L’existence, c’est communément le fait d’être dans l’expérience. La rose dans le vase « existe », elle est là près de ma main, elle rayonne son existence dans la perception que je puis en avoir, elle se donne dans ses formes délicates et son parfum. Elle existe en ce sens pour moi, dans la conscience que j’en ai. Mais elle est dans l’ordre des choses et dans l’ordre de la Nature. Nous disons à l’enfant qui grandit : « mais non, le père Noël n’existe pas » et il est déçu, il croyait dans son existence.
Cependant, nous ne pouvons pas mettre toute existence sur le même plan. En tant qu’être humain, je n’existe pas à la manière d’une chose et la seule référence à ma place dans la nature ne suffit pas à m’indiquer où est le sens de mon existence. On pourrait bien sûr dire qu’exister, c’est simplement vivre, mais exister est-ce seulement vivre ? Ce mot « vivre » n’est-il pas bon seulement pour désigner une existence seulement vitale ou l’existence de l’animal qui effectivement, d’un point de vue biologique « vit ».Mais sait-il seulement qu’il existe ? Aurai-je seulement le sentiment d’exister si je me contentais de « vivre » ?
selon Sartre, l’existence n’a pas de justification nécessaire : cela veut dire, qu’après tout, il n’y a pas de raison pour laquelle ceci ou cela existe plutôt ainsi qu’ autrement.
l peut paraître assez étrange de choisir une expérience qui est la perte du sens de l’existence pour caractériser justement le sens de l’existence.
La perte de sens semble une perte de soi, perte d'affirmation, perte de la confiance en soi. Faiblesse. Que se passe-t-il quand l’esprit devient faible et qu’ ainsi la vie devient faible ? L’existence semble s’effondrer. C’est comme si autour de moi tout s’écroulait. Mes doigts glissent sur la paroi des choses et je ne peux plus m’accrocher à rien, je tombe, je m’effondre dans l’angoisse. Au moment où je m’effondre, les choses, les objets, les personnes mêmes cessent d’avoir pour moi un sens. Si mon existence n’a pas de sens, plus rien n’a de sens. Je me dis : « à quoi bon ? » A la limite, tout m’indiffère, tout me dégoûte. Inutile de chercher très loin le prototype de cette expérience, il suffit d’entrer dans le vécu de la dépression pour éprouver et comprendre l’effondrement du sens de l’existence dans l’absurdité.
Ce qu’implique existentiellement la dépression. La vigilance quotidienne maintient la pression, maintient une tension, des exigences, elle est toujours sous la coupe d’un devoir-être :
" Fais attention. Tu dois ceci, tu dois cela, tu devras ceci, tu devras cela. Prend soin de ton avenir. Tu dois devenir quelqu’un".
La pression sociale vient d'une identification. Je suis moi-même pétri de désirs de toutes sortes, qui me tire vers demain et m’installent dans l’attente. Le futur m’appelle et son appel rend mon présent insignifiant et ma réalité fade et inconsistante.
C’est seulement quant la Vie coïncide avec elle-même en nous, dans l’instant présent, sans la moindre distance, qu’elle connaît l’épanouissement de la Force et du Sens. La donation entière de la plénitude de la Vie est disponible pour autant que je ne me dégage pas de la Vie elle-même. Alors seulement la Vie est réellement vécue, et elle est alors un renouvellement constant de l’intérêt vers le Monde. Elle est une passion sans motif, une Passion suspendue dans un pur intérêt, un émerveillement renouvelé devant ce qui est. Dans cette conscience, ce n’est pas le sentiment du vide de sens qui domine, mais tout à l’inverse celui d’une richesse de sens que la pensée ne peut pas circonscrire. La Vie est elle-même son propre intérêt, elle est la Passion de l’Être à exister. Elle trouve son sens en elle-même dans sa propre expansion de soi. Le vide de l’existence, est posé par le rétrécissement du champ de l’intérêt que provoque la pensée, projetant le sens dans un avenir sous la forme d’un objet limité.
C’est seulement quand je me donne corps et âme à chaque instant que j’ai le sentiment que la Vie est une aventure pleine de sens. L'existence et l'essence sont simultanées. Les sous-produits de la pensée, comme le « désir », ou l'« engagement », ne suffisent pas pour rejoindre le courant naturel d’expansion de la Vie et son Sens. Le mental engage une présence à l’être, mais qui reste limitée.
Il est cependant des moments particuliers où l’existence se présente à nous dans une singulière profondeur, des expériences...
Avec le sentiment de l'Etre, se donne une forme de conscience différente de la conscience habituelle, une conscience qui participe de l'éveil. L’expérience de l’Etre n’est pas une chute dans l'engourdissement du sommeil, avec cette lourdeur caractéristique de l'inertie. Dans le sommeil profond il y a bien aussi une disparition des pensées, mais au profit de l'inconscience, de l'ignorance présente dans l’inertie. Or si l'éveil est bien une détente, il n'est pas pour autant une perte de conscience. L'éveil est une conscience qui, libérée de la tyrannie des pensées confuses, élève l'intelligence à sa plus haute acuité, là-même où elle est aussi pure sensibilité et pure intuition. Lucidité sans faille, pleine conscience de ce qui se manifeste en soi-même et hors de soi.
Comprendre la profondeur du sentiment de l’existence, comprendre que le soi est éveillé dans le Silence nous demande de rompre avec l'intellectualisme. Partant de notre expérience de la vigilance, nous sommes habitués à "occuper" notre pensée avec un objet, et nous croyons aussi qu'il nous suffit, pour être conscient, de tricoter un peu plus adroitement avec nos pensées que d'ordinaire ! Nous croyons que pour « exister » au sens plein il faut « penser » beaucoup plus ! En philosophie on a pu admettre qu'une existence plus haute est :
- ou bien l'envol spéculatif vers des Idées de l'idolâtre du concept, c’est le penchant de Hegel.
- ou bien le souci existentiel à l'égard du monde, de celui qui se sent écorché vif par la réalité. C’est l’orientation caractéristique de Kierkegaard à Sartre.
Exister, ce n’est pas seulement vivre (au sens biologique et économique), et encore moins survivre, se borner à vivre ne remplit pas le sens de l’existence. Nous pensons d'ordinaire que pour que l'existence prenne un sens, il faut qu'elle se donne un projet. Pourtant, le sens de l’existence n’est pas rempli dans le pro-jet. Le projet est en effet une condition ek-satique de la conscience liée au futur. Le sens de la Vie n’est pas dans son ek-stase temporelle. L’expérience de l’absurde n’est pas une expérience de l’existence, mais de l’inexistence, un frôlement de la Vacuité qui n’en retient en plus que la négativité. Même l’engagement, qui est sensé fournir un sens, ne suffit pas, l’engagement, comme artifice n’est pas le Sens de l’existence. L’engagement devrait être davantage qu’une bouée de secours d’une existence déficiente et faible, il devrait être une expansion de soi. Il devrait être porté par la Présence à soi.
La Présence à Soi contient la plénitude de l'Etre et cette plénitude n'est pas redevable du temps psychologique. Le sentiment d'être contient en soi sa propre plénitude.
Si le sens de mon existence ne m’est pas donné comme le mode d’emploi avec le paquet acheté au supermarché, c’est que justement, l’existence se révèle perpétuellement à elle-même. La Vie se découvre à elle-même dans la mesure où elle est vécue dans une absolue coïncidence. En-stase intemporelle.
Débat ouvert... Vivre et Exister ...