Le président américain Donald Trump enchaine les bourdes et les controverses depuis sa campagne aux primaires jusqu'à son exercice du pouvoir, mais donnons-lui néanmoins le crédit d'avoir réveillé les musiciens de Rage Against The Machine qui ont repris du service, épaulés par les rappeurs B-Real et Chuck D au sein de Prophets Of Rage, une formation qui a vu le jour en pleine campagne présidentielle américaine en 2016. Après avoir fait forte impression sur les festivals d'été que sont le Download ou le Hellfest, Prophets Of Rage était de retour dans l'hexagone en novembre dernier pour un concert atomique au Zénith de Paris, ainsi que pour l'enregistrement de deux émissions de TV : l'album de la semaine sur Canal + et le Quotidien sur TMC. Nous en avons profité pour nous entretenir avec l'affable et volubile Tom Morello, guitariste légendaire qui a révolutionné l'instrument à l'aube des années 90 et qui continue de le faire tout en restant fidèle à sa formule. Nous sommes revenus avec Tom sur son nouvel album mais aussi sur ce qui a forgé son style et sur l'équipement qu'il utilise.
Bonjour Tom ! Tu es un guitariste au jeu résolument unique et ton style était déjà complètement affirmé en 1992 à la sortie du premier album de Rage Against The Machine. Il semblerait pourtant que tu essayais dans les années 80 de jouer comme tous les shreddeurs de l'époque. Comment en es-tu arrivé à trancher à ce point avec le son des 80's et à réinventer au passage la façon de jouer de la guitare ?
Tom Morello : Comme tout guitariste, au départ j'essayais d'émuler la manière de jouer de mes héros. Ces derniers se nommaient Randy Rhoads, Eddie Van Halen, Yngwie Malmsteen, Steve Vai et bien d'autres encore. Pour ce faire, je m'exerçais tous les jours de la semaine entre 2 heures et 8 heures par jour. J'ai commencé la guitare assez tard, vers mes 17 ans et j'avais le sentiment d'avoir pas mal de retard à rattraper. Je me sentais vraiment largué techniquement par rapport à mes héros au même âge que le mien. J'ai donc acquis un nombre considérable de techniques différentes en assez peu de temps, finalement grâce à mes entrainements intensifs mais je n'étais clairement pas un guitariste original à ce moment-là et j'étais incapable de composer la musique que j'aimais. J'étais capable de shredder et de jammer sur des albums de musique classique ou de jazz mais j'étais incapable d'écrire la musique que je voulais et de trouver ma propre voix avec mon instrument. Il y a eu ce moment au tout début de Rage Against The Machine où il m'a paru évident que mon rôle dans le groupe devait s'apparenter à celui d'un DJ ! Nous étions influencés par Public Enemy, Run DMC, Dr. Dre ou bien encore The Crystal Method. J'ai donc commencé à me concentrer sur les côtés excentriques de mon jeu et sur les sons bizarres que je pouvais trouver. Un des trucs pour lesquels je suis le plus connu est ma façon d'utiliser le sélecteur de micro. Je me suis entrainé 8 heures par jour pour pouvoir maitriser cette technique de jeu avec le sélecteur ! Evidemment, la pédale Whammy de Digitech est également sortie à cette époque-là. Je suis un énorme fan d'Allan Holdsworth et j'adorais le son d'harmoniseur qu'il utilisait sur le titre "Metal Fatigue". Je m'étais donc acheté un harmoniseur en rack mais j'étais incapable de m'en servir correctement. Puis, lorsque j'ai appris l'existence de la Whammy je me suis dit : "chouette, un harmoniseur en format pédale!". Cela m'a ouvert un nouvel univers très vaste et qui allait me permettre d'émuler les sons de DJ. Lorsque je suis parvenu à me débarrasser du carcan dans lequel je m'étais enfermé afin de devenir un bon guitariste, j'ai alors réalisé qu'il n'y avait en réalité aucune limite pour s'exprimer à la guitare. C'est à ce moment-là que mon entrainement quotidien s'est focalisé sur le fait de produire des sons étranges, de trouver des techniques innovantes et transformer le tout en véritable chanson !
Tu mentionnais justement la pédale Whammy et je me souviens de la première fois où j'ai entendu "Killing In The Name" à la radio. J'étais très jeune à l'époque et le son de la Whammy sur le solo sautait aux oreilles. Je me suis toujours demandé si tu étais le premier à avoir eu recours à cet effet en studio. En tout cas comme ça, je ne parviens pas à trouver quelqu'un ayant immortalisé cet effet avant toi.
