Regard sur la carrière solo de Bryan Ferry...
... ou le classement commenté des albums du Fez par un fan hardcore à l'occasion de la sortie d'Olympia, sorte d'album somme qui clôt un cycle de plus de quinze années d'errements.
Les chefs d'oeuvre :
1. Boys & Girls (1985)
Bryan Ferry a toujours été un perfectionniste. On ne compte plus les albums qui lui ont demandé plus de trois ans de préparation. Le défaut de cette qualité est une tendance à la production subliminale qui - à l'écoute - n'est pas sans provoquer chez certains une impression de claustrophobie. Rien de tel avec Boys & Girls qui est le Citizen Kane de son auteur. L'album est une architecture savante qui superpose des couches et des couches de guitares atmosphériques, occasionnellement transpercées par les leads de David Gilmour, Mark Knopfler et Neil Hubbard. Pour la bonne bouche on trouve la crème des musiciens de studio de l'époque: Marcus Miller, Tony Levin, David Sanborn, Nile Rodgers, Guy Fletcher... tout ça pour emballer 8 chansons et un intermède dans une atmosphère planante et dansante qui a marqué son époque, Slave to Love et Don't stop the Dance en avant.
Outtakes :
Nocturne
Valentine (instrumental)
2. The Bride Stripped Bare (1978 )
Tout a été dit et écrit sur cet album sombre écrit après la rupture de Ferry et de la Top Model Jerry Hall. Ce qui est le plus remarquable avec cet album est qu'il est l'antithèse des tendances naturelles du Fez. Pas de surproduction, pas de superstar. La musique se fait plus folk et plus soul, des sources d'inspiration constantes de Ferry depuis Another Time, Another Place mais jamais citées aussi textuellement. A l'inverse, un titre du Velvet Underground (What Goes On) se trouve repris de façon presque plus dépouillée que l'original. Et il faut bien reconnaître que Ferry le fait bien. Il aura souvent parlé par la suite de revenir à ce mode de production sobre... sans aucune suite hélas. Pour s'en rapprocher un peu, il aura fallu attendre le très beau As Time Goes By et son hommage appuyé aux belles machines du swing et de la musique hollywoodienne des années 1930/40.
Outtakes :
Four Letter Love
Feel the Need
He'll Have To Go
Broken Wings
Crazy Love
Les grands albums
3. Frantic (2002)
Le plus rock des albums modernes de Ferry. Réalisé dans un état d'urgence inhabituel pour le Fez, Frantic réunit des morceaux rescapés de la session Alphaville (album abandonné) tout en anticipant sur un projet d'album entièrement composé de covers de chansons de Bob Dylan. Il fait ressortir le meilleur des tendances naturelles de l'ancien leader de Roxy Music. Sa voix fêlée est plus belle que jamais quand il est au bord de la fausse note. La progression entre reprise rock de Dylan, humeur bluegrass du Good Night Irene de Leadbelly et pop kitsch stewartienne (Goddess of Love) se conclut à merveille avec le très Roxyesque I Thought.
Outtake :
I Forgot More than You'll Ever Know About Her
4. Mamouna (1994)
Mamouna est un objet insolite. C'est d'abord un des albums les plus personnels : 100 % de compositions, on n'avait pas vu ça depuis Boys & Girls et l'expérience ne s'est plus renouvelée depuis. Ferry trouve le processus d'écriture "ennuyeux" comme il l'a dit lors de la réception d'un prix. En réalité, il l'a mené au bord de la dépression et plusieurs fois à l'échec comme en témoignent au moins les deux albums fantômes
Horrorscope et Alphaville qui ont circulé sous la forme de Bootlegs avant d'être démembrés par Ferry qui en a réexploité certains titres dans ses productions ultérieures. Mamouna est donc en partie issu de l'échec d'Horrorscope, jugé inexploitable par sa maison d'édition car trop sombre. Il scelle aussi la réconciliation avec ses anciens compères de Roxy Music qui mettent presque tous la main à la pâte notamment dans un titre, Wildcat Days, qui aurait pu figurer sur un album du groupe.
Visuellement, l'album est étonnant : derrière une (affreuse) peinture d'étalon blanc on découvre dans le livret dépliant un univers de cabaret - ou de bordel ? - pervers et chic. Issues du tournage du clip The Girl of my Best Friend (session de l'album Taxi), ces successions de photos noir & blanc / en couleurs saturées sont probablement le visuel le plus abouti des albums solos du leader de Roxy Music. La clef de l'album est probablement là. Au delà de la symbolique duelle évidente, il faut surtout comprendre que Mamouna est une peinture visuelle, une sorte d'oeuvre totale qu'il faut embrasser dans son intégralité autant que scruter dans le détail. Stylistiquement, on atteint à la perfection sonore recherchée par Ferry dans sa méthode de contrôle total expérimentée dans Boys & Girls. Seul problème : alors que Boys & Girls brillait par son évidence, il faut que l'auditeur de Mamouna soit lui-même un passionné pour avoir la patience d'en explorer tous les recoins et d'en décortiquer tous les aspects pour en tirer la substantifique moelle. Mais la récompense est au bout du chemin : Mamouna est une oeuvre baroque, cérébrale et charnelle où rien n'est jamais gratuit et qui dégage un parfum capiteux propre à enivrer les sens.
