Mort de Gisèle Halimi : « Elle était la plus grande soprano du barreau »
Citation:
Susan George, politologue
« Je suis très triste de cette disparition. J’ai rencontré Gisèle Halimi en 1998, au tout début de l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne [Attac, dont Susan George est l’une des membres fondatrices, ndlr]. Elle était déjà très célèbre, toutes les femmes lui doivent beaucoup, même encore aujourd’hui. C’était une pionnière. Gisèle Halimi était très humaine et très à l’écoute, accessible. Elle avait un vrai instinct de femme de gauche, pragmatique ; il fallait trouver des solutions aux problèmes de pauvreté.
« A l’époque, des économies nationales entières s’effondraient déjà en Asie puis, plus tard, en Amérique latine. En 1997, un édito d’Ignacio Ramonet dans le Monde diplomatique, «Désarmer les marchés», dans lequel il était question de taxer les transactions financières, avait suscité un tel courrier des lecteurs que plusieurs personnalités progressistes, dont Bernard Cassen, directeur du journal, ont décidé de fonder une organisation pour mettre en œuvre ces idées.
« C’est donc Gisèle Halimi, en tant qu’avocate, qui a écrit avec Bernard Cassen les statuts de cette future association. C’était la création ex nihilo d’une organisation qui est toujours active, avec des échecs et des réussites, comme toutes les organisations. Attac fait partie de l’histoire de la France moderne. »
Citation:
Me Henri Leclerc, avocat
« J’ai connu Gisèle Halimi dans les années 50, elle était déjà engagée et, avec d’autres, je me suis engagé à ses côtés au moment de la guerre d’Algérie. Je l’ai aussi bien connue parce qu’elle a épousé un camarade de faculté, Claude Faux, qui était devenu le secrétaire de Jean-Paul Sartre.
« Je l’ai côtoyée ensuite dans de nombreux combats, le droit à l’avortement, la reconnaissance du caractère du viol qui existait mais qui était mal défini, et puis elle a été avec moi, très peu de temps, l’avocate de Libé quand Sartre était directeur de publication.
« C’était une avocate engagée, qui plaidait fortement et intelligemment, qui n’a jamais été dans les excès de la défense de rupture : elle avait un discours à la fois très fort et très proportionné. Son texte de la plaidoirie lors du fameux procès de Bobigny est tout simplement magnifique, mais celui du procès d’Aix-en-Provence, où elle défendait deux jeunes femmes qui avaient été violées est également formidable. C’est grâce à elle, et à Simone Veil qui a fait voter la loi, que le viol a été clairement défini comme un crime. Et puis, quand elle était députée, elle a fait voter en 1982 le texte du nouveau serment de l’avocat. Le texte précédent était un peu flou, basé sur la fidélité aux institutions en gros, elle l’a fait remplacer par le très beau texte actuel, autour des valeurs de probité, de conscience, d’humanité.
« Je ne dis pas que travailler avec elle a toujours été facile… Elle avait son caractère, était très passionnée, par exemple, elle ne supportait guère qu’un de ses amis défende un de ses adversaires. Toujours est-il qu’elle a indéniablement marqué son époque d’une empreinte extraordinaire, qu’elle était très intelligente et qu’elle savait ce qu’il fallait faire. Le procès de Bobigny, c’est elle qui a voulu en faire un événement spectaculaire et elle a très bien réussi. Une femme remarquable. »
Citation:
Me Caroline Mécary, avocate
« On parle toujours des ténors du barreau en oubliant les femmes. Eh bien la mort de Gisèle Halimi, c’est la disparition de la plus grande soprano du barreau. Elle a très longtemps été le seul modèle de la profession pour les femmes. Dans les années 70, c’est la seule femme avocate visible dans un univers masculin et à laquelle une jeune fille peut s’identifier et se dire : "Je ferai comme elle, je serai Gisèle Halimi."
« Elle fait très tôt preuve d’une grande ténacité, qui lui permet de contourner les obstacles. Il faut toujours rappeler comment naissent les vocations : la sienne commence dans sa famille traditionnelle en Tunisie, où sa mère lui impose de faire le lit de son frère. Son premier acte de rébellion est une grève de la faim à l’âge de 13 ans pour contester l’ordre de sa mère. Gisèle Halimi, c’est une conscience très jeune de l’injustice et de l’arbitraire qui peut frapper les femmes. C’est cette conscience aiguë qu’elle a su sublimer en tant qu’avocate en défendant les Algériens, puis sur la question de l’émancipation. Sa signature du Manifeste de 343 femmes, dans le Nouvel Obs, est un acte de courage : à l’époque, l’avortement est un délit et ça peut lui faire perdre sa robe. Que ce soit sur la contraception, l’IVG ou la redéfinition de ce qu’est le viol, elle n’a jamais cessé d’utiliser le droit comme un outil pour combattre l’injustice et acquérir l’égalité. De par son parcours, elle a montré qu’il n’y a pas de fatalisme. »