Taylor The Ebony Project

Publié le 25/05/2018 par Judicaël Tribillac
A travers 8 chapitres publiés sur le site de Taylor Guitars, Bob Taylor nous fait découvrir ce qu'il appelle The Ebony Project, un programme d'exploitation durable de l'ébène du Cameroun qu'il mène avec Madinter, distributeur espagnol de bois de lutherie. On y découvre nous seulement l'aventure liée au rachat de l'usine Crelicam ainsi que tout un programme de plantation de nouveaux ébéniers en partenariat avec les populations locales ainsi que le Congo Basin Institute et un certain Dr. Zac spécialiste de l'agroforesterie. Ensemble, ils collaborent pour aller au-delà de la simple exploitation commerciale et qui bénéficie à toutes les parties prenantes ainsi que les générations futures.

D'où provient l'ébène et pourquoi l'utilise-t-on pour fabriquer des guitares ?

Reconnaissable à sa couleur noire intense, l'ébène se cache au cœur de plus de 700 espèces d'arbres tropicaux du genre Diospyros de la famille des Ebenaceae. Cette partie centrale noire s'avère être d'une exceptionnelle densité et dureté en faisant un bois précieux, idéal pour la facture instrumentale en particulier pour les touches de guitares. Non seulement les frettes restent en place plus longtemps, mais la touche ne s'use pas (ne se creuse pas) ce qui pourrait impacter négativement la justesse des notes ou occasionner des frises. On utilise également l'ébène pour la fabrication du chevalet des guitares acoustiques afin résister à la tension des cordes ainsi qu'à l'usure de la main qui repose parfois sur le chevalet comme nous le rappelle Andy Powers, responsable du design des nouvelles guitares Taylor, dans la vidéo ci-dessous.

En 2011, Bob Taylor a été sollicité par Madinter, un distributeur international de bois de lutherie et de pièces détachées pour racheter CRELICAM une usine qui exploite l'ébène du Cameroun. Et lors des visites sur place, ils ont découvert tant de problèmes à résoudre, notamment d'ordre éthique, qu'ils n'avaient alors que 2 choix : soit ne plus jamais utiliser d'ébène, soit prendre les choses en main pour construire avec les populations locales une exploitation durable et profitable pour toutes les parties prenantes.

Quelles sont les ressources sur place ?

Ainsi l'Afrique Centrale et l'Afrique de l'Ouest compte plus de 190 000 arbres ébéniers d'un diamètre d'au moins 60 cm et plus de 30 millions d'un diamètre compris entre 10 et 59 cm. On pourrait ainsi arriver à la conclusion que les ressources sont largement suffisantes mais comme nous l'évoquions sur LaGuitare.Com en 2016, c'est l'ébène noir pur qui était jusqu'à présent utilisé aussi bien sur les instruments du quatuor que sur les guitares. Or la teinte réelle de l'ébène ne se révèle qu'une fois qu'on a coupé l'arbre si bien que les ouvriers camerounais en abandonnaient sur place 9 sur 10 car la valeur marchande d'un ébène marbré, zébré, présentant des "défauts" esthétiques étant bien inférieure à celle d'un ébène noir alors que les propriétés de dureté sont identiques. De plus l'ébène est un bois lourd et difficile à transporter, sa densité étant supérieure à celle de l'eau, le rendant ainsi difficile à extraire de la forêt tropicale qui recouvre 46% du territoire national du Cameroun.

On comprend alors mieux le dilemme moral qui s'est présenté à Bob Taylor et Vidal de Teresa (Madinter) d'autant que la croissance de l'ébénier est très lente, prenant entre 60 et 80 années avant d'arriver à maturité. Mais c'est aussi une incroyable opportunité économique pour eux car ils se retrouvent ainsi avec 9 fois plus d'ébène que ce qu'ils avaient envisagé. Après tout, l'érable flammé ou figuré qu'on admire sur les tables des guitares électriques sont tirés de soit disant défauts devenus de splendides qualités très prisées. Reste à expérimenter avec ces nouvelles ressources et surtout à convaincre les guitaristes de les acheter comme par exemple avec les éditions limitées Taylor de l'été 2013 avec fond et éclisses en ébène africain. 

