Chronique du dernier album de Peter Gabriel "Scratch My Back" parue dans Le Monde du 19 février 2010 :
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Publié en 1992, l'album Us, de Peter Gabriel, avait été suivi dix ans plus tard par Up. On attendait maintenant I/O, sa suite plus ou moins régulièrement annoncée par le chanteur anglais, qui vient de fêter ses 60 ans. Or, surprise, voici un album de reprises, Scratch My Back. Soit douze chansons, de Heroes, de David Bowie, Street Spirit (Fade Out), de Radiohead, avec des thèmes de Paul Simon, Talking Heads, Lou Reed, Arcade Fire, Randy Newman ou Neil Young.
Le disque a été réalisé sans guitares électriques, ni claviers électroniques ou ordinateurs, sans basse et batterie mais avec un ensemble orchestral de cordes frottées, de cuivres et anches. C'est la Grande-Bretagne et les Etats-Unis pop et rock que revisite de façon radicale Gabriel, pour l'essentiel celle des années 1980 aux années 2000 - sauf dans la version "collector", où l'on trouve Waterloo Sunset des Kinks (1967).
On n'attendait pas l'ancien chanteur du groupe Genesis, de 1967 à 1975, dans un album de reprises rock, même si, au début de sa carrière solo, il a chanté en concert Ain't That Peculiar, rendu célèbre par Marvin Gaye, ou All Day And All of The Night, des Kinks. Depuis son premier album, publié en 1977, Peter Gabriel a construit un univers complexe, avec un intérêt précoce pour les musiques non occidentales et les développements électroniques. Sans références à Genesis ou à des héros de jeunesse.
Scratch My Back ne se laisse pas apprécier d'emblée. Un ensemble à cordes et la présence du producteur Bob Ezrin pouvait faire espérer une forme de spectaculaire. Ezrin avait créé un son énorme pour le premier album de Peter Gabriel, et a travaillé pour Alice Cooper, Berlin, de Lou Reed, et The Wall, de Pink Floyd. Il n'en est rien. Toutes les chansons, y compris celles qui furent dansantes, sont traitées sur tempo lent. Les parties orchestrales jouent le minimalisme - parfois il n'y a que la voix de Gabriel et un piano - plutôt que la symphonie. Peu à peu, on est pris par ce parti-pris, une monotonie qui devient envoûtement.
Oublier les originaux
Mettre côte à côte, des monstres comme David Bowie, Randy Newman ou Neil Young, et des artistes plus jeunes comme Arcade Fire, Bon Iver, Elbow ou Regina Spektor, donne l'impression de vouloir capter tous les publics. Seul The Book of Love, des Magnetic Fields, est au niveau des grands anciens - la version de Gabriel date de 2004, pour le film Shall We Dance avec Susan Sarandon et Richard Gere.
Puis, à l'écoute, les chansons anecdotiques gagnent en profondeur au contact des aînés. L'on finit par oublier les originaux. Cela donne un ensemble intrigant, sombre, pas facile. Un album "de" Peter Gabriel et non "par" Peter Gabriel. Dans le livret qui accompagne le CD, il explique que son projet était de confier à chaque artiste représenté dans Scratch My Back le soin de le reprendre à leur tour. Ce qui aurait donné un deuxième album. A ce jour, cette collaboration n'a donné qu'un single numérique, qui contient The Book of Love, des Magnetic Fields, et la reprise par le leader du groupe, Stephin Merritt, de Not One of Us, de Gabriel.
Sylvain Siclier