Biosmog a écrit :
J'ai toujours trouvé ces listes d'un triste. Il existe de très nombreux topics où l'on peut faire connaître ses
découvertes. On peut creuser un peu sur le contexte de création, remonter le fil des oeuvres, analyser et trouver des filiations.
Une liste, ça transforme n'importe quel endroit en salle d'attente.
Désolé, j'ai toujours été allergique à
la logique de l'inventaire qui ferme le monde (…)
Oh que oui ! Mille fois…
si je résume…
Logique de l’inventaire et presque celle de la capitalisation, de la bourse des valeurs, voire de la gloire des subprimes…
Au prix, en effet, de tant de choix d’albums parfois surprenants pour illustrer la "valeur essentielle" des uns et des autres.
Si on se réfère à l’enseigne précise de cette boutique, les absences relevées dans son fonds de commerce et son entre-soi culturel doivent, alors, très logiquement équivaloir en négatif à des titres implicites comme
«Les albums qu’il ne faut pas écouter» ou
«…qu’il n’est pas utile d’avoir écouté» etc… etc…
Ne restent alors plus que des coupes claires.
Quant à la conclusion de ce titre–dogme, aussi comique que coercitive ("…qu’il faut avoir écouté avant de mourir"), j’entends déjà la voix de Townes Van Zandt grincer dans l’air alentour son
«…waitin’ around to die», pour faire pièce à ta
«salle d’attente»
Et là, quels que soient les mérites réels de certains sauvetages heureux (les Only Ones de Peter Perrett en font partie ou les Young Gods et leur grande Eau Rouge) pratiqués par cette liste, rien que les trous noirs créés par ces oublis mystérieux ou ces ignorances abyssales ajoutent encore au discrédit que ce genre d’entreprise ou de "digest" mal digéré ne peut que recueillir.
Même si le jeu n’en vaut, je crois, résolument pas la chandelle, pour disqualifier l’étroitesse d’un tel projet, on peut toujours songer, par exemple (je dis bien "par exemple"), à dresser un inventaire parallèle tout aussi vain, à la mémoire sans doute très très partielle sinon partiale, inventaire à là diable qui aura au moins le mérite de rendre manifeste un nombre conséquent de disparitions "magiques et étranges" rencontrées dans cette liste :
la disparition de Townes Van Zandt justement, celle de Little Feat, de Pete Shelley, de Ry Cooder
(et ce n’est pas le Buena Vista SC qui rachètera celle-ci), de Spooky Tooth, de Janis Ian, de Bill Withers, de Tony Joe White, des Last Poets, des Raincoats, des Real Kids, des Feelies, de Mink DeVille, d’Elliott Murphy, de Grant McLennan, de JJ Cale, des Proclaimers, de Fanny, du Yellow Magic Orchestra, de Badfinger, de Gordon Lightfoot, des Dogs, de Sixto Rodriguez, de Wayne / Jayne County, des Doctors of Madness, de Tuxedomoon, de Phil Ochs, de Doctor Feelgood, de L’Affaire Louis Trio, des Swell Maps, des Jacobites et de Nikki Sudden, de Dwight Twilley, des Woodentops, de Robin Lee Crutchfield, de Robert Palmer, de Steve Reich, de Dead Can Dance, de Polyrock, de Sham 69, de Doctor L, des Raveonettes, de Death Cab for Cutie, des Runaways et de Joan Jett, de Stiff Little Fingers, de Jackie Lomax, de Jim Croce, de Rowland S. Howard, de Salif Keïta, de Morcheeba, de Camarón de la Isla, des Lumineers, de Shawn Colvin, de Philip Glass, de James Chance, de Métal Urbain, de Josef K et Paul Haig, de Heather Nova, de Blaze Foley, d’Average White Band, de Linton Kwesi Johnson, de Fairuz, de Gérard Manset, des Tindersticks, de Betty Mabry Davis, de João Gilberto, de Marquis de Sade et de Philippe Pascal, de Wasted Youth, d’Alim Qasimov, des Double Six, d’Alain Bashung, des Wytches, des Lines, des Silent Poets, des Foals, de Lydia Lunch, de Tool, de Toni Childs, ou encore de Monâjât Yultchieva…
(Mal)Heureusement, ouf !, j’en passe des tonnes et des tonnes, tant ce désert à la Shéhérazade croule sous le poids des oubliés et des oubliées.
Bref, toutes choses qui laissent,
«plût au ciel, le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce» de ce genre de listes en état de sidération devant ses considérations, avec ce qu’elles montrent et ce qu’elles cachent.
À bien y réfléchir, mon petit exemple en catalogue interrompu et sans limite j’espère, ci-dessus, aurait sûrement pu se limiter à un seul nom mis à l’étouffoir et au secret, derrière la porte du coffre-fort silencieux où cette entreprise capitalise sa bonne grosse ressource
«qui ferme le monde» au lieu de l’ouvrir : le nom et l’œuvre oubliés d’un juste parmi les justes, Eddie Cochran*.
Tout un symbole…
*
malgré la présence dans cette liste, du Vincebus de Blue Cheer et de sa fameuse ouverture qui n’amoindrit strictement rien.
«Wir leben unter finsteren Himmeln, und –es gibt wenig Menschen. Darum gibt es wohl auch so wenig Gedichte. Die Hoffnungen, die ich noch habe, sind nicht groß. Ich versuche, mir das mir Verbliebene zu erhalten. »
Paul Celan, 18 mai 1960, Lettre à Hans Bender.