Comme Promis, l'analyse du morceau...
Patrick Larbier a écrit :
Le Défi d'aujoud'hui concerne Sweet Georgia Brown, standard Middle Jazz repris souvent par les guitaristes de Jazz Manouche (et par Django lui même). Voici l’analyse de la grille pour ceux qui souhaitent la pratiquer.
Sweet Georgia Brown
E7 / E7 / E7 / E7 / A7 / A7 / A7 / A7 /
D7 / D7 / D7 / D7 / G / D7 / G / B7 /
E7 / E7 / E7 / E7 / A7 / A7 / A7 / A7 /
Em / B7 / Em / B7 / G7 Gb7 / F7 E7 /
A7 D7 / G //
Le morceau est en Sol majeur (ainsi que l’indique la cadence finale D7 G). Un dièse – fa – est à la clé.
Harmonisons G majeur en accords de 4 sons. Nous obtiendrons ainsi l’ensemble des accords qui sont censés figurer naturellement dans une grille en Sol majeur.
Accords G7M Am7 Bm7 C7M D7 Em7 F#m75b
Degré I II III IV V VI VII
Comparons par rapport aux accords trouvés dans la grille :
Sol majeur G7M Am7 Bm7 C7M D7 Em7 F#m75b
Dans la grille G A7 B7 D7 Em et E7
Remarquez que j’ai mis de côté la séquence G7 Gb7 F7 E7 que nous verrons plus tard.
Première remarque : G7M est joué G. Aucun problême (la septième majeure est simplement omise dans la l’écriture de la grille – et dans mon harmonisation en tablatures, je la remplace d’ailleurs par une sixte à la sonorité plus traditionnelle). D7 de la grille est bien V en Sol majeur.
Deuxième remarque : on trouve dans la grille E7 alors qu’en Sol majeur, il devrait y avoir Em7. Même chose avec A7 et B7. J’ai expliqué dans le post de « Champs Elysées » que la majorisation des accords mineurs permettait d’obtenir des accords de dominante. Ces accords sont appelés accords de dominante secondaire parce qu’ils ne résolvent pas sur le premier degré de la tonalité (G).
Nb : majoriser un accord, c’est le rendre majeur en relevant sa tierce mineure. Ainsi, Dm7 majorisé deviendra D7, et Cm majorisé deviendra à son tour C.
Analysons la grille à présent :
E7 : issu de Em7. Il s’agit de la dominante secondaire du second degré. E7 donne un sentiment de La mineur harmonique. On joue donc La mineur harmonique, ou plus simplement un arpège de F°.
A7 : issu de Am7, c’est la dominante secondaire du cinquième degré. La « subtilité » de la grille à ce niveau est que : E7 nous faisait sentir La mineur harmonique. C’est donc un accord de Am que nous attendions. Or, au lieu d’arriver sereinement sur Am, la grille propose ce même accord, mais majorisé. C’est un peu comme si une première force nous avait dirigé vers La mineur harmonique (sous l’effet de E7), pour nous reprojeter violemment vers … autre chose sur A7. Sur la dominante secondaire du cinquième degré, on joue Lydien b7. C’est-à-dire que sur A7 on pourra jouer Mi mineur mélodique.
D7 : V en Sol majeur. On joue Sol majeur, ou bien Ré altéré (plus compliqué). Ré altéré est équivalent à Ré dièse mineur mélodique.
G : I en Sol majeur. Rien de particulier, à part qu’on évitera d’enchainer la tierce et la quarte dans un mouvement ascendant.
B7 : issu de Bm7, c’est la dominante secondaire du sixième degré. Le sentiment est mineur harmonique. On joue Mi mineur harmonique, ou plus simplement un arpège de C°.
Récapitulons les dominantes secondaires en tonalité majeure. Pour plus de clarté, je prends mes exemples en Do majeur (se reporter également au Post des Champs Elysées)
D.S. du degré sentiment analyse
C7 IV majeur V en Fa majeur
D7 V lydien b7 IV en La mineur mélodique
E7 VI mineur V en La mineur harmonique
F7 VII lydien b7 IV en Do mineur mélodique
A7 II mineur V en Ré mineur harmonique
B7 III mineur V en Mi mineur harmonique
Ex : C7M A7 D7 G7
On joue do majeur sur C7M, ré mineur harmonique sur A7, Ré lydien b7 sur D7, et do majeur sur G7.
Em B7 : la grille passe dans le relatif mineur de Sol majeur : Mi mineur. Il s’agit donc d’un I V I V en mi mineur. Si on voulait faire vraiment précis, on jouerait une gamme de Mi dorien sur Em (choix arbitraire) et Mi mineur harmonique sur B7. Ce choix est vraiment pour les puristes, sachant que la vitesse de défilement des accords ne permet pas vraiment de jouer aussi finement.
G7 Gb7 F7 E7 : mouvement harmonique des accords pour passer de G à E7. On peut expliquer cette séquence par un simple mouvement chromatique, mais on peut aussi essayer de l’expliquer. Je précise que cette explication n’a de vertu qu’intellectuelle : je defis quiconque d’exploiter en improvisation l’explication qui suit…(sauf si dernière votre pseudo se cache en fait Scofield).
