Pour Hand. Cannot. Erase tu as trouvé ton inspiration dans un fait divers anglais dont je me rappelle avoir entendu parler à l'époque en France. Tu t'étais tout de suite dit qu'il y avait matière ou ce n'est venu que plus tard en y repensant ?
Steven Wilson : Plus tard. Et même il y a quelques années lorsque j'ai vu le documentaire qui est fondé sur le fait divers, je ne me suis pas immédiatement dit qu'il y a un potentiel pour un disque. Le documentaire n'a hanté. Cette histoire est dingue ! Tout d'abord je tiens à dire que le personnage principal dans mon disque n'est pas Joyce Carol Vincent. Cette dernière a été retrouvée morte dans son appartement au bout de deux ans. Personne ne s'était inquiété pour elle. C'est une histoire horrible ! Comme beaucoup, j'ai pensé que c'était une petite vieille. En fait, dans le documentaire j'ai appris qu'elle était assez jeune et plutôt jolie. Elle avait une vie sociale et de la famille. Et pourtant...
Elle n'avait pas de travail, ce qui peut être un début d'explication...
S. W. : Exact. Cela aurait pu faire une différence si son patron l'attendait... J'ai beaucoup pensé à cette histoire. Quand j'ai commencé à écrire de la nouvelle musique, j'ai voulu utiliser ce thème. J'ai donc pu mettre en avant des idées qui me sont chères comme l'isolement, Internet, la nostalgie, la solitude, la famille, etc. Cette histoire me permettait de parler de nombreux sujets de manière assez originale. J'ai beaucoup développé les réflexions autour de la question : « comment vit-on aujourd'hui au cœur d'une ville au 21ème siècle ? » Si l'on cherche à disparaître, le plus simple est de le faire dans les villes les plus peuplées sur Terre. Joyce Carol Vincent était certainement plus heureuse en étant invisible. Je peux tout à fait comprendre ce besoin que ressentent certaines personnes de ne pas sortir de chez eux. La TV et Internet sont amplement suffisants pour se connecter au monde réel.
S. W. : C'est le positionnement que j'ai souhaité donner à ce disque. C'est un résumé de ma carrière qui apporte aussi quelques nouveautés. Le concept était tellement « grand » qu'il fallait puiser dans une multitude de registres. J'adore The Raven That Refused To Sing mais ce disque avait une certaine linéarité à cause de son thème mélancolique. Ici, à un moment on est dans la joie pure et après on passe vers quelque chose de très triste ou de coléreux. Il y a de la pop, de l'électro, de l'indus, du progressif, des éléments acoustiques, etc. Mais j'espère qu'au final, tout se tient (rires).
On s'attend toujours à être surpris par tes albums. Mais sur Perfect Life, la surprise est vraiment de taille puisque nous avons droit à un morceau qui flirte avec le gothique des années 80...
S. W. : C'est très nostalgique. Cela parle de l'enfance, mon enfance en l'occurrence (rires), et des moments de vrai bonheur, ces moments qu'on ne revivra jamais et dont on prend conscience qu'on ne pourra plus jamais les revivre. En vieillissant, on comprend certaines choses qui nous échappent quand on est petit et qu'on les vit. Et pourtant, il s'agissait là de purs moments de bonheur. On comprend cela trop tard. Musicalement, c'est vrai que ce titre est étrange pour moi. La première partie est articulée autour de la lecture par une actrice d'un de mes textes. Les éléments électroniques se fondent alors dans un refrain très pur. Je ne sais pas d'où tout cela vient... J'aime cette superposition d'éléments où finalement il n'y a rien qui rappelle le rock. Heureusement, pour le moment, les gens semblent très bien réagir à ces nouveautés.
Tu n'es pas le genre d'artistes dont on saluerait le surplace. C'est justement par ses « prises de risques » que ton public se fidélise, non ?
S. W. : J'espère que c'est le cas. Toutefois, dès qu'on change quelque chose on prend le risque de ne pas plaire. Par exemple, maintenant je vois beaucoup moins de metalleux à mes concerts. C'est une frange du public qui etait attirée par une période particulière de Porcupine Tree et qui ne trouve plus son compte à présent. C'est un sacrifice que je suis prêt à faire. J'évoluerai tout le temps et, même si des fans m'accompagneront de A à Z, je dois accepter de laisser quelques personnes en route pour en découvrir d'autres.
Autre remarque sur Perfect Life : elle m'a rappelé Last Chance To Evacuate Planet Earth Before It Is Recycled, un des morceaux-phares de Lightbulb Sun (Porcupine Tree). Là aussi il y a une sorte de narration, samplée, et une émotion très vive qui se dégage. Tu te souviens de ce titre ?
S. W. : Les éléments nostalgiques, à différents degrés, se retrouvent dans énormément de mes compostions. Last Chance To Evacuate Planet Earth Before It Is Recycled traite à nouveau de l'enfance et a une teneur très triste dans son ouverture. Ça traite également d'amour un peu comme Perfect Life même si là il s'agit davantage d'amour entre deux sœurs. Les liens entre les personnes m'obsèdent comme les liens d'amitié d'enfance : comment peut-on être si proche de certains amis et puis ne plus jamais les revoir ? Hand. Cannot. Erase en parle beaucoup ainsi que d'autres chansons comme Last Chance To Evacuate Planet Earth Before It Is Recycled ou même Trains. On pourrait parler d'un cycle.
Les paroles avaient franchi un cap sur The Raven That Refused To Sing et je trouve que Hand. Cannot. Erase confirme cela aussi. C'était un point faible jusqu'à un stade assez avancé de ta carrière et à présent on te sent très à l'aise. Pourrais-tu aller encore plus loin et publier des nouvelles ou un roman sur un quelconque sujet ?
S. W. : Sur Insurgentes j'avais fait exprès d'écrire des paroles abstraites à base de jeux de mots. Je suis d'accord avec toi : pendant très longtemps mes paroles étaient tout simplement nulles. Pour accompagner Hand. Cannot. Erase il y a un blog que nous avons mis en ligne. Enfin évidemment ce n'est pas moi qui ai écrit tout cela, c'est le personnage (rires). Je suis très fier des textes que j'ai faits pour ce blog. L'édition spéciale de l'album présentera un contenu enrichi en textes dont certaines entrées assez surréalistes, allant presque lorgner du côté de la science fiction. Dans ma version, le personnage inspiré par Joyce Carol Vincent ne meurt pas mais disparaît. Il se pourrait qu'elle disparaisse par choix... A suivre et à découvrir donc !
Steven Wilson – Hand. Cannot. Erase
Kscope
www.stevenwilsonhq.com