Il y a des musiques inopinées alors qu'on était occupé à la vaisselle du soir, ou le matin au volant du trajet d'aller au travail, ou un dimanche d'hiver à ne rien faire et qu'on allume la radio machinalement, des musiques inconnues qui nous rendent momentanément plus intelligents, intérieurement plus vastes, peut-être même moralement meilleurs ; plus sensibles aux émanations des choses, des êtres auxquels on est lié ; dont la résonance vient nous chercher jusque dans la solitude et ce vide qui sont au fond de soi (depuis le début) et nous y apporte en brève illumination un sentiment d'unité de sa vie, de destinée à être là dans cette époque de l'histoire du monde.
Il y en a d'autres au ressassement autoritaire dans les lieux publics qui produisent à l'inverse un obscurcissement presque immédiat, une rétraction de la perceptivité psychique qui peut aller jusqu'à sa complète extinction.
Il y a des nuits translucides dont les constellations en lente giration s'articulent brillamment au-dessus de nous et tout à coup nous unifient à cet univers infini dans toutes les directions, même au-dessous de nous.
Parfois est-ce le bleu céleste et ses panoramas atmosphériques qui se tient pour nous en présence protectrice, qui nous ramène à la vie terrestre et nous fait oublier ce cosmos nocturne où nous sommes inexplicables, où chaque point lumineux est une fournaise atomique.
Il y a un jour, assis sur une pierre commode, à considérer la généralité d'un panorama d'escarpements, d'affleurements rocheux, d'entablements, d'éboulis caillouteux dénudant la végétation, à laisser ses impressions errer comme elles veulent, où l'on peut, à sa surprise, réaliser que ce règne minéral auquel nous nous rattachons nécessairement - qui était là tout d'abord, dont toute la vie procède sans doute -, nous en sommes donc aussi constitués, en l'espèce de cette liste de minéraux indispensables à la complétude métabolique de nos tissus et organes ; à découvrir que c'est en nous une présence réelle et physique de l'univers lui-même ; que c'est donc en alliage infinitésimal quelque chose en nous vieux de milliards d'années ; quelque chose dans notre vie interne nous aimantant, nous accordant aux mystérieuses polarités qui s'y déplacent - que nous n'y sommes en définitive peut-être pas si incongrus. - Au fond de la couche gazeuse, page 96