Voici les cheminements de la séquence originelle :
G C7M Bm7 Em7
Je majorise les accords mineurs (dominantes secondaires)
G C7M B7 E7
Je joue les accords majeurs en accord septième
G7 C7 B7 E7
Je substitue au triton
G7 Gb7 F7 E7
Et j’obtiens ainsi mon enchainement chromatique. C’est un peu de l’enc… de mouche, mais c’est comme ça que ça fonctionne.
A7 D7 G : Cette séquence remplace en fait Am7 D7 G. On joue La lydien b7 sur A7 (mi mineur mélodique).
Pour sentir les enchainements harmoniques, rien de tel que de jouer la grille en accords de trois sons (un battement sec vers le bas sur chaque temps)
E7 A7 D7 G6 D7 G6 B7
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-7---6----5----4--5----4---2-------
-6---5----4----2--4----2---1-----
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-7---5----5----3--5----3---2----
Puis roulement de médiator en faisant remonter l’accord de B7 vers l’accord de E7 de façon chromatique…
Ensuite…
Em B7 G7 Gb7 F7 E7
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-4---2----4----3--2----1----------
-2---1----3----2--1----0--------
-------------------------2---------
-3---2----3----2--1----0-------
Pour finir…
A7 D7 G6
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-6---5----4-------------
-5---4----2------------
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-5---5----3----------
(il m’arrive d’écrire des boulettes en tablatures - donc reprenez-moi si c’est le cas).
Maintenant, les questions :
1 - Django et Grappelli jouent-ils avec autant de gammes Sweet Georgia Brown ? A l’évidence, non… On voit bien que suivre un chemin aussi torteux est particulièrement difficile. Au risque de me faire lapider , je dirais que Django respectait beaucoup plus les contraintes harmoniques d’une telle grille que Stephane Grappelli (il est vrai également que Grappelli avait tendance à jouer des solos beaucoup plus longs , et qu’ainsi il avait un peu tendance à s’essouffler).
1bis – les grands improvisateurs modernes jouent-ils toutes ces gammes en improvisation ? Là encore, non. Si Metheny jouait sur ce titre à rythme soutenu, il n’utiliserait que par moment les éléments issus de l’analyse harmonique. Le reste du temps, il s’en tiendrait sans doute à Sol majeur, quelques arpèges et les notes cibles. Mais un enchainement complexe de toutes les gammes citées plus haut, certainement pas. Tout ça pour dire que l’analyse harmonique est faite pour donner des outils que l’improvisateur pourra utiliser à sa guise s’il le désire.
2 – Puis-je m’en sortir avec la pentatonique ? Euh…. Bof, ça va pas être terrible. Ou alors, une pentatonique de Sol majeur.
3 – Alors comment faire pour jouer sur Sweet Georgia Brown quand on ne connaît que la gamme majeure ? Il faut simplifier et ne jouer que les notes importantes. Trois possibilités s’offrent à l’apprenti improvisateur :
A – jouer uniquement les arpèges : arpège de E7 sur E7, de A7 sur A7, etc… C’est un peu fastidieux et ça sonne rapidement très scolaire. Mais bon, au moins, ça ne sonne pas faux.
B – jouer Sol majeur sur tout le morceau mais en essayant de placer les notes cibles sur les accords de dominante. Cette solution n’est pas optimale en terme d’harmonie, mais elle a le mérite de pouvoir faire jouer n’importe qui. Ainsi, sur les dominantes secondaires qui procurent un sentiment mineur, on jouera la neuvième bémole (Fa sur E7).
C – faire un mix du A et du B
Finalement, Sweet Georgia Brown est-il un morceau difficile ? En fait, assez… La mélodie semble simple, on est à 3000 bornes de Coltrane, et pourtant c’est difficile. Je ne participe pas aux Défis, donc je n’ai pas de conseil à donner. Mais quand même, si je devais y participer sur cette grille, et compte tenu de la difficulté des enchainements harmoniques , je pense que je jouerais un peu l’option de Django sur une de ses versions : jouer un solo très simple à base de jeu en octave (technique magnifiée par fera Wes Montgommery quelques années plus tard). Ca permet de donner une tournure résolument rythmique au solo en magnifiant les notes importantes. C’est toujours apprécié de l’auditoire, même quand on est perdu dans les gammes.
Exemple : le coup de médiator est donné vers le bas , de façon ample. La troisième corde est étouffée.
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--8---9---11-----------
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--5---6---8------------
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On trouve souvent ce titre dans le répertoire manouche pour une raison simple : la structure harmonique est Middle Jazz (l’Age D’Or de Django) , mais son traitement s’apparente à la technique des Boppers (donc grande virtuosité technique). C’est sur cette remarque qu’il me semble le plus intéressant de conclure cette analyse ; le propre du Jazz Manouche est qu’il s’appuie et rebondit constamment sur ses deux pieds antagonistes : le traditionnel (le Middle Jazz) et le Moderne (le Be Bop).
Patrick Larbier
P.S pour ceux qui ne connaissent pas : à mon sens, le Trio Rosenberg excelle dans le registre Jazz Manouche (ça m’a permis de reécouter leur version Live de Sweet Georgia Brown, et je crois bien que je vais arrêter la guitare pour me mettre plus sérieusement à l’ocarina). Le soliste, Stochelo Rosenberg , est tout simplement prodigieux (écouter absolument les premiers albums, pas les derniers qui sont sirupeux et indigestes – un DVD de concert que je n’ai pas vu est également en vente).