Je pense que cette pédale est sortie vers 1990 ou 1991. Ce dont je suis certain, c'est que je l'ai achetée à sa sortie et que je m'y suis vraiment mis à fond car j'étais incapable de maitriser les effets rack qui étaient ultra populaires à l'époque. Je voyais tous les guitaristes défiler avec des gros racks qui combinaient des égaliseurs, des delays etc... et moi je voulais juste une bonne pédale à piloter au pied et la Whammy m'a offert tout un panel de nouveaux sons à la portée de mes orteils !
Tu es également connu pour tes différentes techniques innovantes comme le son de scratch que tu fais à la guitare sur "Bulls On Parade" par exemple. Sur l'album de Prophets Of Rage, il y a sur le titre "Strength In Numbers" une partie de guitare qui sonne littéralement comme le gloussement d'une poule !
(Hilare) Nous étions en répétition et nous avons commencé à bosser sur "Strength In Numbers". La première chose que j'ai jouée est justement ce son de poule et tous les autres ont commencé à éclater de rire et à mimer des ailes de poule avec leurs bras en dansant dans le studio. C'est juste un son que j'ai obtenu en me servant de la Whammy réglée sur un octave inférieur en faisant une cocotte main droite et je fais ensuite ce bend à ce moment précis et cela produit le son d'une poule ! Je suis connu pour avoir sorti pas mal de sons d'animaux de la ferme dans ma carrière (rires)! J'avais déjà fait des vaches, je m'attaque maintenant aux poules !
En parlant de cocotte, il y a le titre "Take Me Higher" qui est peut être le plus funky que tu as enregistré jusque là. Les influences funk et hip-hop vont plus loin dans Prophets Of Rage que dans Rage Against The Machine. Qu'en penses-tu ?
Complètement d'accord! Je joue de la guitare depuis longtemps maintenant. Lorsque je joue avec Rage Against The Machine, cela sort quelque chose de moi en particulier. Lorsque c'est avec Audioslave c'est encore autre chose qui sort. Prophets Of Rage ne déroge pas à la règle est m'amène vers d'autres choses également. J'ai voulu expérimenter et élargir encore mes possibilités. Je voulais faire un album avec beaucoup de guitare mais sans me répéter, bien que je tenais évidemment à incorporer mes gros riffs caractéristiques car il est important de garder ce fil conducteur. Lorsque je joue avec Brad (Wilk) et Tim (Commerford), il est important pour nous d'avoir ces gros riffs super efficaces ! Mais nous voulons également apporter de nouvelles couleurs et de nouvelles saveurs à côté.
Tu viens de mentionner Audioslave. Avec Tim et Brad, vous y collaboriez avec le regretté Chris Cornell (Soundgarden). Chris était un immense chanteur doublé d'un excellent compositeur. Comment l'écriture se passait dans Audioslave ?
Dès le début, Chris nous avait dit qu'une part considérable de la composition dans Soundgarden reposait sur ses épaules et que dans Audioslave il avait envie d'être simplement un chanteur sans trop se soucier de l'écriture de la musique. Ce fut un grand défi pour nous de créer de la musique qui puisse convenir et répondre à sa voix magnifique. Nous sommes vraiment sortis de notre zone de confort au niveau des harmonies et des suites d'accord que nous avons utilisés dans Audioslave. Jouer avec Chris Cornell nous a considérablement aidés à étendre le spectre de nos capacités en tant que musiciens, cela ne fait aucun doute.
Si l'on met de côté tes albums solos sous le nom de The Nightwatchman, l'EP et le premier album de Prophets Of Rage sont tes premiers efforts de groupe depuis le dernier Audioslave "Revelations" paru en 2006. Vous sentiez-vous quelque peu rouillés tous les trois ?
C'est vrai que cela faisait très longtemps que nous n'avions pas composé avec Tim et Brad bien que nous ayions joué pas mal d'années ensemble après Audioslave avec la reformation de Rage Against The Machine qui a duré de 2007 à 2011. Lorsque nous avons créé Prophets Of Rage, au départ nous jouions surtout des reprises de Rage Against The Machine, Cypress Hill et Public Enemy et nous y ajoutions une ou deux nouvelles compositions. Mais nous avons eu une telle alchimie sur notre tournée de 2016 qu'elle s'est traduite par une entrée en studio pour composer ce véritable premier album, qui est sans aucun doute le disque collaboratif le plus fun que j'ai fait de toute ma carrière depuis le premier album de Rage Against The Machine! C'était une joie d'entrer en studio tous les jours, chacun était ouvert aux idées des autres, nous adorions ce que nous étions en train de créer et pour couronner le tout, nous étions avec Brendan O' Brien qui est un super producteur mais aussi un très bon pote à nous, c'était vraiment génial du coup !