Outtake :
This Love
Les bons albums :
5. Let's Stick Together (1976)
Petite moustache à la Clark Gable, mèche plaquée sur le front et les yeux, cravate à pois... et guitariste star (Chris Spedding) à ses côtés, Ferry change de braquet et décide de passer à l'offensive. Let's Stick Together est l'affirmation d'un style personnel, déconnecté de Roxy Music que le leader vient de dissoudre. Désormais, les albums solos ne seront plus des récréations mais des re créations. Toujours composé de reprises, la grande nouveauté est que le Fez livre ses premières auto cover, se réappropriant des compositions pour Roxy Music. Parfois, c'est une vraie réussite (Casanova, 2HB), parfois non (Re-Make/Re-Model). Mais rien que pour le titre phare, cover de Let's Work Together du multi instrumentiste Wilbert Harrison, dynamité aux cuivres et aux roucoulements mexicains, l'album décroche une place d'honneur dans le classement des albums pop de la décennie.
6. Another Time, Another Place (1974)
Fin du glam. Ferry sera Bogart ou rien. Désormais en smoking presque à vie - passons sur la parenthèse de l'uniforme martial pendant la Période Siren de Roxy Music - Ferry continue son hommage et sa relecture des sources de son art. Tout y passe, des standards des années 1930 au Soul/Funk d'Ike Turner en passant par Dylan et la Folk désabusée de Kris Kristofferson. C'est aussi et surtout la mise en place d'un procédé de production qui sera la signature du dandy rocker. La forme rencontre le fond, même si le danger était grand de disparaître derrière le staff de luxe. En fait c'est une galaxie qui vient d'émerger, faite de collaborateurs qui de loin en loin deviendront les ouvriers du son unique de Bryan Ferry.
7. These Foolish Things (1973)
Le plus sympathique de tous les albums de covers de Ferry. En pleine vague glam rock, et en plein triomphe de Roxy Music, These Foolish Things est un album nostalgique et léger qui pose les bases des obsessions musicales du crooner rock : les girl groups, Elvis, les Stones, les Beatles, les années 1930 et surtout Dylan. Selon les titres, Ferry privilégie la citation (Don't Worry Baby) ou la relecture (A Hard Time's a Gonna Fall). Il parvient à sonner plus féminin que Janis Joplin (Piece of my Heart) ou expérimente avec deux batteurs et du violon électrique (Sympathy for the devil). Le résultat est un album attachant même s'il semble bien moins révolutionnaire que les oeuvres de Roxy Music.
8. Olympia (2010)
Kate Moss en couverture répond à Kary-Ann Muller, top model du premier album de Roxy Music sorti 38 ans plus tôt. Étrange, cela sonne comme un détournement de l'univers de Roxy Music.
Musicalement, je craignais le pire après l'abominable Dylanesque. La première écoute n'est pas loin de me laisser de marbre. Et puis je perce la couche dense de la production pour découvrir des harmonies et des mélodies simples et bien ficelées. Deux compositions personnelles, trois collaborations avec Dave Stewart rescapées d'un album abandonnée, deux commande, trois covers... Les atmosphères se succèdent, allant du naïf (No Face, No Name, No Number) au torturé (You Can Dance) en passant par le néo disco (Shameless) et le lyrique (Song to the Siren qui a des relents du Chris De Burgh de The Lady in Red), le tout baigné par cette touche de Funk froide caractéristique du style de Ferry depuis Bête Noire et surtout Taxi. L'album manque cruellement d'un vrai titre phare et certains morceaux ont du mal à accrocher l'oreille tant ils manquent d'aspérités (BF Bass). L'ennui peut guetter le non aficionados mais Ferry, s'il est tenté par les sirènes, évite bel et bien le naufrage... Et miracle, au bout de plusieurs écoutes, l'abum se révèle pleinement et par un jeu savant de références permet au Ferryphile de trouver son chemin dans ce dédale - jusqu'à hisser finalement cet Olympia dans la sphère des bons albums du Fez. C'est une sorte de deuxième face souriante de Mamouna.
Pour une fois, les possesseurs de l'album standard sont privilégiés, tant les deux titres bonus (One Night, tout droit sorti des sessions de 1993 et Whatever Gets You Thru the Night, reprise pudding) détonent et nous ramènent 15 ans en arrière. Heureusement, le disque de remixes de l'édition Deluxe est plus intéressant.
