Dans ce même ordre d'idée, je n'ai jamais oublié une conversation avec Maria Casarès, à l'époque où je suis entré au Théâtre national populaire (TNP). Je devais avoir vingt-trois ans, et j'étais très honnêtement ce que l'on appelle un jeune con. Comme beaucoup d'adolescents attardés, je voulais me faire remarquer, je prétendais avoir un avis sur tout, sans rien connaître de la vie. Je me trouvais dans le foyer du TNP et il y avait à côté de moi des gens - dont Maria Casarès - qui parlaient de musique, de Pablo Casals en particulier. Pour ma part, je n'y entendais rien sur ce sujet, pas plus qu'aujourd'hui, d'ailleurs. Je savais que Pablo Casals était un grand violoncelliste mais cela n'allait pas plus loin. Pour faire mon intéressant, comme disait ma mère - "t'as voulu faire ton intéressant" -, je tente de me glisser dans la conversation :
- J'ai entendu dire que Pablo Casals jouait quand même assez faux, maintenant...
J'avais ving-trois ans, je ne connaissais strictement rien en musique. Maria Casarès me regarde alors et me dit :
- Mon cher Philippe, ce serait peut-être bien que tu te rendes compte qu'il y a des gens qui jouent très juste et qui n'intéresseront jamais personne, et d'autres qui peuvent peut-être jouer faux, mais qui ont du génie...
Alors j'ai mis ça dans ma poche avec mon mouchoir par-dessus, et la phrase m'est restée dans la tête. Le bien-faire et le bien fait ne suffisent pas. C'est le minimum qu'on puisse demander, que la politesse vous demande d'atteindre. Mais si on en reste là, on demeure loin du compte.
Philippe Noiret,
Mémoire cavalière