Aux dernières nouvelles, un éventuel "clonage" des humains
menacerait de transformer nos sociétés en termitières totalitaires. On peut douter qu'il soit indispensable de recourir à de tels moyens pour obtenir cet intéressant résultat qu'est pour la domination la constitution d'une masse homogène d'anthropoïdes stéréotypés. Quant au problème pour comités d'éthique d'une frontière à garder infranchissable entre l'animal et l'homme, il est déjà réglé par une bestialisation de l'humanité qui ne doit rien à des manipulations accomplies dans le secret des laboratoires, mais tout à des conditionnements que chacun peut voir opérer.
L'humanisation commencée est restée inachevée, et ses acquis fragiles se défont : l'homme était bien cet être que ne limite aucune borne, capable d'achever sa propre forme librement, à la façon d'un peintre ou d'un sculpteur; et donc aussi de dégénérer en des formes inférieures, dignes de la brute. Ce qui motivait selon Chesterton l'hostilité populaire rencontrée à son époque par le darwinisme, c'était moins une répugnance à admettre notre origine simiesque qu'un pressentiment de ce qu'une telle théorie de l'évolution nous annonçait sur notre
devenir simiesque : l'idée que l'homme est indéfiniment malléable et adaptable a effectivement de quoi faire peur quand ce sont les maîtres de la société qui s'en emparent.
Pour nous rassurer, on nous explique que c'est grâce à la technique que l'homme s'est humanisé, et qu'avec ses centrales nucléaires, ses ordinateurs qui stockent l'histoire universelle, ses manipulations génétiques, simplement il continue son humanisation. D'une prémisse fausse (comme l'a montré Lewis Mumford, et à sa façon Lotus de Païni), on saute à une conclusion absurde, et qui ne serait pas moins absurde si l'affirmation initiale était parfaitement exacte.
Que penserait-on en effet de quelqu'un qui dirait : "Monsieur Untel s'était construit une maison de deux étages, une demeure spacieuse pour lui et sa famille. Mais il ne s'est pas contenté de deux étages, il en a construit encore quarante, ou quatre cents, ou quatre mille, et il ne compte pas du tout s'arrêter là. Que trouvez-vous à y redire ? Il a procuré un abri aux siens,
il continue."
La tour insensée de monsieur Untel est condamnée à s'écrouler d'un instant à l'autre sur ses habitants, chaque nouvel étage ajoute à la menace, mais on en parle toujours comme d'un
abri. Tel est bien le discours des apologistes du développement technique infini, avec cette circonstance aggravante qu'ils le tiennent devant un tas de décombres : la maison devenue tour insensée
s'est déjà écroulée. Et tout ce qu'il y avait de ténébreux dans cet abri, les réalités obscures sur lesquelles étaient fondés les identifications collectives et le chantage social, les peurs, les répressions et les cruautés, toute la part de barbarie enfouie sous l'édifice de la civilisation, tout cela est remonté des caves et des fondations, et vient maintenant à l'air libre.
Jaime Semprun,
L'abîme se repeuple, page 84
(sur le même sujet de l'animalisation de l'humanité, cf. michel bounan,
l'or du temps, récemment publié)
Citation:
Et puis tiens ... puisqu'on est on est sur un forum musical : la musique hein ... elle a progressé ?
non (cf. francis pagnon,
en évoquant wagner)
Notre époque aura aussi bien connu l'aboutissement du langage musical que sa décadence accélérée. Confrontés à la destruction du matériau, les incapables inconséquents n'ont pas réagi autrement qu'en se jetant sur tous les rateliers de l'histoire, du folklore au sérialisme. Mais ce qui est mort est bien mort et ne ressuscitera pas. Ce ne sont pas les tripatouillages électroniques qui vont y changer quelque chose. Il n'y a que les gogos et les snobs qui traînent dans les concerts de "musique contemporaine" pour ne pas s'apercevoir que, depuis 1950 environ, l'histoire de la musique dite "sérieuse" est l'hstoire de son pourrissement, que la musique n'a rigoureusement plus rien à dire. Quant à la musique "légère", devenue musique de masse, on se demande jusqu'où elle descendra dans la régression.