La froideur météorologique se retrouve dans la population. Celle de Salzbourg ou de Vienne dont Thomas Bernhard fustige la «
logique petite-bourgeoise », c’est-à-dire le fait d’être uniquement concentrés sur leurs possessions et leurs réputations.
C’est toute l’Autriche qu’il vise ainsi, qui lui semble, à l’exemple de la Suisse, une vaste forteresse repliée sur elle-même et marquée par l’instinct de conservation. L’auteur ne se sent aucunement à l’aise dans la capitale d’un pays où il constate qu’il n’y a «
pas un paysage reposant. Pas des gens agréables. Mais des gens qui m’épient […]. Qui m’angoissent. Qui me conduisent de l’autre côté de la lumière. Jamais je ne me suis senti en sécurité dans cette région […]. Constamment atteint de maladies, finalement presque anéanti par l’insomnie ». Cette horreur radicale que l’auteur éprouve au contact des villes autrichiennes et de leurs habitants prend aussi sa source dans les idéologies partagées. Occasion est donnée pour de violentes diatribes sur le passé nazi de «
cette ville qui, si elle n’a pas glorifié en toutes choses et même admiré avec extase ce totalitarisme, l’a toujours vigoureusement favorisé ». Outre le national-socialisme qu’il voit encore très présent, le catholicisme et le socialisme sont l’objet d’attaques cinglantes mettant en évidence l’anti-esprit qui y est à l’œuvre. Le socialisme devenu vulgaire, gouvernemental, travaille contre le peuple et fait le jeu de l’État.
C’est l’occasion pour Bernhard de s’affirmer libertaire, suivant en cela le modèle de son grand-père et surtout de son oncle : «
Je suis et j’aime ce peuple mais je ne veux rien avoir à faire avec cet État. » La ville-institution permet une critique révolutionnaire de ce qui la structure et la fait agir. Thomas Bernhard y repère précisément la monotonie et la routine qui sont à l’œuvre dans la frénésie active d’une ville. Il s’agit de son « esprit » qui impose son rythme à tous les individus. Dans
Des arbres à abattre, le narrateur, qui revient à Vienne après vingt ans d’absence, constate qu’il ne s’est rien passé, que les milieux mondains, médiatiques et artistiques sont les mêmes. La ville est en état d’apesanteur, comme le Paris de
L’Homme qui dort de Georges Perec. L’Histoire semble arrêtée et les êtres sont englués dans un éternel retour des mêmes choses. Rien ne fait événement et le vieux tient lieu de nouveau.
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