9. Taxi (1993)
Taxi est un retour en arrière. Crispé sur sa nouvelle superproduction intitulée Horrorscope - qui ne verra jamais le jour - Ferry s'accorde une pause en revenant à son exercice favori, la cover. Le roi de l'autoréférence pousse le vice jusqu'à achever son album sur une cover de Kris Kristofferson, comme à l'époque d'Another Time Another Place. Ce qui me marque le plus dans cette album, c'est la mise en place du style sonore du Ferry de la maturité. L'influence énorme de Robin Trower en guitariste et producteur raffiné et aérien rencontre l'assise solide apportée par le guitariste de blues Neil Hubbard, qui avait aidé Ferry à atteindre le dépouillement sur The Bride Stripped Bare. Taxi est la matrice sonore de Mamouna, tout comme These Foolish Things était la matrice thématique de la carrière solo de Ferry.
Outtake :
One Night
10. As Time Goes By (1999)
Encore une fois confronté au problème insoluble d'un album qui refuse de prendre vie (Alphaville), Ferry se réfugie selon son habitude dans la cover de titres qui lui sont chers. Il choisit l'option de la citation littérale en faisant appel à une petite formation constituée spécialisée dans le répertoire des années 1930/40. Un titre, puis deux, puis encore une poignée d'autres... incapable de choisir, ou tout simplement de s'arrêter, Ferry aligne les classiques et réunit la matière d'un album complet, et même un peu plus. Bientôt, il se laisse totalement porté par ce projet et transforme l'essai. L'album est un succès commercial et critique, Ferry respire et part pour une tournée de rêve où le crooner rock se fait simplement crooner. La sophistication habituelle de Ferry ne fait que percer au travers d'In The Mood for Love, beaucoup plus produit et qu'on devine issu d'un autre projet plus ancien. Live at The Grand Rex publié en DVD garde le souvenir - hélas incomplet car amputé de plusieurs instrumentaux de qualité - d'une date parisienne de la tournée.
Outtakes :
If I Didn't Care
Smoke Dreams Of You
Les albums passables :
11. In Your Mind (1977)
Premier album solo 100% original... pas forcément pour le meilleur. Choeurs envahissants et sans second degré (à comparer avec ceux de Dave Stewart dans Greetings from the Gutter), production pachydermique, titres fleuves dispensables... Malgré la présence flamboyante de Chris Spedding, seuls l'hymne Tokyo Joe et les lancinants Love Me Madly Again et In Your Mind motivent vraiment l'achat de l'album. La tournée mondiale qui a suivi a été en revanche un grand moment de rock.
Outtake :
As The World Turns
12. Bête noire (1987)
Deux ans après Boys & Girls, Ferry renoue avec la superproduction mais se met en retrait en se payant des producteurs de luxe comme Patrick Leonar et Chester Kamen. Le résultat est mutant : un habillage hyper trendy - et donc vite démodé - recouvre une humeur sombre, accouchant ainsi d'un funk chic désabusé, peu dansant... jusqu'au dépressif avec Zamba, le plus beau morceau de l'album. Les fautes de goût sont assez nombreuses et culminent dans le plombant The Name of the Game avec ses choeurs gospel peu habités.
Les albums médiocres... ou pire :
13. Dylanesque (2007)
Le seul et unique album dans lequel je ne sauve rien. Dylanesque tente de retrouver la spontanéité de The Bride Stripped Bare par une captation quasi live mais pourtant jamais les reprises du Fez n'ont semblé aussi plates et peu inspirées. Mon paquet de biscotte a plus de swing que la section rythmique de cet album, constamment sur le temps.
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Apparitions du Fez hors albums :
- All This and World War II, Original Soundtrack (1976) : She's Leaving Home (Beatles cover)
- Legend, Original Soundtrack (1985) : Is Your Love Strong Enough ? (Ferry original)
- The Fly, Original Soundtrack (1986) : Help Me (Ferry original)
- Honeymoon in Vegas, Original Soundtrack (1992) : Are You Lonesome Tonight (Elvis Cover)
- Phenomenon, Original Soundtrack (1996) : Dance with Life (Bernie Taupin original)
- Tribute to Diana Princess of Whales (1997) : Sonnet XVIII (Ferry original)
- 20th Century Blues, Tribute to Noel Coward (1997) : I'll See You (Coward cover)
- Northumbria Anthology (1999) : The Lambton Worm (trad.)
- Good Rockin' Tonight, The Legacy of Sun Records (2001) : Don't Be Cruel (Elvis cover)
- Rogue's Gallery - Pirate Ballads, Sea Song and Chanteys (200 : The Cruel Ship's Captain (trad.) ; Lowlands Low (trad.) en duo avec Anthony.
Chansons orphelines :
- Mother of Pearl (Roxy cover) ca 1995/6 - B-Side de One Way Love (2002)
- Whatever Gets You Thru the Night (Lennon cover) ca 1995/6 - Olympia (2010), Bonus Track
- I Don't Want to Go On Without You (Session Alphaville) ca 1996 - The Best of Bryan Ferry (2009)
Chansons disparues :
- Lovewar (Session Alphaville) - Bootleg uniquement
Merci à Leo Soesanto pour les conversations passionnées sur le Fez.