Pour comprendre le bourbier actuel, il faut partir de la "French Theory" (Derrida, Foucault, Bourdieu, etc.) qui une fois adoptée par les universités américaines a donné naissance à plusieurs disciplines politiquement correctes :
gender studies, animal studies, bioéthique, etc. dont les fondateurs (John Money, Judith Butler, Peter Singer) ont imposé leurs diktats dans la culture à partir des années 70. La "French Theory" (pensée molle, post-structuraliste et déconstructrice) surgit en réaction de l’esprit révolutionnaire et libertaire de Mai 68, l’objectif de la "French Theory" étant de dynamiter la pensée révolutionnaire en la présentant comme porteuse de totalitarisme.
La "French Theory" et ses disciples américains participent donc à une opération de dévitalisation et de pillage de la pensée critique par un discours incohérent et confusionniste qui est très utile à l’ordre établi pour le contrôle social (cela permet la pratique du chantage diffus, personne n’étant à l’abri). C’est le crétinisme postmoderne au service du pouvoir, qui à travers des pseudo-luttes où l'on se garde toujours de parler de l'essentiel, participe à l'administration du désastre et à la soumission durable.
Citation:
Il n'est donc pas sans rapport avec notre propos de noter que l'après-68 a aussi vu le rodage, à côté d'un "festivisme" qu'il n'est plus trop audacieux d'attaquer aujourd'hui que la tempête éteint les lampions, d'
une offre diversifiée de protestations égalitaristes segmentées, mais unifiées par un conformisme revendicatif qui, lorsqu'il n'en fait pas l'apologie, évite de s'en prendre, ne serait-ce qu'en paroles, aux réalités centrales de l'aliénation technologique et marchande. C'est bien sûr le cas des métastases étatiques qu'on nomme les mouvements associatifs. Mais on sait aussi comment des protestations qui, comme le néo-féminisme ou les mouvements homosexuels, s'attaquaient au moins à la persistance dans la modernité de vieilles aliénations particulièrement répugnantes ont pu parvenir à incarner,
French theory aidant,
une très efficace avant-garde de la normalisation et de la conformité sociale dont il est malaisé de discerner, de la parité aux mariages gay, quelles sont les prescriptions qui relèvent du politically correct ou de cette pensée unique dont l'évocation suscita naguère tant d'émois.
Par la voix de ses rebondissants avatars antilibéraux, altermondialistes ou décroissants, le citoyennisme formule et développe identiquement « la demande sociale de protection dans la catastrophe ». Son consternant exemple apporte ainsi un utile complément à la critique classique de la bureaucratie. Celle-ci s'appliquait à la façon dont l'État impose à la société ses normes et son contrôle. Désormais c'est tout autant la société - par le biais des hommes quelconques qui s'y mobilisent pour recueillir ses inquiétudes et fabriquer l'image d'une prétendue « société civile » - qui réclame
normes et contrôle. On ne peut s'empêcher de relever, toutes choses égales par ailleurs, à quel point ce marais présente de troublantes similitudes avec ce que Primo Levi, dans Les Naufragés et les Rescapés, désignait comme la zone grise du Lager.
Jaime Semprun,
Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, (page 94)