dwight macdonald, une tragédie sans héros
« Tout le monde a le droit d'être stupide, mais le camarade Macdonald abuse de ce privilège. » Ce jugement, prêté à Trotski, réjouissait Dwight Macdonald (1906-1982), qui le citait souvent. Voilà qui rend assez bien compte du caractère entier, et fréquemment emporté, comme de la vivacité et de la liberté d'esprit de ce polémiste new-yorkais qui n'est pas oublié aux États-Unis mais méritait d'être mieux connu en France. Rédacteur en chef de
Partisan Review entre 1937 et 1943, avant de fonder sa propre revue
Politics (1944-1949), devenu trotskiste sans avoir été stalinien, puis pacifiste et anarchiste,
ami d'Orwell qu'il accueillera dans Politics, il fut, comme lui, inséparablement hostile au capitalisme et à la bureaucratie stalinienne. Singulier aussi par sa capacité à remettre en cause ses propres certitudes, réfractaire à l'esprit de parti et à tout dogmatisme, il fut l'un des premiers à discerner, après Auschwitz et Hiroshima, en quoi le fait que l'homme moderne soit dépassé par ses propres créations marquait le début d'une époque nouvelle. Souvent teintés d'humour, les textes réunis par nos soins couvrent une vingtaine d'années (1938 à 1957).
Si Dwight Macdonald n'est certes pas un théoricien, la proximité de ses analyses avec celles d'Hannah Arendt ou de Günther Anders saute aux yeux. Mais il demeurera jusqu'au bout un
"essayist" - ce qu'au XIXe siècle on appelait un publiciste. Il excellait autant à ferrailler contre les gros mensonges et les petites lâchetés (comme dans les textes consacrés à Hemingway et à Eisenstein) qu'il savait se montrer acéré dans
la dénonciation du mythe du progrès, de la science, de l'aliénation moderne ou de la banalisation de l'horreur dans les sociétés de masse ; sans jamais vouloir perdre de vue les possibilités de renversement, en quoi il se distinguera définitivement de ce qu'allaient devenir la plupart des « intellectuels new-yorkais » de son temps.
Citation:
"L'ordre social comme la guerre sont des processus impersonnels qui s'enclenchent automatiquement. Si quelques individus se rebellent contre le rôle qui leur est assigné, ils seront remplacés par d'autres, plus dociles, avec pour seul résultat d'être mis à l'écart sans qu'au fond rien ne change. Les marxistes affirment qu'il doit en être ainsi jusqu'à la révolution - qui n'a jamais paru aussi éloignée. Alors, que peut faire un homme aujourd'hui ? Comment peut-il échapper à sa condition au sein d'un système aussi terrifiant ? Tout simplement en refusant de jouer le jeu".
"Nous devons briser l'Etat avant qu'il ne nous brise. Celui qui veut préserver sa conscience - et sa peau par la même occasion - ferait bien de s'autoriser des "pensées dangereuses" comme le sabotage, la résistance, la révolte et la fraternité. La démarche intellectuelle qu'on nomme "esprit négatif" est un bon point de départ". Politics, 1945