Guitariste : Quel est ton parcours musical ?
Cyril Achard : J'ai commencé la guitare à 13 ans, en suivant des cours de Jazz avec un prof particulier. L'étude des standards m'a transmis le goût de l'harmonie et de la théorie, puis je suis rentré à l'IMFP de Salon de Provence, autre formation Jazz. J'avais alors 19 ans. J'ai ensuite fait du piano bar, dans divers styles et formation, jusqu'au premier album d'Arrakeen et la suite en solo.
Guitariste : Ton nouvel album "Essentuel" tout acoustique est orienté vers le jazz. Tes précédents albums solos étaient orientés vers le metal instrumental, le projet Morbid Feeling était tourné vers le metal prog chanté, et Tabboo Voddo vers le jazz-rock. Maintenant, un concept de "jazz-pop" ?
Cyril Achard : Il n'y a pas vraiment de concept. C'est naturellement que mes influences les plus profondes se sont réunies pour faire cette mixture là. J'adore le jazz, j'adore la pop...J'écoute autant Coltrane que Sting et bien d'autres encore. Voilà où cela me conduit aujourd'hui.
Guitariste : Le pianiste Jean-Pierre Como, ancien Sixun, participe à cet album. Comment c'est passé votre rencontre ?
Cyril Achard : Etant nouveau venu sur la scène Jazz, j'avais le sentiment qu'un nom associé au projet ferait avancer les choses. J'ai présenté le projet à plusieurs pianistes. Jean-Pierre a littéralement craqué sur la musique et m'a rappelé aussitôt. En retour, il nous gratifie d'une performance incroyable, à la hauteur de son talent et de sa sensibilité. Je ne le savais pas au départ, mais il était le pianiste sur mesure pour ma musique. Certains titres auraient très bien pu être écris par lui-même. C'est le hasard, un signe aussi.
Guitariste : C'est ton frère qui chante sur cet album, de quel univers musical vient-il ? Comment c'est passé votre collaboration?
Cyril Achard : Nous écoutons et vibrons pour les mêmes choses, depuis le début. Il était à l'origine bassiste d'un trio instrumental, que j'avais monté à 17 ans, qui s'appelait...Morbid Feeling. J'ai repris ce nom plus tard, en hommage à cette période, et à quelqu'un qui m'était cher et que j'ai perdu.
Guitariste : Comment composes-tu ? Ecris-tu juste les grilles et les thèmes ou au contraire, définis-tu toutes les parties de chaque instrument ?
Cyril Achard : Aujourd'hui, je compose essentiellement dans la tête, en conduisant, marchant, sous la douche...Je chante constamment à l'intérieur de moi même...je sais que cela fait cliché, mais c'est comme cela. Il m'arrive aussi de composer avec l'instrument, et l'harmonie et la mélodie arrivent en même temps, comme si j'improvisais en chantant. J'avais dans le passé davantage l'habitude d'écrire mon thème sur une grille. Quand au reste de l'instrumentation, j'ai essentiellement écris les parties pianos. Les arrangements de voix, basse et batterie, ont cette fois été "remaniés" par Lilian Bencini (contrebasse) et Fred Pasqua (batterie). Ce qui n'était pas le cas dans mes précédents albums.
Guitariste : Comment s'est déroulé l'enregistrement ?
Cyril Achard : J'ai laissé carte blanche, car le style le permet, au batteur et contrebassiste.
J'ai surtout fixé l'emboîtement piano/guitare, les lignes mélodiques les choeurs. On a enregistré au Mans, dans un cube en aluminium. Un studio, Musiques Plurielles, des gens supers. On était logé sur place. On bossait comme des malades, les prises finissaient à l'aube...C'était très intimes. Les prises la nuit, c'est différent. Jean-Pierre Como a donné une direction très "sensuelle" à la musique.. J'ai vécu là les meilleurs souvenirs de prises. Choses impossibles à vivre quand on joue une musique où chacun enregistre dans son coin. Mais ça, c'est le style qui le veut.
Guitariste : Tu as toujours intégré de l'acoustique sur tes albums précédents. Cette fois, tu as été bien plus loin avec une technique proche du flamenco…
Cyril Achard : Là il faut être clair, je suis un débutant à ce niveau-là. J'ai pris des cours de technique classique, je travaille le buté, le pincé, les arpèges, et surtout le son. C'est le départ de toute chose. La route est longue pour moi à ce niveau. J'ai parallèlement développé pas mal de systèmes d'improvisation combinant le médiator et les trois autres doigts restants, de façon à apporter plus de "son" dans mes chorus, un peu comme un pianiste. Ceci, à travers des trémolos dans les basses et aigues, puis d'autres systèmes de tenues de notes, avec des chants qui s'entrecroisent.
Guitariste : Tu as sorti il y a quelques années une vidéo sur le jeu "out". Ta vision de ce type d'improvisation a t-elle changé ?
Cyril Achard : Je ne me soucis plus de ce que je mets dans mes impros. Dorénavant, je laisse le chant intérieur, le chant de la grille, guider mes doigts. Selon les jours, c'est plus ou moins bien !
