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A Nice, le terrible massacre humain se double d’une charge symbolique précise. Dans sa dinguerie meurtrière, le tueur a fait preuve d’une vista sanguinaire et d’un sens du tempo certain. C’est l’esprit du 14 Juillet qu’il a ensanglanté. Hasard opportuniste ou nécessité délibérée, folie prospérant sur un terreau islamo ou projet estampillé EI, les motivations à l’œuvre ne sont pas clairement élucidées. Mais il est significatif que Daech ait revendiqué sans se faire prier cet attentat dont le calendrier et la thématique correspondent parfaitement à ses valeurs, à ses croyances, à son idéologie.
Le 14 juillet 1789, il s’agissait de libérer une prison, de moucher l’arbitraire royal et d’attaquer l’alliance conservatrice de la noblesse et du clergé. Le peuple devenait acteur de l’histoire et maître de son destin. Les anciens serfs s’inventaient citoyens et s’apprêtaient à promulguer les droits de l’homme et à bâtir les fondations d’une démocratie branlante mais exaltante, celle qui coupe le sifflet à l’absolutisme, qui coupe le cou à la voix de son roi.
Ce 14 juillet 2016, le camion meurtrier met à exécution un projet exactement inverse. Il s’agit de tuer à l’aveugle pour remettre, comme le veut l’Etat islamique, un dieu calife sur le trône, pour obliger les individus à s’agenouiller devant l’ordre ancien, pour que l’asservissement soit restauré et que l’émancipation recule, pour que la mixité soit interdite et les libertés encagées. C’est vouloir le retour du fondamentalisme religieux, celui d’avant 1789.
Le 14 Juillet des sans-culottes, c’était le progrès en marche, les Lumières en éveil, les privilèges abolis et tant pis si la bourgeoisie allait en tirer la meilleure part.
L’anti-14 Juillet de l’EI, c’est la régression abrutissante, le fanatisme dévot, les mains voleuses coupées, les couples adultères lapidés et jusqu’aux pis des vaches voilés, preuve que le grotesque se rumine avec le tragique.
Bien sûr, on peut demander à la France de 2016, ce qu’elle a fait de la grandeur de la Révolution. Si on veut être fidèle aux idées de 1789, il faut continuer à exiger que, dans l’Hexagone, les citoyens de toutes origines et de toutes confessions vivent libres et égaux, et pas seulement en droit. Il faut rendre effectif le partage des richesses et celui du travail, relancer le codéveloppement et la bataille pour l’organisation de la planète chère à Michel Rocard. Et il faut casser les ghettos urbains en disséminant l’habitat social.
Bien sûr, lors du défilé militaire sur les Champs-Elysées, on peut regarder d’un drôle d’œil pacifiste les avions de combat qui font les fins de mois de la famille Dassault et ces drones aux airs de joujoux inoffensifs qui savent flinguer sans en avoir l’air et dont finiront aussi par se doter les islamos. Bien sûr, on peut se cacher derrière son petit doigt émotif et leur préférer les sapeurs-pompiers qui sont à la fois braves sauveteurs et bons danseurs. Ou alors, caresser les chiens démineurs portant leurs médailles sur un foulard jaune noué autour du cou, histoire de sacrifier à une empathie très tendance et sans conséquence. Bien sûr, on peut continuer à taper sur le personnel politique en charge qui est trop enclin à entonner la rengaine sécuritaire et à se réfugier derrière des parapets branlants. Mais, il est un peu sommaire de mettre dans le même sac Hollande, Sarkozy et Le Pen.
Si on est «14 Juillet» comme j’aimerais qu’on continue à être «Charlie», il faut peut-être arrêter de pleurnicher, de récriminer et de s’inscrire aux abonnés absents, et descendre à nouveau dans la rue pour dire ce à quoi on croit, ce à quoi on tient et ce qu’on refuse absolument.
Car attaquer le 14 Juillet sur une promenade de bord de mer, c’est s’en prendre à un esprit de fête, à un art de vivre et à une égalité entre les sexes qui ont quand même à voir avec les trois mots qui se terminent en «té», lesquels méritent d’être défendus.
Vouloir écraser le 14 Juillet, c’est rouler toute haine klaxonnante contre qui se réjouit en famille et entre amis, contre les jambes nues et les glaces à l’italienne, contre les paréos que fait voler le vent fou et contre les palmiers sous lesquels se croisent les skateurs et les rollers, les poussettes et les déambulateurs.
C’est s’en prendre aux lampions bleu-blanc-rouge, aux danseurs qui musardent au musette et qui auraient bien aimé se déhancher sur Rihanna, se foutant comme d’une guigne que les distractions impies ulcèrent les bigots et les tartuffes. Lesquels ont trouvé un relais massacreur au volant d’un 19 tonnes.