On dirait que "Arm The Homeless" est redevenu ta guitare principale comme à l'époque de Rage Against The Machine (ndlr : pendant l'époque Audioslave la guitare principale de Tom Morello était une Stratocaster baptisée "Soul Power") n'est-ce pas ?
Oui elle est de retour ! Mais j'ai utilisé pas mal de guitares différentes en studio. C'est le 16ème album que j'enregistre et si j'avais pas mal de règles établies auparavant concernant le type de guitare à employer pour telle ou telle application, j'ai changé mes habitudes sur cet album. J'ai utilisé principalement "Arm The Homeless" et ma Telecaster (ndlr : surnomée "Sendero Luminoso") accordée en Drop-D (Ré), mais j'ai également puisé dans mes guitares les plus modestes ! J'ai même utilisé ma toute première guitare sur cet album, il s'agit d'une copie de SG de la marque Kay qui m'avait coutée 50 dollars lorsque je l'ai achetée en 1978. Elle était rangée dans un placard depuis une éternité, je l'ai ressortie et j'ai trouvé qu'elle sonnait bien ! A l'inverse, j'ai également joué sur une Stratocaster des années 50 qui appartient à Brendan O'Brien et à laquelle il tient beaucoup ! Elle trainait dans le studio et j'ai donc joué dessus. C'est sans aucun doute l'album sur lequel j'ai utilisé le plus de guitares différentes en m'étalant le plus niveau gamme. Il en était de même pour les amplis d'ailleurs. J'ai utilisé un ampli Music Man avec un phaser intégré qui est vraiment excellent avec quelques Tweed qui appartiennent également à Brendan, en plus bien sur de mon bon vieux Marshall. Même chose avec les pédales, j’'ai toujours eu pour habitude d'utiliser tout le temps la même chose mais cette fois j'ai utilisé quelques nouveaux trucs comme l'overdrive Swollen Pickle de Way Huge, qui a un son littéralement explosif ! A vrai dire je devais m'assurer de calmer suffisamment ce truc qui hurle vraiment fort, c'est une pédale dingue (rires) ! Et j'ai également utilisé une talk box sur "Legalize Me", chose que je ne fais pas habituellement.
En live tu utilises donc principalement "Arm The Homeless" et la Telecaster "Sendero Luminoso" pour les titres en Drop D ?
Oui c'est ça. Ce sont mes deux guitares principales. Je me sers également de "Soul Power" pour l'hommage que nous rendons tous les soirs à Chris Cornell lorsque nous jouons "Like A Stone" d'Audioslave en instrumental et en laissant chanter le public. J'utilise également une Gibson double manche pour quelques chansons, juste parce qu'elle a de la gueule et que je suis un grand fan de Jimmy Page ! Et enfin il y a également l'Ibanez "Guerilla Radio" rouge et noire qui est de retour lorsque je joue la chanson du même nom ! Cette Ibanez dispose de plusieurs effets embarqués mais ne sachant pas très bien m'en servir, je ne les utilise pas vraiment. Mais cela reste une guitare vraiment cool !
Pour les lecteurs qui ne connaissent pas l'histoire, pourrais-tu revenir sur la création de "Arm The Homeless", la guitare qui restera à jamais la plus associée avec toi ?
J'ai emménagé à Los Angeles en 1986 et j'ai trouvé un boulot. La première fois de ma vie que j'ai reçue une paie, je me suis dit : "il faut que je m'achète une guitare customisée!". Lorsque je suis parvenu à réunir suffisamment d'argent, je suis donc allé dans ce magasin à Hollywood (ndlr: Performance Guitar), qui était connu pour fabriquer des guitares de shreddeurs. On te laisse choisir l'essence du bois, le style du manche et tout ce genre de choses mais le problème est que je n'avais aucune connaissance en la matière à l'époque. Je n'avais pas d'exigences particulières et j'étais encore moins luthier ! J'ai donc fait mes choix de manière un peu aléatoire et je leur ai dessiné des hippopotames que je voulais qu'ils reproduisent à l'identique sur la guitare. Le résultat final était atroce ! Cette guitare sonnait tellement mal, elle n'était pas du tout confortable et elle m'avait couté très cher ! J'ai donc fini par la démonter et j'ai essayé de la reconstruire de pleins de manières différentes. J'ai essayé plusieurs manches, plusieurs micros et plusieurs types d'électronique. La seule chose qui reste de la guitare d'origine sur "Arm The Homeless" est le corps en bois et je ne sais même pas de quel type de bois il s'agit. Le manche, les micros et l'électronique ne sont pas d'origine. J'étais tellement frustré par cette guitare, qu'il y a maintenant 30 ans, je suis resté à essayer tous les réglages possibles entre cette guitare et ce même ampli que j'utilise toujours aujourd'hui pendant trois heures dans ma salle de répétition. J'étais déterminé ce jour-là à enfin trouver un son qui me plaise avec "Arm The Homeless" et mon Marshall. Une fois satisfait, j'ai noté les réglages au marqueur sur l'ampli et je me suis juré de ne plus jamais réfléchir à la manière de régler mon son. Je me suis juré d'utiliser uniquement ce son-là et de devenir créatif avec ! Cela m'a complètement libéré car je n'étais plus en train de perdre du temps et de l'énergie à améliorer cette guitare ou à essayer des amplis qui pourraient me faire sonner comme Nuno Bettencourt ou qui sais-je encore.
