacrée au rôle, à la tactique et aux méthodes des communistes dans la guerre civile, sans parti pris, dans un style froid et objectif. autant dire que la mythologie communiste (brigades internationales, pasionaria, etc.) propagée par des compagnons de route comme malraux en prend un sérieux coup.
le livre ne se contente pas de cette facette et explore l'ensemble de la guerre civile.
je laisse ici le compte-rendu de françois godicheau, agrégé d'histoire, qui évoque la version anglaise du livre :
Ce livre est une somme, un véritable monument de l’historiographie de la guerre civile espagnole. Il l’est par ses dimensions : 1 078 pages de textes et notes, auxquels s’ajoutent une immense bibliographie et plusieurs index. Mais surtout, il contient le résultat de cinquante ans de travail de Burnet Bolloten. Celui-ci, journaliste, est à Barcelone au début du conflit. Après un passage sur le front d’Aragon, puis à Valence en novembre 1936, il collecte du matériel pour écrire un livre plutôt circonstanciel, avant de se rendre au Mexique en 1938, puis aux États-Unis. Il commence alors à réunir ce qui sera son legs à la Hoover Institution : 100 000 exemplaires de journaux, 2 500 livres et des quantités considérables de microfilms et d’entretiens avec des acteurs du conflit.
La première version de l’ouvrage en 1961, sous le titre The Gran Camouflage, fait déjà dire à Josep Tarradellas, président de la Généralité de Catalogne de l’immédiat après-franquisme, que c’est « un des livres les plus importants des quinze ou vingt mille publiés sur la guerre d’Espagne ». La seconde version, The Spanish Revolution, qui paraît en 1979, largement augmentée, tient compte des critiques adressées à la première et y répond. La version actuelle — la troisième —, publiée deux ans après la mort de l’auteur, compte un tiers de texte de plus que la précédente. En dix ans de travail supplémentaire, Bolloten a pu répondre à de nouvelles critiques et compléter sa documentation, en particulier grâce aux archives de la guerre civile à Salamanque. Il offre ainsi la synthèse la plus complète et la plus récente sur les questions politiques que pose la guerre civile dans la zone républicaine.
Mais l’intérêt de ce volume réside aussi dans les très nombreuses notes, dont certaines renvoient, pour des thèmes sensibles ou peu développés, à des dizaines d’articles de journaux et passages de mémoires ou d’études historiques. Pratique et complet, ce livre est un outil de travail indispensable pour qui veut se lancer dans la recherche sur le conflit. Pratiquement inconnu en France, il est déjà en Espagne sur les rayons des usuels dans les bibliothèques d’histoire.
Cependant, il ne s’agit pas d’un manuel. L’auteur a une thèse et la défend, grâce à son immense érudition. Il affirme que l’originalité du conflit est qu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’Espagne vit une véritable révolution populaire, pluraliste, défaite par une opposition militaire. Il démontre que la révolution de juillet-août 1936 est l’événement autour duquel s’organisent toutes les luttes politiques de la « zone légale », qu’il refuse d’appeler « camp républicain ». Il explique aussi le rôle central des partis communistes et de la IIe Internationale dans ce qu’il appelle le « camouflage de la révolution », tout en éclairant leur lutte pour la suprématie politique contre les organisations dirigeantes de cette révolution. Loin de verser dans l’anticommunisme, qu’il soit de droite ou d’extrême gauche, il fait œuvre d’historien, en présentant à la critique une thèse qu’il défend depuis trente ans avec force. En ce sens, et contrairement à ce qu’écrit Stanley Payne dans sa préface, il n’est pas « définitif » ; il appelle au contraire des réponses et peut aider par là à motiver la recherche dans le domaine.
Dans la première partie, l’auteur plante le décor plus qu’il n’analyse la situation sociale et politique du pays à la veille du putsch. Il fournit malgré cela quantité de références pour approfondir ces questions. L’originalité est le récit en trois longs chapitres de la révolution déclenchée dans les villes et les campagnes par le soulèvement des militaires.
C’est dans la deuxième partie que commence l’analyse de la politique des communistes. En défendant les classes moyennes et en niant la réalité de la révolution, ils s’opposent aux autres formations du Front populaire. Leur pragmatisme et leur efficacité, ainsi que le monopole de l’aide soviétique et leurs capacités manœuvrières assurent une progression très rapide de leur influence politique, très réduite au début du conflit. L’examen de leurs méthodes et des considérations diplomatiques de l’URSS amène l’auteur à faire une série de mises au point sur des sujets délicats comme la personnalité de Juan Negrin, la question de l’or de la banque d’Espagne, ou les ambiguïtés de la politique ď appeasement face à Hitler (qu’illustre Churchill).
Les troisième et quatrième parties expliquent comment l’État républicain se reconstruit contre les institutions révolutionnaires, et en particulier à travers une nouvelle « armée populaire » et une nouvelle police. L’engagement résolu des partis communistes dans cette direction et leur prosélytisme très actif leur assurent des positions très importantes dans ces nouveaux organes.
De la cinquième à la huitième partie, l’auteur expose tout au long de la chronique politique, sociale et militaire de la « zone légale », l’élaboration des mots d’ordres communistes, leurs changements d’alliances, avec Largo Caballero, puis contre lui et avec Prieto, puis avec Negrin contre Prieto. Il insiste sur l’importance de la direction soviétique du PCE et sur l’infiltration du PSOE ou des organes de sécurité comme le fameux Servicio de Información Militar (SIM).
Il montre enfin dans les deux dernières parties comment on passe de la toute-puissance communiste après leur victoire lors des événements du début du mois de mai 1937 à Barcelone (toute-puissance qui culmine au début de l’été 1938 ), au coup d’État mené par des militaires républicains et anarchistes au début du mois de mars 1939 contre la politique de résistance à tout prix prônée par les partis communistes.
extrait :
« La révolution espagnole fut la plus singulière des révolutions collectivistes du XXe siècle. C’est la seule révolution radicale et violente qui se soit produite dans un pays d’Europe de l’Ouest et la seule qui ait été, malgré l’hégémonie communiste croissante, véritablement pluraliste, animée par une multitude de forces, souvent concurrentes et hostiles. Incapable de s’opposer ouvertement à la révolution, la bourgeoisie s’adapta au nouveau régime dans l’espoir que le cours des événements changerait. L’impuissance manifeste de leurs partis incita très vite les libéraux et les conservateurs à rechercher une organisation capable d’arrêter le courant révolutionnaire lancé par les syndicats anarchiste et socialiste. Quelques semaines seulement après le début de la révolution, une organisation incarnait à elle seule tous les espoirs immédiats de la petite et moyenne bourgeoisie : le parti communiste. »