Un texte récent de Miguel Amoros (ça ne va pas plaire au jury du "Prix Prince des Asturies") :
La foi aveugle dans la technologie comme seul moyen de nous sauver et de sauver la planète prépare le socle idéologique d'un futur éco-totalitarisme dans la mesure où cette foi proscrit l'espèce humaine. La confiance obstinée dans la technologie est en réalité une confiance suicidaire dans les experts qui conseillent les dirigeants. Pour le fascisme, la technologie est l'alliée, tandis que l'ennemi c'est l'être humain. Les comportements dictatoriaux des États, qui se banalisent, y contribuent également. Le recours à l'état d'exception devient courant. La relation entre le fascisme et la technologie a toujours été étroite. En soi, le fascisme était moins une idéologie qu'une technique de gestion, de contrôle et de mobilisation politique. À moins d'être émotionnellement déséquilibré, personne ne peut prendre au sérieux un ressassement idéologique de complots, d'ésotérisme et de délires transhumanistes. D'autre part, les modes de propagation de l'irrationalité sont essentiels. Actuellement, la manipulation spectaculaire de la crise sociale et écologique sert à susciter des états d'esprit - instinct grégaire, soumission, haine, panique, technophilie, cyberdépendance - qui peuvent être utilisés à des fins totalitaires.
Le reproche que l'on peut adresser à de nombreux décroissants est de croire que la voie de la décroissance est une sorte de voie sereine qui mène à une abondance de richesses obtenues avec peu de travail et des techniques "frugales" mais très productives (comme la permaculture, l'énergie solaire, les transports "propres", la simplicité volontaire, le soutien mutuel, etc.). On nage évidemment en pleine démagogie.
Une société juste et harmonieuse passe par la liberté et non par l'abondance. Et cela implique la rupture, la confrontation, la lutte contre les énormes injustices et inégalités causées par la croissance.
La foi décroissante est en réalité une fuite, puisqu'elle évite le conflit et ferme les yeux sur la fonction de l'État dans la croissance capitaliste et l'omniprésence de la marchandise. La décroissance austère conçoit la transformation de la société technologique comme le résultat de l'application pacifique d'une formule économique par des minorités modérées et croyantes.
Dans la pratique, il ne s'agit que d'un mode marginal de cohabitation avec le capitalisme, semblable à celui des modes de survie des populations exclues des marchés par la mondialisation.
Les décroissants qui prônent des mesures telles que le revenu de base universel, la couverture sanitaire universelle ou la réduction du temps de travail, tombent dans le keynésianisme car il s'agit d'une formule de stabilisation écolo-administrative de l'économie de marché en crise, et non d'une stratégie de changement radical. Les mesures proposées nécessitent un État gouverné par une "gauche citoyenne" qui accorde des aides, impose des taxes et décrète des impôts pour les financer, ce qui est difficile à réaliser en période de crise, mais parfaitement faisable en période de croissance débridée. Ce sont des contradictions insurmontables qui invalident ce type de décroissance : croître pour décroître, développer l'économie pour la réduire, tout confier à l'État et à la politique pour développer l'autonomie...