 L'usine et ses salariés

Au Cameroun, comme dans bien des endroits à travers le monde, les populations locales ne profitent pas ou peu de l'exploitation des ressources naturelles de leurs terres. Une fois la matière première extraite elle est envoyée dans un autre pays pour être exploitée ce qui permet de faire baisser les coûts des matériaux et entraine bien souvent une surexploitation pouvant aller jusqu'à l'épuisement des ressources. Taylor et Madinter ont donc choisi une autre voie en rachetant l'usine de Crelicam. Mais il a fallut commencer par améliorer les conditions de travail des ouvriers en apportant de l'eau potable à l'ensemble du village, en mettant l'électricité aux normes, en faisant couler des dalles de béton, en réparant ou remplaçant les machines et surtout en multipliant par 2 les salaires afin de valoriser le travail, en donnant aux ouvriers des contrats de travail écrits garantissant leurs emplois dans la durée afin de les impliquer dans les transformations à venir. D'ailleurs l'usine reste gérée au quotidien par des camerounais.

Les équipes de Taylor et Madinter ont également été mises à contribution pour venir à Yaoundé participer à l'installation des nouvelles machines, former les équipes locales à les utiliser et les entretenir, ainsi qu'à les aider à limiter les pertes de matières premières et à diversifier les types de découpes. Les résultats encourageants ont été récompensés en janvier 2014 par le Prix de l'Excellence Entrepreneuriale remis par le secrétaire d'état John Kerry mettant particulièrement en avant les retombées locales tant au niveau social qu'environnemental.

Où et comment planter de nouveaux ébéniers ?

Le défi suivant consiste alors à planter de nouveaux ébéniers afin de préparer l'avenir pour les générations futures. Les premières tentatives se montrent difficiles avec seulement 5% de graines plantées qui ont germé. Si tout le monde sait comment abattre un ébénier, personne ne sait en revanche comment en faire pousser de nouveaux. C'est la nature qui s'en charge à son rythme. Il faudra attendre une étude scientifique et la rencontre du Dr. Tom Smith du Congo Basin Institute (un américain partagé entre l'université de UCLA en Californie et le Cameroun où il étudie les différentes espèces animales et végétales qui composent la forêt tropicale) pour découvrir que la graine une fois extraite une fois par an du fruit n'est viable que pendant 36 heures. C'est ainsi qu'ensemble ils ont obtenu des centaines de pousses d'arbres. Reste ensuite à savoir comment les planter dans la forêt tropicale.

Car la priorité des gens qui vivent sur place, est de subvenir aux besoins immédiats de leur famille en terme de nourriture ou de se soin par les plantes. Si bien qu'ils ne veulent pas planter d'arbre. C'est là qu'entre en jeu un autre personnage clé, le Dr. Zac Tchoundjeu spécialisé en agroforesterie, un concept d'agriculture équilibrée entre les différentes cultures pour développer les ressources nécessaires à court, moyen et long terme. Il s'agit d'un projet dans lequel le Dr. Zac s'est investi depuis plus de 30 ans allant de village en village pour identifier les espèces d'arbres prioritaires à développer pour fournir rapidement des fruits voire même en accélérant la fructification afin qu'en 2-3 ans le fermier puisse non seulement se nourrir et se soigner grâce aux arbres mais aussi vendre les surplus générés. Crelicam propose ensuite aux fermiers de planter des ébéniers et de les rémunérer chaque année pour l'entretien des arbres ainsi que pour les fruits contenant les précieuses graines. Des ateliers pour enseigner les techniques agricoles sont également développées à travers le pays pour qu'elles profitent non seulement à l'ébène, mais aussi à tous types de cultures.

Résultat visible dans 60 ans minimum !

Pour en revenir à l'exploitation des ressources actuelle d'ébène de Crelicam, on peut se demander s'il n'y a pas de conflit d'intérêts entre Taylor, un fabricant de guitares, qui vend via son partenariat avec Madinter de l'ébène à ses concurrents directs. Comment les stocks sont-ils répartis ? Est-ce que Taylor se réserve tout ou partie des meilleurs spécimens laissant le second choix aux autres ? Difficile de répondre d'autant qu'aux vues des niveaux d'investissement dans cet Ebony Project il est bien normal, si je puis dire, que Taylor en récolte les fruits. Chacun aura son opinion sur le sujet, mais ces considérations ne doivent pas ternir l'image d'un tel projet qui bénéficie aussi bien aux populations locales qu'aux générations futures et à l'environnement. Ainsi, les ébéniers qui viennent d'être plantés arriveront à maturité dans plus de 60 ans. Bob Taylor et Vidal de Teresa ne seront plus là pour observer le résultat ni entendre les futures guitares fabriquées par Taylor Guitars ou par d'autres, avec ce bois d'ébène. 

Consultez l'ensemble des 8 chapitres de The Ebony Project sur le site de Taylor Guitars.

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