Clockwork Angels continue musicalement dans la direction de Snakes & Arrows, en y ajoutant une histoire qui est racontée au fil des douze morceaux et soixante-six minutes de cet album. C’est bien un album concept auquel nous avons droit ici, comme à la belle époque de 2112. L’histoire devrait voir le jour sous forme de roman de science-fiction, et c’est l’auteur Kevin J. Anderson, ami de Neal, qui devrait s’en charger.
Le thème de cette histoire est le voyage initiatique d’un jeune homme qui quitte sa ferme, en empruntant un des trains à vapeur qu’il regarde sans arrêt passer. Il découvre, tout au long de cette aventure, un monde étrange et pas aussi idéal qu’il se l’était imaginé. Il poursuit néanmoins son rêve d’évasion et rencontre tour à tour la religion, l’amour, la trahison et pas mal d’autres choses. Chaque morceau représente une scène de l’histoire. Ceux qui se rappellent leurs années de lycée y verront une analogie avec Candide, de Voltaire, et d’ailleurs le préambule du dernier morceau y fait référence, puisque comme Candide, le héros revient « cultiver son jardin » au sens propre comme au figuré et conclut que seul l’amour et le respect restent de vraies valeurs à rechercher dans ce bas monde.
On connaissait déjà deux morceaux de l'album : Caravan et BU2B (« Brought Up To Believe » / « élevé pour croire »). On note quand même une nouvelle intro calme pour BU2B. Caravan pour son refrain accrocheur et son riff syncopé, le travail de titan de la basse. BU2B, plus complexe, pour ses superbes lignes de chant. Les paroles touchent à la fatalité et au destin, une sorte de pamphlet contre notre éducation et la religion qui nous font croire que tout est écrit, couru d’avance et que si ça arrive c’est qu’on l’a mérité (« Believe in what we’re told, blind men in the market, buying what we’re sold » / « Nous croyons ce qu’on nous dit, comme des aveugles sur un marché, achetant ce qu’on leur vend ». Headlong Flight sonne plus Rush des années 80. La ligne de basse est énorme, le solo d'Alex excellent.
Clockwork Angels est epique à souhait. C’est avec Headlong Flight les deux morceaux qui dépassent les sept minutes. C’est probablement mon préféré avec The Wreckers, dans la pure tradition de Rush, avec une basse et une voix franchement fantastique. Il me tarde d’entendre ça en live tant l’énergie y est débordante. Le refrain est subtil, bien chanté. Le break bluesy est étonnant : guitare acoustique slidée et voix radio-boxée. Un autre morceau qui force le respect, c’est The Anarchist. Le solo de guitare d’Alex est superbe, le chant parfait, la basse ronflante et tonitruante, c’est encore un futur morceau culte qui rappelle un peu l’époque Rush des synthé. Carnies est un morceau assez speedé, plus heavy, plus classique aussi, dans lequel Alex joue avec la voix de Geddy, tantôt en riff, tantôt en solo. Neal bourrine à l’arrière, enfin façon de parler car son jeu reste très élégant. The Wreckers est le morceau dont le refrain vous scotche par sa magnifique mélodie. C’est simple, depuis plusieurs jours, je me réveille avec ce refrain dans la tête. Enorme. Le morceau est tout en douceur, ce qui contraste avec la violence de la scène décrite (une phare dans la tempête, que les marins pensent salvateur, mais qui les drosse sur les récifs). Alex joue pas mal en acoustique et Geddy nous gratifie donc d’un somptueux et touchant refrain (« All I know is that sometimes you have to be wary of a Miracle to good to be true » / « On devrait toujours se méfier des miracles trop beaux pour être vrais »). Il y a vraiment du contenu et de la profondeur dans un morceau comme ça, il faut juste savoir l’entendre. Quand j’entends la ligne de chant, je me demande aussi comment certains peuvent critiquer Geddy sur sa voix.
BU2B2 is un petit intermède chanté par Geddy et accompagnés de violons et de violoncelles, qui ne dure qu’une minute et demi. L’album se termine avec les deux morceaux Wish Them Well et The Garden. Le premier possède une structure assez simple, assez rock, et un bon refrain, sur lequel Geddy fait ses propres chœurs. Alex y réalise un bon solo assez heavy et contrasté. Le deuxième décrivant le jardin dont je parlais tout à l’heure, métaphore du bonheur « The measure of a life is a measure of love and respect / Une vie se mesure à sa dose d’amour et de respect ». C’est un morceau calme, quasi acoustique, où la voix de Geddy, subtile et délicate, est accompagnée d’une guitare acoustique et de violoncelles. La basse et une légère batterie les rejoignent ensuite. Finalement, un superbe piano accompagne Geddy sur un petit break et sur le final (piano joué par Jason Sniderman). Alex n’oublie pas de se rappeller à notre bon souvenir au travers d’un solo très inspiré. C’est un très joli morceau qui se cache tout au bout de cet album, comme un dernier joyaux à découvrir.
Au final, je pense que c’est encore un très bon album de Rush, dans la lignée de son prédécesseur, peut-être même plus homogène encore. Certains pourront reprocher un certain manque de prise de risque, mais je trouve que ça serait un peu sévère devant ce que le groupe a déjà réalisé dans sa longue carrière, toujours à contre-courant, loin des modes et totalement occultée en France. On retrouve tout au long de l’album des petites touches qui nous rappellent les étapes de cette carrière, comme si ce voyage initiatique était, par la même occasion, un voyage dans cette carrière musicale sans égale. Comme toujours avec Rush, il faut du temps pour totalement appréhender un album et tenter de se plonger dans l’histoire qui est contée, en étudiant le magnifique livret de quatorze pages inclu. Les amateurs s’accorderont certainement ce temps et cet exercice. Ceux que Rush n’a toujours pas convaincu, ou touché, passent encore à côté de quelque chose d’énorme. On notera le petit clin d’œil sur la pochette représentant une horloge indiquant 21h12, les fans comprendront…
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