Je ne résiste pas au plaisir de coller ici une ancienne mais brillante chronique d'un ami, aujourd'hui devenu critique (c'est dire s'il est payé pour énerver les gens
Citation:
Si Roxy Music avait été de la cuisine, nous aurions ressemblé à un plat tiré du bouquin de recettes futuriste Car Crash de Marinetti, un hémisphère de purée de dattes posé sur un hémisphère de purée d'anchois dans une boule, le tout servi avec du jus de framboises. Virtuellement immangeable mais matériellement réalisable.
Andy MacKay
Avant de devenir l'orchestre de bal du Ferry, il n'y avait aucun doute :
Roxy Music était bien le
Velvet Underground anglais. Les préoccupations pop de
Bryan Ferry/Lou Reed étaient malmenées par les sabotages bruitistes de leur frère ennemi Brian Eno/John Cale. Tous deux ont eu comme toile de fond le Pop Art. Tous deux ont pondu un premier album séminal, parmi les meilleurs dans la catégorie Premier Album. Reed écrit le spleen pré-shoot & post-shoot, trempe sa plume dans le Times Square louche et crasseux. Bryan Ferry lui est obsédé par la gueule de bois après le champagne et la fin de l'Amour dans
Casablanca et
Gatsby Le Magnifique. Triste chair donc. Mais même les playmates qu'allonge Ferry sur ses pochettes d'album sont aussi conceptuelles qu'une banane warholienne : il s'agit toujours de peler doucement et de voir sous la surface.
Reprenons. De quoi s'agit-il ? En 1971, lorsque Ferry imagine Roxy, il pense en termes de collage. L'homme aime le rock, Otis Redding et tout un pan de l'Americana allant d'Elvis à Bogart, de Cole Porter à Warhol. A Newcastle, pdt ses études d'art, il aura comme maître à penser Richard Hamilton, pape du Pop Art britannique. Tout en bricolant ses compos sur un harmonium, il pense Roxy en termes d'image(s) à une époque où MTV n'est même pas une rêve de science-fiction. Roxy Music sera alors juxtaposition : on demande à
Andy McKay, hautboïste de passer au saxophone - McKay sera probablement le meilleur sax du rock, à peu près incapable de noyer Roxy dans le sirop.
Phil Manzanera, le guitariste from Caracas, adore les Beatles et Robert Wyatt.
Paul Thompson est un solide batteur de rock.
Brian Eno ne sait jouer de rien, sauf de son synthé néolithique qui fait bip-bip. Ferry croone comme Dracula ou un Norman Bates maniéré avec des fringues Courrèges. Et le bassiste sera tjrs remplaçable. Roxy sera toujours glamour, préoccupé par les surfaces et l'apparence, ironise sur la jet-set. En bref : si c'est beau, c'est beau mais c'est suspect.
Roxy Music - 1972
Album éponyme, produit par
Pete Sinfield (parolier de King Crimson et de Céline Dion). Coup d'essai et de maître, même s'il s'agit plus d'un pot-pourri d'influences, de tout ce qu'on retrouvera ensuite chez Roxy, que d'un disque réellement cohérent. Roxy invente le rock rétro-futuriste (le 21eme siècle vu par les années 50, sorte de version sexy et glamour du cartoon
"House of tomorrow" de Tex Avery), contaminé par Hollywood, le kitsch, l'ironie et l'avant-garde. Something completely different. On y entend un peu de zique contemporaine, planante (l'intro de
Ladytron), du cabaret weillien, de la country spatiale (
If there is something), As Time goes by (le bogartien
2HB), le blitzkrieg (
The B.O.B.). Le génial
Re-make/Re-model est une photographie parfaite des intentions de Roxy: du rock carré saboté par des dissonances et les paroles de Ferry, dont on ignore s'il s'adresse à une demoiselle ou à une voiture, pour s'achever en une enfilade de mini-soli pour chaque musicien, citant Wagner ou les Beatles. Ca pourrait être de la musique de branleurs intellos s'astiquant le pinceau mais l'extraordinaire single
Virginia Plain est un tube instantané, sans renier leur méthode : mélodie redoutable et collision de mots ressemblant à s'y méprendre à un collage de photos sur une Amérique fantasmée des drive-in et des casinos de Végas.
Visuel et concept : le look de Roxy sera indissociable de sa musique. Ferry emballe l'album sous une pochette rose où une pin-up genre carlingue de B'52's et limite mauvais goût vous regarde, les yeux peinturlulés de promesses. Sur scène, la bande est habillée en... quoi d'ailleurs ? Lunettes yeux-de-mouche, platform boots, paillettes, peaux de léopard, cuir, skaï et la banane de Ferry est du genre à éborgner Elvis tandis qu'Eno ressemble au chambellan bisexuel du Parlement Intergalactique.
