Sur ce parking situé à deux pas de l'aéroport de Cointrin, le vrombissement des moteurs à l'arrêt recouvre facilement celui des 747 qui décollent -- sans parler des pulsations techno qui font vibrer le tarmac.
«Les flics nous ont à l'oeil depuis l'accident de Cologny: on s'est fait inspecter à la douane», raconte Eric Purenat, 35 ans, l'un des nombreux Français venus participer à ce premier Show Tuning du Léman. Le soleil surchauffe le kit carrosserie bleu nuit, «directement importé des USA», de son cabrio Civic CRX.
«Ici, tout le monde discute de l'accident. Et on est tous d'accord pour dire que cette affaire donne une très mauvaise image du milieu.» Le milieu, c'est la communauté des tuners, ces amateurs de moteurs puissants ou de carrosseries tape-à-l'oeil qui sont venus ce dimanche comparer leurs réalisations personnelles. «Il est midi, et il y a déjà 300 voitures exposées», dit Julien Scheck, 22 ans, l'organisateur.
Dix-jours plus tôt, un duel au volant faisait 14 blessés sur les quais de Cologny, un endroit très prisé par les amateurs de voitures tunées. Les journaux ont abondamment commenté l'accident, et les tuners ont eu l'impression d'être cloués au pilori. Condamnés collectivement pour les excès de deux des leurs.
«Ma voiture est modifiée, c'est vrai, admet Eric. Mais ça ne veut pas dire que je roule plus vite. Pour moi, c'est l'esthétique qui prime.» Sa Honda Civic bleu nuit, il l'a achetée il y a trois ans pour environ 35 000 francs suisses. «Elle avait 160 chevaux d'origine, mais j'ai installé un turbo et plusieurs modifications de moteur pour atteindre 240 chevaux, poursuit-il. Avec une puissance pareille, sur une petite voiture comme celle-ci, il faut ensuite adapter l'ensemble: roues, freins, etc.»
Au total, Eric Purenat a investi plus de 27 000 francs en accessoires pour «tuner» sa Honda. Comment a-t-il financé cette passion? «Je travaille comme gérant dans un magasin d'alimentation, et j'envisage de monter mon propre commerce de tuning à Mulhouse. Cela représente un marché très important. Mais pour moi, ce ne sera pas dans le haut de gamme, car l'essentiel des tuners ont des moyens limités. Ils ne peuvent pas s'offrir des jantes à 1200 francs pièce.»
Du moins pas tous. Sur ce parking à ciel ouvert de Palexpo, les petites Peugeot 106 côtoient des véhicules plus imposants: BMW M3 ou Audi TT. «J'ai mis des jantes importées des USA, elles m'ont coûté 9000 francs au total», raconte Edmond Lo, 21 ans, informaticien valaisan propriétaire d'une Dodge Durango aussi noire et rutilante que les véhicules de Twister. Un film qu'il pourrait d'ailleurs montrer aux autres participants puisqu'il a installé un écran à cristaux liquides dans son coffre grand ouvert.
«Le seul but de cet écran, c'est de montrer des films pendant les meetings comme ici: ça donne bien.» L'écran est branché sur un laptop avec lecteur DVD et, en ce moment, c'est le fameux «2 Fast 2 Furious» qui défile. Un classique du tuning qui, comme les «Taxi» produits par Luc Besson, a été accusé d'encourager les excès de vitesse et la conduite irresponsable. «C'est vrai que les tuners roulent en général plus vite que les autres conducteurs, admet-il. Mais on est aussi beaucoup plus attentifs sur la route. On fait attention parce qu'on adore la voiture.»
Sa Durango noire -- qui consomme entre 30 et 40 litres aux 100 -- lui a coûté 68'000 francs. Il l'a ensuite équipée pour près de 20'000 francs en accessoires divers, parmi lesquels les fameuses jantes américaines et quatre néons verts placés sous le châssis qui ont coûté 500 francs. Lorsqu'ils sont enclenchés et qu'il fait nuit, ils baignent le véhicule d'un halo qui lui donne un air surnaturel.
«Tout ça coûte cher: on doit parfois se priver un peu pour les vacances», dit-il. A ses côtés, son amie acquiesce. Elle a 17 ans et, en ce moment, de toutes les voitures, c'est la Peugeot 206 CC qu'elle préfère.
A ce premier Show Tuning du Léman, les femmes se tiennent souvent en retrait, mais de loin pas absentes. Parmi elles, Amina, une grande métisse de 23 ans qui vient de Romont et qui dit apprécier la conduite sportive. Elle est habillée tout en noir panthère, comme sa Citroën Saxo VTS qui pulse au son des basses techno.
