ngo van,
viêt-nam 1920-1945 : révolution et contre-révolution sous la domination coloniale
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La domination française sur l’ex-royaume d’Annam ne fut jamais quiète. Les soulèvements se succédaient, toujours durement réprimés: l’homme blanc rétribuait les indigènes serviles par de menues prébendes et de dérisoires passe-droits, mais pour les autres c’était: «Plomb, mitraille, prison…» Ruse de l’Histoire: les rebelles ne cessaient de se radicaliser au contact de l’intruse culture occidentale et Rousseau, Baudelaire ou Marx étaient lus avec avidité par des lettrés comme par des autodidactes, qui découvraient là des horizons sans doute insoupçonnables sous la férule du despotisme oriental. C’était aussi le temps où se faisait sentir dans toute l’Asie – convoitée, violentée, spoliée par l’Occident – l’onde de choc des révolutions d’Europe centrale et de Russie. Après que Staline eut poignardé dans le dos la Commune de Shanghai, nombre de militants annamites se détournèrent du Komintern et préférèrent se reconnaître dans le combat que Trotski engagea alors au grand jour contre le maître du Kremlin: le bourreau de Kronstadt avait reproché ostensiblement cette sanglante trahison à son rival – lui qui avait pourtant montré qu’il savait mieux réprimer les insurrections que mener à bien des coups d’État. Les trotskistes vietnamiens d’avant-guerre se distinguaient des sectes se réclamant du fondateur de l’Armée rouge, qui ont essaimé depuis dans certaines contrées, par leur relative absence de dogmatisme: être trotskiste à Saigon, c’était avant tout, par-delà les divergences tactiques, marquer son autonomie face aux léninistes orthodoxes locaux, affidés du futur Hô Chi Minh et instruments dociles des tortueuses menées ourdies derrière les murailles du Kremlin. Tandis que l’opposition antistalinienne recrutait essentiellement en milieu urbain parmi les coolies, ouvriers et employés, les neveux de l’Oncle Hô cherchaient à s’assurer le soutien des masses paysannes, plus nombreuses et malléables, dans la perspective stratégique de l’encerclement des villes par les campagnes – qu’ils pratiquèrent en effet avec obstination jusqu’à étendre leur despotisme sur tout le territoire près d’un demi-siècle plus tard.
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Pendant ce temps, le gouvernement du Front populaire continuait de réprimer à tout va manifestations et grèves en Indochine, mais le bel été des ouvriers français et espagnols ne s’en perpétuait pas moins dans la colonie – malgré les compromissions des staliniens locaux avec les autorités. En novembre 1936 par exemple, plus de 20'000 mineurs de Hon gay Cam pha, dans le Nord, cessèrent le travail pour réclamer – outre le droit de se syndiquer, inconnu dans les colonies de la république, et l’augmentation de leurs salaires de misère – la fin des «sévices corporels, des coups de rotin, de nerf de bœuf, de poing, de pied». Ingrats et douillets «autochtones», qui ne se délectaient point des bienfaits de la civilisation occidentale! En juin 1937, après un an de détention, Ngo Van fut libéré et rédigea aussitôt une brochure dénonçant l’absolue iniquité des procès de Moscou. Ce pamphlet, interdit dès sa parution, circula sous le manteau, de même que d’autres publications séditieuses en vietnamien éditées par Ngo Van et ses camarades.