Roxy Music !!!

Rappel du dernier message de la page précédente :
Neredev
Aha, deux pages.
Etonnant.



J'ai vu que Roxy Music passait à Berlin pendant que j'y trainerai mes guêtres, ça vaut quoi cette reformation?

...ok, j'ai bien une idée de la réponse, mais...?
Mark Twang
Dire que je suis fan de Roxy Music serait un euphémisme. J'ai découvert la musique par Roxy Music, au collège en 1987. Je suis arrivé après la bataille, et pourtant... Le choc, ça a été Avalon. je l'ai écouté entendu un soir à la radio alors que j'étais censé dormir depuis TREEEES longtemps. Le lendemain, le morceau m'a obsédé toute la journée.
Le surlendemain, j'ai pris mon vélo et remonté une nationale que je n'avais pas le droit d'emprunter pour me rendre au centre commercial le plus proche (environ 6 km). J'ai trouvé la cassette et là, regrosse baffe en entendant More Than This... puis The Main Thing.
J'ai écumé par la suite toutes les boutiques et j'ai mis la main sur Viva!
Mon univers s'effondrait... comment le groupe qui avait fait Avalon pouvait avoir produit un truc dissonant, tout plein de wah wah, avec un son de saxo tout bizarre ?
Mais je n'avais que deux cassettes alors forcément, j'ai fini par la réécouter... jusqu'à ce que mes oreilles s'ouvrent et que je devienne totalement accro. Alors j'ai tout acheté, en vinyle au marché aux puces c'était moins cher et plus joli. Ahhhh, ces pochettes sulfureuses
Par Roxy Music j'ai démarré fort : un groupe qui mixait toutes les influences, l'amour fou et la parodie, le look et l'anti consumérisme. Je ne sais pas si ça a un rapport, mais j'ai fini par découvrir l'art tout court quelques temps après. Alors oui, Roxy Music a compté et compte toujours pour moi.
Mark Twang
Je ne résiste pas au plaisir de coller ici une ancienne mais brillante chronique d'un ami, aujourd'hui devenu critique (c'est dire s'il est payé pour énerver les gens )
Citation:

Si Roxy Music avait été de la cuisine, nous aurions ressemblé à un plat tiré du bouquin de recettes futuriste Car Crash de Marinetti, un hémisphère de purée de dattes posé sur un hémisphère de purée d'anchois dans une boule, le tout servi avec du jus de framboises. Virtuellement immangeable mais matériellement réalisable.
Andy MacKay

Avant de devenir l'orchestre de bal du Ferry, il n'y avait aucun doute : Roxy Music était bien le Velvet Underground anglais. Les préoccupations pop de Bryan Ferry/Lou Reed étaient malmenées par les sabotages bruitistes de leur frère ennemi Brian Eno/John Cale. Tous deux ont eu comme toile de fond le Pop Art. Tous deux ont pondu un premier album séminal, parmi les meilleurs dans la catégorie Premier Album. Reed écrit le spleen pré-shoot & post-shoot, trempe sa plume dans le Times Square louche et crasseux. Bryan Ferry lui est obsédé par la gueule de bois après le champagne et la fin de l'Amour dans Casablanca et Gatsby Le Magnifique. Triste chair donc. Mais même les playmates qu'allonge Ferry sur ses pochettes d'album sont aussi conceptuelles qu'une banane warholienne : il s'agit toujours de peler doucement et de voir sous la surface.

Reprenons. De quoi s'agit-il ? En 1971, lorsque Ferry imagine Roxy, il pense en termes de collage. L'homme aime le rock, Otis Redding et tout un pan de l'Americana allant d'Elvis à Bogart, de Cole Porter à Warhol. A Newcastle, pdt ses études d'art, il aura comme maître à penser Richard Hamilton, pape du Pop Art britannique. Tout en bricolant ses compos sur un harmonium, il pense Roxy en termes d'image(s) à une époque où MTV n'est même pas une rêve de science-fiction. Roxy Music sera alors juxtaposition : on demande à Andy McKay, hautboïste de passer au saxophone - McKay sera probablement le meilleur sax du rock, à peu près incapable de noyer Roxy dans le sirop. Phil Manzanera, le guitariste from Caracas, adore les Beatles et Robert Wyatt. Paul Thompson est un solide batteur de rock. Brian Eno ne sait jouer de rien, sauf de son synthé néolithique qui fait bip-bip. Ferry croone comme Dracula ou un Norman Bates maniéré avec des fringues Courrèges. Et le bassiste sera tjrs remplaçable. Roxy sera toujours glamour, préoccupé par les surfaces et l'apparence, ironise sur la jet-set. En bref : si c'est beau, c'est beau mais c'est suspect.