Guitariste : Sur l'album, il est noté que tu joues sur une guitare d'Olivier Pozzo. Utilises-tu toujours cette guitare?
Cyril Achard : Olivier est un artiste, son travail incroyable ! Notamment la "nuit de chine". Sur scène, j'aurai un autre instrument, une guitare classique montée sur Schertler.
Guitariste : Tu utilises des cordes nylon, et non pas des cordes de bronze, sur tes guitares acoustiques. Pourquoi ?
Cyril Achard : Je travaille essentiellement la technique classique, et je ne peux pas jouer sur cordes en acier à cause des ongles. De plus, je préfère le contact main gauche avec le nylon bien plus qu'avec l'acier. Ce contact direct, ce rapport physique avec l'instrument, est une des raisons pour laquelle je ne joue plus d'électrique.
Guitariste : Tu prépares le nouvel album de "Taboo Vodoo" avec Mike Terrana et Mickael Manring. Vous avez tous les trois des personnalités musicales et des parcours distincts. N'est ce pas un obstacle pour composer ensemble ?
Cyril Achard : Ce projet est en mutation. Quand à composer en groupe, cela m'est impossible.
Guitariste : Quel matériel préfères-tu en électrique ?
Cyril Achard : Lag pour les guitares. Je possède deux modèles fabuleux, conçus en partenariat avec Michel Chavarria (fondateur de la marque, ndr). Cette guitare est le parfait mélange entre ma Stratocaster et ma vieille Ibanez. Coté ampli, c'est toujours Peavey que je préfère.
Guitariste : Tu as un site web www.cyrilachard.com. Que penses-tu du développement du web comme outil pour les musiciens ?
Cyril Achard : Mon avis est contrasté. Il faut l'utiliser mais pas en abuser. Il est facile aujourd'hui de devenir "artiste", on produit son album dans sa chambre, on crée son site web, etc...Je préfère passer mon temps à harceler les programmateurs, tourneurs et salles de concerts, plutôt que de me créer une image virtuelle.
LES QUESTIONS DES MEMBRES
Guitariste : (Didiz) Comment voyais-tu la guitare étant plus jeune ? Quel bilan en tirer ?
Cyril Achard : Plus jeune, j'avais une vision plus étroite, comme tout le monde je pense. Le bilan : j'ai passé beaucoup de temps à travailler les mauvaise choses mais ça on ne peut le savoir qu'après avoir atteint un...certain âge ! J'ai travaillé certains détails purement guitaristiques, utilisables uniquement dans un certain contexte. Si c'était à refaire, je m'y prendrais différemment.
Guitariste : (proutos) Te considères-tu plus proche du jazz que du rock actuellement ?
Cyril Achard : Je pense que le style de musique dans lequel j'évoluais m'a fait occulté ce qui aujourd'hui est essentiel pour moi. Tout dépend en fait l'univers musical dans lequel on souhaite s'exprimer, les exigences et le travail et différent selon le monde musical. Je me suis toujours senti comme un musicien aux influences et à la culture Jazz, qui évoluait dans un style qui ne m'était pas approprié. Jusqu'à 25 ans les choses allaient à peu près. Ensuite, je sus que dès que j'en aurais les "couilles", je prendrais le risque de faire le grand saut... J'ai changé d'esthétique en fait, d'apparence. Au fond j'écoute toujours la même chose. Mais cela implique une prise de risque professionnelle. Un jour, un élève m'a fait une remarque intéressante : "Pourquoi ce que tu enseignes et joues en cours est-il à l'opposé de ce que l'on entend en concert et sur tes disques ?". Ce décalage ne pouvait plus durer, je ne pouvais plus le gérer intérieurement.
Guitariste : (deady666) On a un peu parlé sur ce forum d'une phase de spleen te concernant, plus précisément une certaine lassitude par rapport à la guitare électrique et son univers (manque de reconnaissance notamment). Qu'en est-il aujourd'hui ?
Cyril Achard : Spleen non. On en revient toujours à la même chose : l'essentiel c'est de se faire plaisir en jouant. Lassitude envers la guitare électrique, oui. La guitare nylon m'a redonné le goût, l'amour et la passion qui nous animent tous quand on a 15 ans...et cela je l'avais perdu depuis bien longtemps.
Guitariste : (Aragorn) Est-ce que des disques ou des artistes en particulier ont contribué à ce "revirement" ?
Cyril Achard : Sylvain Luc m'a redonné cette joie, ce plaisir dont je parlais tout à l'heure. Etant guitariste, il m'a prouvé que la liberté harmonique, la place que peut occuper un piano dans un trio jazz, tout cette liberté d'improvisation on peut l'obtenir avec une guitare. Je considérais la guitare comme un instrument mineur en Jazz, mes références c'était plutôt les pianistes, les saxophonistes, etc. Ce gars-là a quand même fait évolué la guitare, c'est important de le dire.
Et pour répondre à la question, le premier album de Sud est à écouter. Il serait temps de se pencher sur Patrick Manouguian...un tout bon !
