Aller parce qu'au-delà de la vanne l'article est intéressant:
Fondé il y a 150 ans, l’anarchisme s’est fortement inspiré des horlogers de Saint-Imier
Le mouvement anarchiste a été fondé il y a 150 ans dans le Jura bernois. Et comme le montre une recherche de l’historien Florian Eitel, publiée ce jeudi, ce n’est pas un hasard s’il est né au cœur du monde horloger
Il y a 150 ans, le 15 septembre 1872, quinze dissidents de l’Association internationale des travailleurs, dirigée par Karl Marx, fondent à Saint-Imier, dans le Jura bernois, «l’Internationale anti-autoritaire». Cette réunion marque la naissance du mouvement anarchiste. Intervalles, Revue culturelle du Jura bernois et de Bienne revient sur cet événement qui a eu un retentissement mondial en publiant ce jeudi Le Vallon horloger et ses anarchistes. Une micro-histoire de Saint-Imier et Sonvilier aux débuts de la mondialisation. C’est le résultat des recherches de l’historien Florian Eitel. Voici son interview.
Le Temps: Comment expliquer que le vallon de Saint-Imier soit devenu un vivier de l’anarchisme?
Florian Eitel: Pour s’inscrire dans l’anarchisme, il faut avoir une vision globale du monde et être conscient que les problèmes locaux sont issus de processus globaux. Les horlogers ont rapidement saisi cet «esprit mondial» car ils travaillaient pour l’exportation et ils étaient donc habitués à de bonnes années, suivies de crises, le tout dépendant de la conjoncture mondiale.
Il est tout de même surprenant que l’anarchisme ait connu un tel développement dans une région plutôt reculée?
L’anarchisme a plusieurs racines. Tout d’abord, en Suisse, il y a un esprit républicain et révolutionnaire. Le fédéralisme est aussi une base de pensée dont sortira le communalisme. Sans oublier le socialisme et la première Internationale ouvrière de 1864. Avant l’arrivée à Saint-Imier de Michel Bakounine en 1871, ces idées sont déjà présentes dans la région. Philosophe russe et théoricien de l’anarchisme, il est venu en Suisse car il se passait quelque chose ici. Il arrive comme vieux révolutionnaire pour voir comment ces jeunes horlogers anarchistes vivent. Cette région était un laboratoire de ce qu’on appellera plus tard le syndicalisme révolutionnaire. Des expériences semblables se déroulent également en Italie et en Espagne. Entre ces trois pays, il y a d’ailleurs un fort échange d’idées, grâce notamment aux journaux et à des congrès. Une chose est certaine: sans le contexte de la mondialisation, l’anarchisme n’aurait jamais existé. Les anarchistes profitent des nouveaux moyens de communication et de transport pour construire leur mouvement à un niveau global. C’est une époque d’immenses changements, avec aussi une forte migration. A Saint-Imier, durant les seize ans – entre 1866 et 1882 – où les anarchistes ont été très actifs, la population a augmenté de 2000 personnes, mais durant ce laps de temps, 20 000 adultes ont déposé leurs papiers dans la commune. C’était avant tout de jeunes Alémaniques qui venaient travailler quelques mois ici. Beaucoup d’entre eux ont été attirés par l’anarchisme.
A Saint-Imier, il n’y avait que des horlogers parmi les anarchistes?
Presque. L’industrie dominante est clairement l’horlogerie, qui est une branche complexe avec des métiers très différents. Dans un premier temps, ces horlogers travaillaient chez eux ou dans de petits ateliers. L’usine Longines a été créée en 1867, en même temps que le développement de l’anarchisme.
Comment le patronat considérait-il ces anarchistes?
On s’imagine une forte confrontation, étant donné que les anarchistes étaient contre le capital et l’Etat. Ce n’est pas aussi simple que cela. Au départ, au sein de l’Internationale, il y a des représentants du radicalisme. Ces radicaux – au pouvoir en Suisse depuis 1848 – se considèrent comme les héritiers de la Révolution française. Ils considèrent alors les socialistes ou les anarchistes comme faisant partie de leur famille politique et ils seront tolérants et même respectueux à leur égard, même s’ils critiquent les méthodes utilisées. Ainsi, le journal bourgeois de la région, Le Jura bernois, couvrait les meetings des anarchistes et en faisait des comptes rendus.
Toutefois le patron de Longines est, lui, moins tolérant avec ces anarchistes
Effectivement, Ernest Francillon, qui sera plus tard conseiller national radical, ne tolérera pas la présence du mouvement ouvrier au sein de son usine. Il interdit à ses employés d’être membres de l’Internationale, sous peine de perdre leur travail. Cette décision donnera un fort écho à ce mouvement.
La présence des anarchistes en Suisse n’est pas non plus appréciée par les monarchies européennes.
Depuis Berlin, Paris, Saint-Pétersbourg, Madrid ou Rome, on demande au Conseil fédéral d’intervenir contre ces anarchistes. Dans les archives fédérales, on trouve des lettres où il est écrit qu’à Saint-Imier il y a la cellule terroriste la plus dangereuse d’Europe et qu’il faut absolument intervenir. Le Conseil fédéral répond que la Suisse est une démocratie et qu’elle ne se pliera pas aux souhaits des autres puissances. Mais en 1877, il y aura une rupture suite à une manifestation qui dégénère à Berne. Elle sera suivie d’un procès et certains anarchistes du vallon de Saint-Imier perdront leur travail.
Aujourd’hui, l’anarchisme a-t-il disparu?
Non. Certaines idées de l’anarchisme comme l’autogestion, la décentralisation, ou la désobéissance civile sont entrées dans le mainstream politique. Des mouvements tels qu’Occupy se réfèrent à l’anarchisme. Aujourd’hui, c’est un mouvement global qui compte encore des milliers de militants, mais ce n’est plus spécifiquement un mouvement ouvrier. Il ne faut pas sous-estimer l’apport de la pensée anarchiste au débat politique depuis la chute du mur de Berlin.
Vous battez pas, je vous aime tous