Roxy Music - 1972


Album éponyme, produit par Pete Sinfield (parolier de King Crimson et de Céline Dion). Coup d'essai et de maître, même s'il s'agit plus d'un pot-pourri d'influences, de tout ce qu'on retrouvera ensuite chez Roxy, que d'un disque réellement cohérent. Roxy invente le rock rétro-futuriste (le 21eme siècle vu par les années 50, sorte de version sexy et glamour du cartoon "House of tomorrow" de Tex Avery), contaminé par Hollywood, le kitsch, l'ironie et l'avant-garde. Something completely different. On y entend un peu de zique contemporaine, planante (l'intro de Ladytron), du cabaret weillien, de la country spatiale (If there is something), As Time goes by (le bogartien 2HB), le blitzkrieg (The B.O.B.). Le génial Re-make/Re-model est une photographie parfaite des intentions de Roxy: du rock carré saboté par des dissonances et les paroles de Ferry, dont on ignore s'il s'adresse à une demoiselle ou à une voiture, pour s'achever en une enfilade de mini-soli pour chaque musicien, citant Wagner ou les Beatles. Ca pourrait être de la musique de branleurs intellos s'astiquant le pinceau mais l'extraordinaire single Virginia Plain est un tube instantané, sans renier leur méthode : mélodie redoutable et collision de mots ressemblant à s'y méprendre à un collage de photos sur une Amérique fantasmée des drive-in et des casinos de Végas.

Visuel et concept : le look de Roxy sera indissociable de sa musique. Ferry emballe l'album sous une pochette rose où une pin-up genre carlingue de B'52's et limite mauvais goût vous regarde, les yeux peinturlulés de promesses. Sur scène, la bande est habillée en... quoi d'ailleurs ? Lunettes yeux-de-mouche, platform boots, paillettes, peaux de léopard, cuir, skaï et la banane de Ferry est du genre à éborgner Elvis tandis qu'Eno ressemble au chambellan bisexuel du Parlement Intergalactique.


For your pleasure - 1973


Album favori de Ferry, second classique instantané. L'album est plus concis, plus discipliné (les bidouillages sonores d'Eno se fondent davantage dans le mixage). Chris Thomas (prod de Procol Harum, Sex Pistols et Pulp) est au manettes. Les obsessions arty et d'ironie sont toujours là (la charge furieuse qu'est Do the Strand, la danse de toutes les danses, portée par les envolées stratosphériques de sax par McKay) convoyées par l'imagerie d'un sombre Hollywood pulp circa 50's parallèle, d'une nuit de fête permanente en ville, où les reines de beauté se réveillent sur le cul (Beauty Queen), l'amour est un cliché reproduit à l'infini (Editions of you) & où Ferry and co se présentent " en partie vrais, en partie faux comme toute chose " (For your pleasure). Pièce maîtresse de l'album : le célèbre In Every Dream Home a Heartache, contant l'histoire d'amour impossible entre un milliardaire humide perdu à Xanadu et sa poupée gonflable, flottant dans sa piscine. Chanson funèbre, électrique au sens électrochoc et véritable " Que sais-je " de 5 mn sur l'univers chic et tic de Roxy, qui explore le vide du mode de vie des stars et la morosité du consommateur.

Visuel et concept : Amanda Lear et sa panthère sur la pochette du disque, en noire jet-setteuse. Ferry anticipait déjà la dictature des Top Models pour faire vendre. Les costards de fêtards martiens sont tjrs là.

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Stranded - 1973


Ferry a éjecté Eno et son synthé (clash d'égo). Ce troisième album gicle pdt une année très prolifique pour le Fez qui a pondu un album de reprises (These foolish things). Stranded, le plus faiblard de la période, est marqué par ces chamboulements où Fez est plus que jamais le capitaine du bateau : l'écriture est plus mélodique, classique mais Roxy semble vouloir compenser l'absence des sabotages d'Eno par plus de surproduction et de zigouigouis soniques pas très spontanés (mode " tiens si on rajoutait un truc dessus "). En gros, ils en font un peu trop, parfois pas assez (le single Street life est une pâle copie d'Editions of you, Psalm est HS). Restent deux perles : Mother of pearl où Ferry est plus que jamais LE milliardaire blasé qui a tout vu toutes les nues et tout bu ; et A Song for Europe, hymne europhile déchirant où le Fez se prend pour Piaf.

Visuel et concept : Marilyn Cole la playmate pose stranded (échouée) dans la jungle, humide comme si la mousson l'avait emportée et maquillée comme une voiture volée. Ferry se détache du groupe avec sa propre marque, son uniforme : LE smoking blanc de Bogart. Avec sa banane, on dirait un 007 louche.

