balou a écrit :
[] **Nicolas Boileau-Despréaux dit "Boileau" (**voir plus bas) a écrit :
Hâtons-nous, le temps fuit, et nous traîne avec soi :
Le moment où je parle est déjà loin de moi.»
On nous recommande en permanence de vivre l'instant présent ou de préparer l'avenir. Moi je dis que ce sont des foutaises : l'avenir par définition n'existe pas encore, et quand il se produira ce ne sera plus l'avenir. Donc il n'existe pas. Point.
Le présent n'existe pas plus que l'avenir, puisque comme le dit si bien Nico, le temps de réaliser qu'il est là, ce n'est déjà plus le présent.
La seule valeur sûre et intangible est le passé. Vive le passé ! Il est éternel ! Vivons le nôtre à 100%, personne ne nous le prendra !
Chez Boileau, c’est aussi et surtout une longue méditation, souvent maladroite et convenue (sauf ici, de manière tout à fait exemplaire, dans ces six alexandrins, oasis au milieu de la cérémonie), autour des Livres X et XI des
Confessions de Saint Augustin (et de leur réflexion sur les apories du temps —en gros, parler du passé et du futur, les concevoir, les mettre en règle, en coupe réglée, je sais, je peux ; mais parler du présent, tenter de le comprendre, de le définir est au-delà de toute parole, de tout concept, donc au-delà de toute présence, justement, d’où le paradoxe, la voie sans issue, c’est à dire l’aporie et sa puissance d’interrogation—.
On dit que celui auquel le "Nico" dédia son poème en 1669, Antoine Arnauld, "Monsieur" Arnauld, un des "Messieurs" de Port-Royal, un des plus grands esprits de son temps, et -en accessoire- un des maîtres de Pascal, Racine et Boileau, ressassait ces fameux vers, marchant à l’infini, autour de son lit avec, à haute voix, leur récitation énigmatique.
C’était enfin une manière pour Augustin d’Hippone comme pour Boileau de revenir sur le vieux lieu commun proverbial de la latinité, ponctuel un jour comme une montre :
«Festina lente, tempus edax rerum»,
ou, en d’autres termes,
"Hâte-toi lentement, le temps dévore toutes choses",
tout cela pour prendre sur le temps d’autres lieux communs de cette latinité idéale, dont la Renaissance, des siècles plus tard, ferait son terrain de chasse, parmi lesquels le fameux
«Carpe Diem» tiré de l’
Ode à Leuconoé de Horace, Ode si souvent mal lue mal comprise, autant par ses contemporains que par toutes ses postérités, jusqu’à nous, Renaissance comprise, s’entend :
«Dum loquimur, fugerit inuida aetas :
Carpe diem, quam minimum credula postero.»
c'est à dire, à peu de choses près, je traduis,
"Le temps de parler, la vie jalouse aura pris la fuite.
Cueille le jour offert, sans prêter foi au lendemain."
Et encore, n’ai-je tracé là qu’une généalogie en extrême raccourci
...
** [] Et non ! C'est et cela a toujours été très exactement l’inverse : Nicolas Boileau, dit Nicolas Despréaux, voire Boileau-Despréaux par facétie potache ("Bois l’eau des préaux, potache au vert missel", ach, kolossal ! ) . Boileau ne portera son patronyme natif qu’à la mort de son frère aîné, Gilles, avec lequel il était brouillé, fâché tout rouge, tout rouge .
«Wir leben unter finsteren Himmeln, und –es gibt wenig Menschen. Darum gibt es wohl auch so wenig Gedichte. Die Hoffnungen, die ich noch habe, sind nicht groß. Ich versuche, mir das mir Verbliebene zu erhalten. »
Paul Celan, 18 mai 1960, Lettre à Hans Bender.