Si assuré et ferme que tu sois, ne cause de peine à personne. Que personne n'ait à subir le poids de ta colère. Souffre seul, sans que l'on puisse te traiter de bourreau.
Ici-bas, il vaut mieux que tu te fasses peu d'amis. Ne sors de toi-même que pour de brèves entrevues. Celui-là dont le bras te semble un appui, examine-le bien, et prends garde.
Bois du vin, car tu dormiras longtemps sous l'argile, sans un ami ou une femme. Veille à ne jamais dire ce secret à personne: les tulipes fanées ne refleuriront jamais.
Notre trésor? Le vin. Notre palais? La taverne. Nos compagnes fidèles? La soif et l'ivresse. Nous ignorons l'inquiétude, car nous savons que nos âmes, nos coeurs, nos coupes et nos robes maculées n'ont rien à craindre de la poussière, de l'eau et du feu.
Bois du vin... c'est lui la Vie éternelle. C'est le trésor qui t'es resté des jours de ta jeunesse: la saison des roses et du vin, et des compagnons ivres! Sois heureux un instant, cet instant c'est ta vie.
Ceux dont les croyances sont basées sur l'hypocrisie veulent faire une distinction entre l'âme et le corps. Moi, je sais que le vin seul a le mot de l'énigme, et qu'il donne conscience d'une parfaite Unité.
La vie passe, mystérieuse caravane... Dérobe-lui sa minute de joie ! Verse du vin... la nuit s'écoule...
Bien que le vin ait déchiré mon voile, tant que vivra mon âme, je le délaisserai pas... Mais, vraiment, ceux qui vendent le vin m'étonnent: que peuvent-ils acheter de meilleur que ce qu'ils vendent ?
Une seule coupe de vin vaut cent coeurs et cent religions. Un trait de vin vaut l'empire de Chine. Hors du vin, ce rubis, il n'y a point sur terre une seule chose acide valant mille âmes douces.
Boire du vin et étreindre la beauté, vaut mieux que l'hypocrisie du dévot. Si l'amoureux et si l'ivrogne sont voués à l'Enfer, personne alors ne verra la face du Ciel.
Fuis l'étude de toutes les sciences... cela vaut mieux. Natte en jouant les boucles de l'aimée... cela vaut mieux. Avant que le sort ne répande ton sang, répands le sang de la bouteille dans ta coupe... cela vaut mieux.
Il vaut mieux s'abstenir de tout, sauf de boire. Rien ne vaut d'être un ivrogne et le vin est meilleur quand des beautés qui en sont ivres vous le versent dans un kiosque. Rien n'est meilleur que de boire du matin au soir.
Tant que j'aurai un peu de pain à portée de ma main, une gourde de vin et un morceau de viande, et que nous pourrons tous les deux nous asseoir dans la solitude, aucun sultan ne m'aura pour convive dans ses plus somptueux festins.
La vie n'est qu'un jeu monotone où tu es sûr de gagner deux lots: la douleur et la mort. Heureux, l'enfant qui a expiré le jour de sa naissance! Plus heureux, celui qui n'est pas venu au monde!
Je ne crains pas la mort. Je préfère cet inéluctable à l'autre qui me fut imposé lors de ma naissance. Qu'est-ce que la vie? Un bien qui m'a été confié malgré moi et que je rendrai avec indifférence.
Nous sommes les pièces du jeu que joue le Ciel. On s'amuse avec nous sur l'échiquier de l'être. Et puis nous retournons, un par un, dans la boîte du Néant.
Si j'avais été libre de venir, je ne serais pas venu. Ne vaudrait-il pas mieux qu'en ce monde de poussière, je n'aie pas eu à venir, à en partir... y vivre !
Ma venue ne fut d'aucun profit pour la sphère céleste. Mon départ ne diminuera ni sa beauté ni sa grandeur. Personne n'a pu m'expliquer le pourquoi de cette venue et celui de ce départ.
Omar Khayyam