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Country Life - 1974


La pop-ification continue mais avec de meilleurs résultats : l'album est rêche et constitue l'heure de gloire de Phil Manzanera dont les guitares déchirent les compos. Roxy joue à l'orchestre du Titanic sur The Thrill of it all, aux Sept Mercenaires sur Prairie rose, et au Violon sur le Toit avec Out of the Blue. Ferry remet Casanova à sa place, picole sur Berlin Alexanderplatz dans Bitter-sweet. Un critique évoquait le Berlin des années 20 à propos de l'album : Country Life est bien la fête la veille du carnage.

Visuel et concept : Constance et Evalyn sur la pochette en sous-vêtements, avec un sous-tif pour 2, émergeant des fourrés. Ferry sur scène passe du look de gaucho (Nick Kent l'appelle le George Lazenby du marché du corned-beef argentin) à celui de Commandant de bord de jet, avec écussons et bottes.

Siren - 1975


Ouais, l'écriture s'assèche jusqu'à l'aridité. Les critiques américains - de 75 à nos jours - adorent cet album, sans doute plus accessible, plus aquarelle avec bcp d'eau que collage. Pas la faute à la prod glaciale et intéressante mais aux chansons bof. Il y a au moins un classique : Love is the Drug, single funky génial, presque polaire où le sexe a le toucher d'une capote froide. Surtout, la passion n'est plus au RDV et le groupe splitte momentanément après la tournée.

Visuel et concept : Jerry Hall, la copine de l'époque du Fez, est une sirène bleue sur les récifs de l'amour. Fez compose probablement son meilleur look : GI période Elvis dans GI Blues, entrevoyant déjà la hype des fringues militaires dans la mode.

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Viva (live) - 1976



Live presque testamentaire pour l'époque, dont Manzanera a pioché perso les titres entre 73 et 75 : n'est pas du tout représentatif de la période Eno. On touche là au Roxy militaro-chic circa 74. Les versions sont parfois brouillonnes entre le meilleur (Out of the Blue touché par la grâce) et le bof (In Every Dream Home a heartache version Godzilla).


A venir, Roxy 1979 - à nos jours
Mark Twang
Citation:
Roxy Music - 1979 : Remake/Remodel 2

Roxy splitte en 1976, les gars étant un peu fatigués les uns des autres et Ferry voulant se consacrer à sa carrière solo. Celle-ci battant de l'aile après l'échec de son pourtant très bon The Bride Stripped Bare - 78 - Ferry reforme les troupes. Fini les extravagances glam (Ferry avait déjà mis la pédale douce à partir de Stranded) et on attaque les US, qui ont toujours résisté à l'anglitude atypique de Roxy, avant tout une lecture britannique et distanciée d'un certain rêve américain. Cette dernière période sera la plus commerciale, financièrement gratifiante mais plus pauvre artistiquement. La mélancolie ferryesque éclate, l'humour est au tiroir. Roxy sera à peu près le seul groupe début 70's - avec Bowie - à être respecté par les punks et new wavers, qui se sont souvent rencontrés lors de concerts du groupe.

Manifesto - 1979


Divisé en une east side européenne et une west side influencée US : la première euro-face recycle certains tics roxyesques mais plus en policés (Stronger through the years = In Every Dream Home a Heartache + une grosse basse). Un semi-plantage : le punk bourgeois de Trash. Restent quoi ? Angel Eyes, écho bruitiste du Roxy première manière - ensuite remaniée brillamment en version disco irrésistible pour le single. Et surtout Manifesto, la chanson-titre, trip expérimental et ambitieux, vaguement orientalisant et parcouru par une basse ophidienne et menaçante. La face B disco-soul est totalement inutile, pas déshonorante mais un peu indigne de Roxy... mais d'où émerge l'entêtant Dance Away, la chanson préférée des coiffeurs.

Visuel et concept : preuve de " maturité " (fini le syndrome Helmut Newton), la pochette pop-art montre une fête glacée où les cotillons pleuvent sur une foule de mannequins de vitrine, habillés dernière mode. Glamour et bizarre. Sur scène, les gars se muent en pré-yuppies (costards italiens et cravate), incarnations de l'homo urbanus chicus (décor moche avec deux piliers faisant Palais de Ming chez Flash Gordon). Ferry ne renonce pas pour autant à un peu de fond de teint et porte un impossible costume en cuir rouge.

