De fait, qui n'a pas été un moment ou à un autre, passagèrement mais non sans effets durables, possédé par la puissance barbare de la technique, tenté par exemple, au volant de sa voiture, d'écraser les passants qui encombrent la trajectoire ?
Par tous les appareils électriques dont on use négligemment, on s'accoutume à la froideur fonctionnelle qui nous happera dans ses hôpitaux ; on appuie sur un bouton pour avoir tout de suite une satisfaction sans effort, et on devient impatient devant tout ce qui n'a pas un résultat immédiat. On perd le tact dans le maniement des choses comme dans le commerce de ses semblables, et la brutalité utilitaire qui gagne se fait passer pour une émancipation, l'accession à une franchise débarrassée des conventions, etc.
Quant à ce qu'il advient de la langue commune dans de telles conditions, il est sans doute inutile d'y insister, puisqu'il a été établi voici longtemps déjà que "toute dégradation individuelle ou nationale est sur-le-champ annoncée par une dégradation rigoureusement proportionnelle dans le langage" ; ce que nous vérifions tous les jours en écoutant nos contemporains.
L'abîme se repeuple