Thomas Bernhard est agacé par la célébrité. Il n'est pas bavard et pas sociable. Il ne répond pas aux sollicitations, raccroche au nez après avoir proféré des propos inintelligibles, refuse le dialogue avec les journalistes car « toute conversation entre inconnus est impossible.»
Thomas Bernhard désire être enterré « comme un chien ». Son vœu est exaucé. Il reste un écrivain de génie et un provocateur récalcitrant, rétif à toute récupération, jusqu'après sa mort puisqu'il interdit à titre posthume la vente de toutes ses œuvres et leur lecture, ainsi que la création de ses pièces de théâtre en Autriche, « pays malpropre », « fumier chaotique », «petit état ridicule, qui sue la prétention.»
Cette ultime volonté n'est pourtant pas respectée. Peter Fabjan, légataire universel, décide de «faire vivre» l'œuvre comme Max Brod l'a fait pour Kafka, dieu merci. Malgré les exécrations envers son pays qu'il abhorre (« Être autrichien est mon plus grand malheur »), la ferme qui lui tient d'invincible bastion se transforme en musée, des plaques routières indiquent aux badauds le chemin pour s'y rendre, et un « sentier Thomas Bernhard » relie entre eux les lieux emblématiques de son œuvre unique et magnifique.
― Patrick Roegiers, Éloge du génie (Vilhelm Hammershøi, Glenn Gould, Thomas Bernhard)