For your pleasure - 1973
Album favori de Ferry, second classique instantané. L'album est plus concis, plus discipliné (les bidouillages sonores d'Eno se fondent davantage dans le mixage).
Chris Thomas (prod de Procol Harum, Sex Pistols et Pulp) est au manettes. Les obsessions arty et d'ironie sont toujours là (la charge furieuse qu'est
Do the Strand, la danse de toutes les danses, portée par les envolées stratosphériques de sax par McKay) convoyées par l'imagerie d'un sombre Hollywood pulp circa 50's parallèle, d'une nuit de fête permanente en ville, où les reines de beauté se réveillent sur le cul (
Beauty Queen), l'amour est un cliché reproduit à l'infini (
Editions of you) & où Ferry and co se présentent
" en partie vrais, en partie faux comme toute chose " (
For your pleasure). Pièce maîtresse de l'album : le célèbre
In Every Dream Home a Heartache, contant l'histoire d'amour impossible entre un milliardaire humide perdu à Xanadu et sa poupée gonflable, flottant dans sa piscine. Chanson funèbre, électrique au sens électrochoc et véritable " Que sais-je " de 5 mn sur l'univers chic et tic de Roxy, qui explore le vide du mode de vie des stars et la morosité du consommateur.
Visuel et concept :
Amanda Lear et sa panthère sur la pochette du disque, en noire jet-setteuse. Ferry anticipait déjà la dictature des Top Models pour faire vendre. Les costards de fêtards martiens sont tjrs là.
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Stranded - 1973
Ferry a éjecté Eno et son synthé (clash d'égo). Ce troisième album gicle pdt une année très prolifique pour le Fez qui a pondu un album de reprises (
These foolish things). Stranded, le plus faiblard de la période, est marqué par ces chamboulements où Fez est plus que jamais le capitaine du bateau : l'écriture est plus mélodique, classique mais Roxy semble vouloir compenser l'absence des sabotages d'Eno par plus de surproduction et de zigouigouis soniques pas très spontanés (mode " tiens si on rajoutait un truc dessus "). En gros, ils en font un peu trop, parfois pas assez (le single
Street life est une pâle copie d'
Editions of you,
Psalm est HS). Restent deux perles :
Mother of pearl où Ferry est plus que jamais LE milliardaire blasé qui a tout vu toutes les nues et tout bu ; et
A Song for Europe, hymne europhile déchirant où le Fez se prend pour Piaf.
Visuel et concept :
Marilyn Cole la playmate pose stranded (échouée) dans la jungle, humide comme si la mousson l'avait emportée et maquillée comme une voiture volée. Ferry se détache du groupe avec sa propre marque, son uniforme : LE smoking blanc de Bogart. Avec sa banane, on dirait un 007 louche.
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Country Life - 1974
La pop-ification continue mais avec de meilleurs résultats : l'album est rêche et constitue l'heure de gloire de Phil Manzanera dont les guitares déchirent les compos. Roxy joue à l'orchestre du Titanic sur
The Thrill of it all, aux Sept Mercenaires sur
Prairie rose, et au Violon sur le Toit avec
Out of the Blue. Ferry remet
Casanova à sa place, picole sur Berlin Alexanderplatz dans
Bitter-sweet. Un critique évoquait le Berlin des années 20 à propos de l'album :
Country Life est bien la fête la veille du carnage.
Visuel et concept : Constance et Evalyn sur la pochette en sous-vêtements, avec un sous-tif pour 2, émergeant des fourrés. Ferry sur scène passe du look de gaucho (Nick Kent l'appelle le
George Lazenby du marché du corned-beef argentin) à celui de Commandant de bord de jet, avec écussons et bottes.
Siren - 1975
Ouais, l'écriture s'assèche jusqu'à l'aridité. Les critiques américains - de 75 à nos jours - adorent cet album, sans doute plus accessible, plus aquarelle avec bcp d'eau que collage. Pas la faute à la prod glaciale et intéressante mais aux chansons bof. Il y a au moins un classique :
Love is the Drug, single funky génial, presque polaire où le sexe a le toucher d'une capote froide. Surtout, la passion n'est plus au RDV et le groupe splitte momentanément après la tournée.
Visuel et concept :
Jerry Hall, la copine de l'époque du Fez, est une sirène bleue sur les récifs de l'amour. Fez compose probablement son meilleur look : GI période Elvis dans
GI Blues, entrevoyant déjà la hype des fringues militaires dans la mode.
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Viva (live) - 1976
Live presque testamentaire pour l'époque, dont Manzanera a pioché perso les titres entre 73 et 75 : n'est pas du tout représentatif de la période Eno. On touche là au Roxy militaro-chic circa 74. Les versions sont parfois brouillonnes entre le meilleur (
Out of the Blue touché par la grâce) et le bof (
In Every Dream Home a heartache version Godzilla).
A venir, Roxy 1979 - à nos jours