bonne illustration de "l'abîme se repeuple" :
C’est ainsi que pour se cacher son désastre réel et exorciser le spectre d’une décadence interminablement livrée à elle-même, une société se trouve des ennemis à combattre, des objets de haine et de terreur; et comme dans
1984, où l’expression obligatoire de la haine pour l’ennemi Goldstein sert en même temps à chacun d’exutoire à sa haine pour Big Brother, la fabrication d’une « barbarie » à redouter et à haïr est d’autant plus opérante qu’elle récupère au profit du conformisme et de la soumission un effroi bien réel et très fondé.
Les « banlieues » sont donc devenues, avec leur jeunesse barbare, le « problème » qui résume providentiellement tous les autres : une « bombe à retardement » placée sous le siège de ceux qui du coup pourraient se croire des assis. Comme de bien d’autres « problèmes », on parle de celui-là non pour le résoudre (et comment le pourrait-on ?), mais pour le gérer, comme ils disent : en bon français pour le laisser pourrir, en l’y aidant par tous les immenses moyens disponibles à cette fin. C’est une telle gestion moderne qui est désignée à l’horizon par le vocable « Los Angeles ».
[...]
C’est ainsi qu’en vertu de l’effet de miroir du spectacle, ceux qu’on « aime haïr » en tant que modernes barbares ne sont que trop enclins à aimer être haïs sous cette figure, et à s’identifier à leur image préformée. Ils « ont la haine », selon une locution dont la tournure n’évoque pas fortuitement la contamination par une peste.
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