Je me suis mis à écrire des chansons en adéquation avec le son que j'avais trouvé. Cette guitare, qui avait simplement des hippopotames dessus au départ, s'est vue gratifiée de la phrase "Arm The Homeless" le jour d'un concert de Rage Against The Machine au Whiskey A Go Go. Cela devait être dans nos dix premiers concerts je pense. J'étais assis dans mon appartement avec un marqueur en main et j'ai décidé soudainement d'écrire la phrase "Arm The Homeless" dessus. Pour la petite histoire, ce slogan m'a été inspiré par ceux de Mai 68 en France !
Comment as-tu trouvé le manche et les micros qui allaient rester sur "Arm The Homeless" ?
J'ai essayé plein de mauvais manches dessus et j'ai trouvé le bon dans un carton rempli de différents produits en solde dans un magasin de guitare. C'est une sorte de copie de manche Kramer, mais il n'y a aucune marque. On dirait vraiment un manche Kramer, mais ce n'est pas le cas. Vu le faible prix du manche, je me suis dit que je n'avais rien à perdre et c'est finalement celui qui est resté sur la guitare pendant toutes ces années ! Pour les micros, j'ai fini sur des EMG et bien que l'on dirait qu'il y a deux micros double sur "Arm The Homeless", le micro manche est en réalité un micro simple dans un format double (ndlr : Tom ne se souvient plus des modèles EMG qui équipent sa guitare mais il semblerait qu'il s'agisse d'un EMG 85 en chevalet et un EMG H en manche). Car c'est ici que réside la clé du son de Rage Against The Machine, Audioslave et Prophets Of Rage : la plupart de ces gros riffs ne sont pas exécutés avec un son très metal. A l'inverse, ils sont joués avec un micro simple en position manche et sonnent davantage à la manière de Led Zeppelin que d'un groupe de metal et je me sers seulement du micro double au chevalet pour les solos ! Nous avons pour habitude de doubler mon riff de guitare et de placer une piste tout à gauche et l'autre tout à droite tandis que le gros son de basse de Tim occupe l'espace central ! L'attaque main droite est très importante pour moi et il faut tenir compte des gens avec lesquels tu joues si tu veux obtenir des gros riffs. Aller vers un son le plus agressif et le plus compressé possible ne donne pas forcément le résultat souhaité.
Tu évoquais ton ampli de toujours, qui est le JCM 800 en version deux canaux. N'as-tu jamais eu des envies de changement ?
Non j'ai toujours ce bon vieux 2205 de Marshall, 50W, deux canaux. C'est avec cet ampli que je suis parvenu à trouver mon fameux réglage que j'évoquais tout à l'heure et j'y serai toujours fidèle! Pour moi peu importe le son que tu obtiens, car si jamais tu ne parviens pas à en tirer de la musique excitante avec, alors cela perd tout son intérêt. J'ai besoin de mon Marshall et j'utilise également toujours mon bon vieux baffle Peavey 4*12 d'époque !
Nous avons parlé de la Whammy, utilises-tu d'autres effets en live ?
Oui j'utilise un Phase 90 de MXR, même si je le fais très rarement. J'ai également une pédale d'égalisation DOD que j'utilise comme simple boost. Je ne veux pas avoir à compter sur l'ingénieur du son en façade lorsqu'il s'agit de monter mon signal dans le mix lors des solos. Cela vient de mes tout débuts, lorsque je jouais dans les clubs et que l'ingénieur du son du soir ne savait pas à quel moment venaient mes solos. Personne ne les entendait du coup. J'ai toujours pris comme habitude depuis, d'avoir une pédale d'EQ sur laquelle je laisse l'égalisation à plat, je la laisse totalement neutre et transparente, je pousse simplement le volume dessus et je suis donc certain que l'on entendra bien mon solo dès lors que j'enclenche la pédale ! J'aime bien aussi avoir un delay pour sortir des sons atmosphériques à la David Gilmour lors des solos ainsi qu'une wah Cry Baby. Mais mon effet le plus important est évidemment la Whammy de Digitech !
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