Bah, les gens racontaient déjà de la m... au bon vieux temps des signaux de fumée, hein...
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Islamo-gauchisme : savoir de quoi on parle
Jean-Yves Camus · Mis en ligne le 3 mars 2021 · Paru dans l'édition 1492 du 24 février
Avant de demander un rapport sur « l'islamo-gauchisme », la ministre de l'Enseignement supérieur aurait dû en donner la définition. De plus, bannir un champ d'étude de l'université est contre-productif.
La ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, a annoncé vouloir lancer un audit des recherches universitaires atteintes par la dérive « islamo-gauchiste », étendant même son courroux aux études postcoloniales. Ce faisant, elle exprimait, de manière totalement contre-productive, la volonté d’être offensive contre une mouvance qui existe, mais dont il faut préciser la définition, ce qui est le minimum de rigueur qu’on peut demander à une ancienne présidente d’université, elle-même docteure.
Pierre-André Taguieff, qui a forgé le concept d’islamo-gauchisme, le définit comme « l’alliance militante de fait entre des milieux islamistes et des milieux d’extrême gauche, au nom de la cause palestinienne, érigée en nouvelle cause universelle ». On devrait ajouter, pour ne pas donner l’impression de discréditer toute la cause palestinienne, et seulement elle, que cette alliance vise aussi à combattre la laïcité et l’universalisme. Et se rappeler que l’inventeur du concept déplore son usage de plus en plus imprécis.
Bannir de l’université des champs d’étude et des chercheurs, est-ce la solution ? Non, c’est plutôt un problème, et de taille. D’abord parce qu’il grossit l’ampleur du phénomène, que Jean-François Bayart décrit à juste titre comme « une stratégie de niche académique ». D’autre part parce que, plutôt que critiquer les études postcoloniales en général (donc Frantz Fanon, Albert Memmi et Edward Saïd par exemple), il vaut mieux s’en prendre à ce que Jean-Loup Amselle appelle les
dérives de la pensée postcoloniale, c’est-à-dire l’évacuation des conflits de classes du champ des sciences sociales au profit de la valorisation de la race, de l’ethnicité et des origines.
La recherche académique se régule elle-même : nos publications universitaires, c’est-à-dire les articles dans des revues à conseil scientifique et comité de lecture, sont évaluées anonymement par deux collègues. Les éditeurs universitaires procèdent de même pour les ouvrages. Au final, donc, ceux qui sont le plus souvent visés par l’épithète disqualifiante et polémique d’islamo-gauchiste sont soit des mandarins devenus essayistes (Edgar Morin), soit des journalistes (Edwy Plenel, Alain Gresh), soit des acteurs politiques de la gauche radicale. Houria Bouteldja et Rokhaya Diallo ne sont pas des universitaires et ne prétendent pas l’être. Tariq Ramadan, invité à enseigner dans des facultés de manière temporaire, n’a publié qu’un seul livre chez un éditeur universitaire, Oxford University Press. En France, le nombre d’enseignants et de chercheurs rattachables à l’islamo-gauchisme est faible. Le véritable souci qu’ils posent est que parfois sont organisés, à l’université, des colloques avec des intervenants militants et dénués de tout titre scientifique. Ainsi celui qui devait avoir lieu à Lyon II, en octobre 2018, sur le thème de l’islamophobie, et qui fut annulé par l’université.
L’université, précisément, dispense un enseignement à des adultes dotés de discernement. C’est pourquoi le débat d’idées doit y demeurer la règle. Même, et surtout, s’il s’agit de riposter intellectuellement aux islamo-gauchistes et décoloniaux qui ne sont pas de mes amis. Faire autrement serait un aveu de faiblesse.