Flesh + Blood - 1980


Enregistrée à la va-vite et pas dans les meilleures conditions (Paul Thompson éjecté, reprises, absence de McKay ou Manzanera sur certains titres, Ferry à la guitare :shock: ). Probablement l'album le plus épuré du groupe, qui tout comme Siren, souffre de compos faiblardes (Over you, mon dieu... un My Only Love étiré jusqu'à l'os) où les idiosyncrasies ferryennes (il était très verbeux dans ses lyrics) se diluent dans la soupe FM-new-wave-groovy. Mais voilà, Ferry a rarement aussi bien chanté. Emergent la ballade Oh yeah (on the radio) un brin dissonante et surtout The Same Old Scene, exercice superbe de new wave mélanco-funky, tout en falsetto, et accessoirement photocopié par Duran Duran sur leurs premiers disques (Planet Earth, anyone ?).

Visuel et concept : nymphettes olympiques sorties d'un photo-shoot improbable de Leni Rienfensthal (en fait une pochette de Peter Saville). " Maturité " encore puisque les filles sont assez désexualisées (mais néanmoins charmantes). Concept très bon (" Flesh + Blood ") mais le problème est que les chansons sont parfois " skin + bones ". Sur scène, tous en blanc (chemisettes et futal)! Ferry ressemble à un vacancier au Bahamas (ou pire, à un officier de La Croisière s'amuse !). On fout des stores vénitiens à l'arrière de la scène, on éteint les lumières : effet garanti.

Avalon - 1982


Roxy découvre les studios multipistes cyclopéens, Nassau et la schnouf. Avalon est l'album qui demeure dans la mémoire du public, un disque classieux, luxuriant (24, 36, 48 pistes ?) et velouté. Les bruitistes iconoclastes de 1972 sont devenus des pros, des orfèvres d'une pop funky, sensuelle et bourgeoise (tory-de ?)... mais d'où pointe une tristesse incroyable. Le disque est presque brumeux, les paroles en deviennent abstraites. Mais trop occupés à bricoler, enfouir les compos sous la prod, Fez et sa bande nous pondent un album criminellement trop court (deux instrumentaux d'à peine 2 minutes - Eno a du se marrer - et une face B pondu par Ferry solo en 1981). Mais qui peut résister à l'automnal More than this et son Ferry asexué comme un ange, à la langueur d'Avalon, à la claustrophobie à deux de Take a chance with me et au beat pervers de The Main Thing (et son clip anthologique tourné à Pigalle, featuring Clémentine Célarié herself) ? Pas grand monde, semble-t-il.

Visuel et concept : Peter Saville bosse à nouveau pour la pochette médiévale, montrant une dame en cape et casque avec faucon, vue de dos devant un lac irlandais mangé par la brume. Classieux, anglais, inaccessible (comme le royaume d'Avalon et comme la dame sur la photo, alias Madame Lucy Ferry). Sur scène, tout le monde s'habille n'importe nawak et Ferry en revient au smoking blanc. Une valeur sûre.

Heart Still Beating - 1990 / The High Road (Dvd) - 2002


Live à Fréjus (double bill avec King Crimson période Beat), Heart présente Roxy avant le split en pros déroulant impeccablement une tracklist piochant sur leurs 10 ans de carrière, avec euh... l'énergie de trentenaires ayant un job à faire ? Plus de musicos sur scène mais moins de danger. Heart et le dvd High Road proviennent du même concert (sauf pour 4 titres interprétés plus pros et plus chiants tirés du EP High Road, EP qui n'est pas identique à la vidéo, ouais c'est compliqué) mais on préférera le dvd un poil plus brut dans le son (une reprise sympa et incongrue de Like a Hurricane de Neil Young) et avec plus de chansons (la version vitaminée de Do the Strand évoque enfin le Roxy des débuts). Rideau. Split.

Roxy Music Live (CD et DVD) - 2003


En 2001, sur la base d'une crédibilité jamais entamée (ouais, Radiohead les adore) et d'un chèque (et parce que Ferry a failli clamser lors d'une prise d'otages dans un avion et qu'on ne vit donc qu'une fois), Ferry, Manzanera, MacKay, Thompson se reforment pour une tournée mondiale (avec des musicos de Ferry et Chris Spedding à la guitare quand même). Ouf, heureusement pas l'ombre d'une nouvelle chanson en vue. Quinqua ou pas, la bande a la pêche et le prouve (Remake/Remodel puissance 10, en guise de mise en bouche pour chaque concert, remet les pendules à l'heure). On pouvait craindre la re-formation mal décongelée mais la bande, en piochant surtout dans le répertoire début 70's, assure.

PS : ne pas oublier un très bon album oublié de Roxy - Here come the warm jets (1973). Tout le monde est là : Eno, Manzo, McKay, Thompson. Ouais... pas Ferry. Mais Robert Fripp et ses guitares froissées est de la partie sur ce premier solo de Eno, qui bricole ses compos comme il le peut (sans savoir écrire en fait), et réussit des chansons bizarres, métalliques mais concassées (l'infernal Baby's on fire). Un must.

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