«J'aime attirer l'attention, je voulais une voiture qui sorte du lot, comme moi. J'ai acheté celle-là 15 000 francs, elle était déjà rabaissée. J'ai ajouté environ 2000 francs pour une sono et un aménagement intérieur original. Le tuning est un milieu très masculin et, lorsqu'on achète, les marchands pensent toujours qu'ils peuvent arnaquer les filles car elles ont la réputation de ne pas s'y connaître...»
Comment a-t-elle réagi à l'accident de Cologny? «Je pense que les tuners font très attention à leur voiture et qu'ils ne veulent surtout pas la foutre en l'air. Ils ne sont qu'une minorité à rouler comme des sauvages.»
Un avis partagé par Audrey, une Genevoise de 22 ans qui est venue ici avec sa Fiat Punto GT bleue à laquelle elle a ajouté des jantes, un autoradio et une sono pour environ 4000 francs. C'est sa première voiture. Elle l'a achetée il y a un an, d'occasion, avec une carrosserie déjà tunée, pour 13 800 francs. «Mais le garagiste m'a roulée car je suis une fille, donc j'ai payé trop cher. Maintenant, je m'y connais mieux.»
Audrey n'est pas tendre avec le milieu du tuning, auquel elle appartient. «C'est un milieu horriblement macho. Les mecs nous méprisent. Pour eux, une fille, ça doit être posée sur le siège passager. Moi, j'ai un sale caractère et je fais tout pour m'imposer. Je veux attirer l'attention dans ma vie. Et avec ma voiture aussi.»
Un peu plus loin, Thomas, 19 ans, bichonne sa Peugeot 106. Ce carrossier de la région de Vienne a déjà dépensé pour plus de 6000 euros (environ 9000 francs) en accessoires pour changer la face avant, le coffre et les pare-chocs, et offrir à sa voiture une peinture nacrée de type Nuovola.
«J'ai financé tout ça en travaillant au noir, dit-il. Y a qu'au black qu'on peut se faire de l'argent.» Thomas n'a pas entendu parler de l'accident de Cologny, «mais les rodéos, les meetings sauvages, je connais. Il y a des riches qui se réunissent avec de belles voitures, et des pauvres qui viennent les provoquer pour une course. C'est toujours comme ça que ça commence. Est-ce qu'ils feraient mieux d'aller se défouler sur des circuits automobiles? Sûrement, oui, mais les circuits, ça coûte cher. C'est toujours moins cher d'aller faire la course sur la route...»
Soudain, un bruit phénoménal retentit sur le parking. Tout le monde tourne la tête et s'approche de la Toyota Celica GT300 de Patrick Meyer, un incroyable engin agressif et rouge qui n'a plus grand-chose à voir avec le modèle d'origine. Ce professionnel du tuning travaille en marge du garage Toyota de son père, à Liebistorf.
«J'ai acheté cette voiture d'occasion pour 30'000 francs, mais j'ai énormément travaillé dessus, notamment sur le moteur qui est passé de 190 à 240 chevaux grâce à un compresseur, explique- t-il. En tout, il y a pour 70 000 francs de travaux sur cette voiture, et je cherche un acquéreur pour 100 000 francs. Je ne pense pas pouvoir la vendre en Suisse...»
Patrick Meyer a notamment installé un système Nos dans sa Toyota. Le Nos, star du film «The Fast and The Furious», est l'abréviation de Nitrous Oxide Systems, la marque du fabricant. Il s'agit d'un kit moteur intégrant une bonbonne de peroxyde d'azote qui augmente considérablement les performances grâce à une suralimentation chimique.
Lorsqu'il est actionné par un interrupteur situé dans l'habitacle, le peroxyde d'azote se décompose et libère de l'oxygène. Cet oxygène améliore efficacement la combustion du carburant, ce qui dope la puissance du moteur. Par ailleurs, l'azote a également un puissant effet «intercooling», car il réduit les températures de prise d'air.
Un moteur dopé par un système Nos gagne typiquement une centaine de chevaux. A l'achat, le système lui-même coûte entre 500 et 1000 francs en fonction du modèle, mais il est coûteux et complexe à installer car le moteur doit être démonté.
L'effet est prisé des tuners car il procure une sensation de jeu vidéo: au moment d'appuyer sur le bouton, le véhicule semble soudain décoller, comme propulsé par une puissance instantanée. En plus, l'échappement d'azote ajoute un bruit de fusée et un dégagement de fumée blanche sous pression.
Mais dans la Toyota de Patrick, l'admission de gaz Nos n'est là que pour l'esthétique: elle dégage une spectaculaire fumée blanche sur les côtés quand il met les gaz, et c'est tout. «Il faut changer les pistons et tout le bloc moteur pour la mettre en place, donc nous ne l'avons pas encore fait. Mais on a prévu de le faire bientôt, en fonction de ce que veut l'acquéreur.»
source :
http://www.largeur.com/expArt.(...)=1600
c'est triste tout de même :-)
