Salut Adrien, peux-tu te présenter et nous expliquer comment est né HyVibe ?
Salut, je m’appelle Adrien Mamou-Mani, je suis PDG et co-fondateur de HyVibe, que j’ai créé en 2017 avec François Beaulier et Matthew Volsky. Notre idée est de transformer les objets en leur propre système de diffusion sonore, par leur vibration, donc sans haut-parleur extérieur. Nous pensons que cela répond à la demande croissante de fonction sonore dans les objets du quotidien et que les haut-parleurs miniatures ne sont pas adaptés à ce contexte.
Notre première solution, le système HyVibe pour guitare, se veut une démonstration de ce principe. La guitare acoustique devient sa propre enceinte, processeur d’effets et looper, le tout par la vibration de sa table d’harmonie.
Quel est ton parcours professionnel / technique et ce qui t'a amené à cette activité ?
Je suis Docteur en Acoustique et Mécanique de l’Université Pierre et Marie Curie (aujourd’hui Sorbonne Université). J’ai été chercheur en France et en Angleterre pendant 10 ans avant de créer HyVibe. Ma spécialité est la mécanique vibratoire et le contrôle. J’ai collaboré avec de nombreux facteurs d’instruments de musique. Ce qui me passionne, c’est d’associer leur savoir-faire avec les sciences et technologies.
J'ai lu que tu étais violoncelliste, guitariste et chanteur de rock à tes heures perdues (s'il t'en reste encore aujourd'hui !). Peux-tu nous en dire plus sur ton parcours de musicien et tes influences musicales ?
J’ai commencé la musique à 4 ans au Conservatoire de Sarcelles. La classe d’initiation était incroyable, nous improvisions sur les structures Baschet et écoutions de la musique concrète autant que des symphonies de Beethoven. Cette approche de la musique a construit mon écoute. Je l’ai retrouvée à 18 ans quand j’ai lu le Traité des Objets Musicaux et A la Recherche d’une Musique Concrète de Pierre Schaeffer. Ces ouvrages m’ont inspiré et ma vocation pour la « recherche musicale » est née.
J’ai en effet appris et joué du violoncelle classique, avec une préférence pour les suites de JS Bach (pas très original !) et la sonate de Ligeti. J’ai eu aussi un groupe de rock français pendant 8 ans avec des amis de collège. Nous jouions des compositions originales, influencées par Téléphone, Hendrix, Radiohead. J’y jouais principalement de la basse (je me disais que ça irait bien pour un violoncelliste…), chant et guitare acoustique.
Aujourd’hui je chante à la guitare ou au piano avec mes enfants du Cole Porter, Gershwin, ou encore Maxime Le Forestier.
Les rencontres avec les compositeurs de musique contemporaine à l’Ircam (par exemple Yan Maresz, Robert Platz, Francesco Filidei, Nicolas Mondon et Juan Arroyo) et pendant les années où j’ai été professeur au CNSMDP m’ont aussi énormément influencé et ont orienté le système pour guitare HyVibe.
Quelle a été la première guitare que tu as possédée ?
J’ai commencé à jouer de la guitare à 11 ans sur une petite guitare classique trouvée au dessus d’un placard chez mes grands parents. Mon père m’a alors appris quelques accords et chansons de Cat Stevens. Mes parents m’ont ensuite offert une Yamaha acoustique. Ma guitare préférée reste ma Takamine EN 10.
Rentrons dans le vif du sujet : qu'est-ce qu'une 'Smart Guitar' ? Est-ce que le terme de guitare augmentée en français te semble approprié ?
Merci de poser cette question. Le mot Smart est devenu tellement à la mode qu’on n’y comprend plus rien. Pour ma part, j’utilise « Smart » dans son acception en mécanique vibratoire. En effet, on appelle les « smart structures » et les « smart materials » des objets ou matériaux qui possèdent une capacité d’adaptation à leur environnement grâce à des capteurs (qui écoutent) et des actionneurs (qui agissent). La transposition de ces concepts aux instruments de musique a été faite dans les années 1990 à l’université Caltech et en parallèle par Charles Besnainou au LAM à Paris. Je m’inscris dans la continuité de ces travaux pionniers et ai adopté ce vocabulaire. L’expression « instrument augmenté » a une autre histoire, liée à la captation gestuelle en temps-réel (par exemple archets augmentés chez Tod Machover), mais ça fonctionne bien en français en effet.
Quelles ont été les évolutions marquantes du système HyVibe, avant d'en arriver aujourd'hui à la gamme de guitares réalisées en partenariat avec Lâg ?
L’ancêtre du système HyVibe est un gros ordinateur de bureau temps réel que nous avions conçu avec Baptiste Chomette (Institut d’Alembert UPMC), Simon Benacchio et Robert Piéchaud à l’Ircam en 2012 et qui permettait de transformer les résonances d’objets vibrants. En 2014, François Beaulier a réussi le tour de force de faire rentrer les mêmes spécifications dans une petite carte électronique. Nous avons alors fait des premiers prototypes d’instruments à cordes, à vent et à percussion, dont une guitare avec le grand luthier Maurice Dupont et Alain Terrier, collègue à l’Ircam. Enfin, depuis la création de HyVibe, nous avons effectué 3 générations de prototypes, dont une avec l’agence parisienne de design No Design, avant d’arriver à une version industrielle satisfaisante qui est aujourd’hui installée sur les guitares Lâg Tramontane HyVibe.
Sauf erreur de ma part, vous aviez présenté les années précédentes un module intégré dans une guitare Martin. Est-il envisagé/envisageable de voir arriver des modules HyVibe à installer dans n'importe quelle guitare acoustique ? voire même dans d'autres instruments ?
Oui, tout à fait. Mais pour l’heure nous avons signé un accord d’exclusivité avec Lâg et le groupe Algam, nous espérons que ce partenariat nous emmènera le plus loin possible.
A qui s’adressent les guitares HyVibe (ou les modules si tu préfères), musiciens amateurs, confirmés ou pro ? Peut-on récupérer les sons générés par la guitare pour l'envoyer vers une sono et se produire sur scène ?
Ca peut sembler bizarre mais les guitares HyVibe s’adressent à tout le monde. Nous espérons que l’ensemble des fonctionnalités proposées fait que chaque guitariste y trouve son bonheur, aussi bien pour jouer entre amis que dans une relation professeur/élève physique ou en ligne, ou sur scène puisqu’on peut les brancher sur un ampli ou une sono comme une électroacoustique « normale ».
Quels sont les problèmes majeurs que tu as rencontrés ou que tu rencontres encore depuis le lancement de ton activité ?
La première grosse difficulté a été la recherche de fonds nécessaires pour l’industrialisation du système. Grâce au fonds d’investissement IT Translation, mes proches, BPI France et BNP Paribas, nous avons réussi. Deuxième difficulté, la recherche de la bonne marque de guitare avec qui construire un partenariat. Je suis très heureux d’avoir rencontré Gérard Garnier, président d’Algam au salon de la Belle Guitare en 2018 grâce à Jacques Carbonneaux, on ne rencontre pas une personne visionnaire tous les jours !
Le mot de la fin, ton message à la communauté de Gcom ?
Sans vouloir jouer les Cassandre, je pense que la guitare risque d’être marginalisée dans les prochaines années, au profit d’outils informatiques. Je continue à y voir l’instrument populaire par excellence et j’imagine qu’une bonne partie de la communauté de Gcom aussi. Continuons à créer et à transmettre aux plus jeunes notre passion pour ce bel instrument.
Le site internet www.hyvibe.audio