Guitariste : (Cle@r) Comment vit-on de la musique en France actuellement ? N'est-ce pas trop dur même au niveau où tu évolues ?
Cyril Achard : On jongle tous avec les cours, les plans alimentaires et les concerts et master class. C'est dur bien sur, surtout quand on choisit de mener des projets solos. J'ai pris une année sabbatique sur les cours et le reste pour me consacrer à tous mes projets de création...c'est un pari. Je ne serai bientôt plus intermittent...il faudra aller "gagner" l'argent sur le terrain.
Guitariste : (MatthewBellamy) pour en revenir à l'apprentissage du jazz, tu conseillerais plutôt à un débutant de bosser ses rythmiques ou de travailler davantage les cotés technique et phrasé ?
Cyril Achard : Je dirais que les deux doivent avant tout obéir à une règle : le travail du rythme, de l'articulation, et du son.
Guitariste : (woot) Quelle est ton approche de l'improvisation?
Cyril Achard : Une phrase qui swingue a plus d'effet qu'un plan out désarticulé. Mon approche de l'impro ? Aujourd'hui, elle est horizontale...Avant je jouais vertical. Le jeu vertical, c'est obtenir un effet de manche, un plan ou un superstructure intéressante sur l'accord. Le jeu horizontal, c'est recréer un long thème sur la grille, c'est lié à un chant intérieur. C'est moins flashy. Plus spontané, moins préparé. C'est avant tout un point de départ et d'arrivée qui doivent être reliés par une belle histoire.
Guitariste : (Matthieu Sah-K) Que penses-tu de l'école M.A.I (sans tabou) ?
Cyril Achard : C'est une super école, de très bons profs et surtout très agréables à vivre. Mr. et Miss Kullock sont des gens adorables.
Guitariste : (Viiinc3) Un petit mot sur les concerts de fin d'année?
Cyril Achard : Une partie des concerts sont en trio, d'autres en quintet. En trio, nous présentons un Tribute to Hancock, ainsi que l'album Essensuel remanié pour l'occasion. D'autres dates devraient arriver encore j'espère. Je vous invite à les découvrir sur le site : www.cyrilachardsextet.com
Guitariste : (eZe) Si tu pouvais revenir en arrière, tu changerais d'instrument ? Pour lequel ?
Cyril Achard : Sûrement le piano, même si je suis un passionné de rythme et de batterie. J'ai commencé par la gratte...si j'avais du changer en cours de route, ce ne serait pas gagné, déjà que j'ai du mal à me supporter. Donc "au fond", je joue de la guitare car il est trop tard pour en changer. Même si je considère avoir changé à moitié d'instrument en passant à la guitare nylon.
Guitariste : (DarkHope) As-tu une titre que tu affectionnes plus que les autres dans Essensuel ?
Cyril Achard : J'ai un faible pour "Pensée intime"...
Guitariste : (Aragorn) Cyril, si tu souhaites conclure, le mot de la fin est pour toi...
Cyril Achard : Ok, tout d'abord merci à toute l'équipe de Guitariste.com pour m'avoir donné la parole. Merci à tous ceux qui m'ont soutenu pendant les périodes creuses, ils se reconnaîtront. Concernant le post à mon sujet sur le forum, cela m'a assez touché, merci, mais je suis d'un naturel enthousiaste. Cela a été une période de travail et de labeur plutôt qu'une période de spleen. Je pense que le circuit métal progressif ne correspondait pas à ma nature. Les gens le sentaient c'est pourquoi mes précédents albums et projets ont eu tant de mal à trouver des deals. Je ne dénigre absolument pas ce style, ce que j'ai fait auparavant ni le monde du shred.
Je dirais simplement, ce que je fais aujourd'hui est ce qui me fait vibrer le plus. J'espère et pense que ceux qui écouteront Essensuel et nous verront en concert, comprendront et sentiront où est ma place. Bonne continuation à tous, c'était un plaisir de partager cet instant avec vous. Il faut vraiment garder en tête que la musique doit réunir les gens au-delà des divergences de styles et de conception. Essensuel, c'est un mix entre Essentiel et sensuel, c'était naturellement tout trouvé pour moi.
Les prochaines dates du sextet Cyril Achard :
23 Septembre 2004: Balthazar /Marseille
16 Octobre 2004 : Station Mir / Pezenas
29 Octobre 2004 : Bar en Biais / Antibes
30 Octobre 2004 : Cave Romagnan / Nice.
5 Novembre2004 : Chambery - Avec C.Godin en 4tet.
6 Novembre 2004 : Guitare Village / Domont (92)
7 Novembre 2004 : Spirit 66 / Vervier (Belgique)
9 Novembre 2004 : Conservatoire de Troyes
10 Novembre 2004 : EF2M / tourcoing
11 Novembre 2004 : Caf Conc' / Ensisheim
27 Novembre 2004 : Escale St Michel / Aubagne
3 Décembre 2004 : Bois de l'Aune / Aix en Provence
8 Janvier 2005 : Jazz Convergence / La Ciotat.