Alan Parsons:
Dans votre palette sonore figurent quelques instruments étranges, le cymbalum par exemple : qu'était exactement le Projectron ?
C'était un instrument à bandes que j'avais inventé. L'idée de base était simple, mais la réalisation atteignait les limites de la technologie disponible à l'époque. En gros, on prenait des boucles de bande, qu'on copiait sur le multipiste. Chaque piste était ensuite jouée depuis un clavier. L'instrument comportait pas mal de VCA, qui était un composant tout récent : chaque piste possédait le sien, ainsi qu'un générateur d'enveloppe (Attack + Decay).
Vous étiez aussi, à l'époque de "The Turn Of A Friendly Card", un fervent supporter des appareils Publison...
Parce que c'étaient les meilleurs appareils du moment ! C'était révolutionnaire de proposer des pitch shifters, des délais numériques de cette qualité, sans parasites ou glitches. J'en avais fait venir un pendant les séances de "The Turn...", à Acousti, et je l'ai acheté immédiatement. Encore aujourd'hui, j'utilise ce pitch shifter Publison dans mon studio.
Mais même si les machines produites étaient vraiment excellentes, leur fabricant n'est jamais parvenu à leur donner la réputation qu'elles méritaient au niveau mondial : leur renommée n'a pratiquement pas dépassé les frontières françaises. Si le marketing et l'après-vente avaient été à la hauteur, ou si Peter Dean avait vendu les plans de ses produits à un grand nom de l'électronique, il aurait pu devenir très riche !
Vous avez également été l'un des premiers à utiliser le Fairlight.
Oui, dès "Eye in the Sky". Dès que je l'ai eu, j'ai passé de longues heures à sampler tout ce que j'avais dans le Projectron, afin de m'affranchir des problèmes analogiques... Cela dit, la qualité audio des premiers Fairlights était, selon nos critères actuels, très mauvaise. Je ne l'ai jamais MIDIfié, je l'ai revendu juste à temps, lorsque l'Emulator II est sorti. Puis est arrivée la déferlante DX7, et les premiers samplers Akai, vers 1984-85, dont j'ai su me servir très vite : ils faisaient à peu près la même chose qu'un Fairlight, mais pour beaucoup moins cher.
Vous n'avez jamais utilisé le Synclavier ?
Non, jamais. Cet appareil possède une autre philosophie, vraiment particulière. A l'époque, il fallait choisir son camp dès le début : Fairlight, ou Synclavier. Vous savez lequel j'ai choisi...
Pour les concerts que vous avez donnés récemment, vous avez été amené à recréer des sons figurant sur vos anciens albums : bandes ou samplers ?
Surtout des samplers, ou des programmations d'instruments récents imitant à la perfection certains sons "anciens". C'est d'ailleurs une des raisons qui m'ont décidé à faire de la scène maintenant plutôt qu'il y a quelques années : il n'a jamais été aussi facile de reproduire des sons qu'actuellement. Mais nous avons fait attention à ne pas tomber dans le piège des sons en conserve : la plus grande partie de ces "vieux" sons ont été joués live, nous n'avons utilisé les bandes que lorsque leur utilisation apparaîtrait évidente, même à un non-initié.
En fait de "bandes", il faudrait plutôt dire : DD1000, puisque nous nous sommes mis aux disques durs pour lire des éléments préenregistrés. Comme notre ancien label (Alan Parsons a enregistré tous ses albums sur Arista, sauf le premier," Tales..." pour Polygram et la compilation et le live sortis sur Arcade NDR) serait venu nous demander des droits sur le mixage si c'est celui-ci qui avait été diffusé tel quel (une telle diffusion sans acquérir au préalable les droits est assimilable à une copie clandestine d'éléments appartenant à un label par un autre label), nous sommes donc repartis des bandes multipistes, que nous avons prémixées. Pour l'intro orchestrale de "Old and Wise", étaient ainsi diffusés les hautbois, les flûtes, et les cordes, le tout réparti sur 3 DD1000. Si nous avions eu des fonds illimités pour cette tournée, j'aurais bien évidemment préféré emmener un "vrai" orchestre symphonique : mais nous avons perdu bien assez d'argent comme ça !
Dans le livret du CD, sur une photo d'Andrew Powell (un des claviers du groupe), on voit à l'avant-plan un magnifique Prophet 5 : c'est le vôtre ?
Non, c'est le sien ! Je ne fais pas collection d'instruments, je ne les conserve pas : je les revends avant qu'ils ne soient démodés, pour acheter du nouveau matériel, comme j'ai revendu mes 3324 pour acheter les Tascam, ou le Fairlight pour les Akai. Je ne possède mon propre studio que depuis dix ans, auparavant tous les équipements que j'utilisais ne m'appartenaient pas. J'ai une petite collection de microphones, ou de claviers, mais ils datent tous de ces dernières années. , de mon accession à la propriété d'un studio : 1984-85.
Procédez-vous de même avec vos "vieux" effets de studio ?
Non, là je suis plus conservateur. Je n'en ai pas revendu depuis de nombreuses années. Par exemple, j'ai encore un Studio 440 (Sequential Circuits), qui est à la fois une boîte à rythmes, un sampler et un séquenceur. J'ai conservé précieusement un délai Roland SRV2000, que je trouve vraiment excellent pour les échos très courts, une vieille Quantec (Room Simulator) qui sonne très bien aussi, et qui était hors de prix quand je l'ai achetée : de nos jours, plus personne ne mettrait autant d'argent dans un effet que les Japonais offrent pour 500$ . A propos d'effets, lors du mixage de l'album live, je n'ai utilisé aucune autre réverbe qu'une REV7, qui est une de mes favorites : j'ai trouvé dessus un son qui se rapproche beaucoup de celui d'une scène, et je l'ai utilisé partout sur l'album. Il y aurait beaucoup à dire sur les réverbes : je préfère n'en utiliser qu'une à la fois, je trouve que plusieurs finissent toujours par embrumer le son et empâter le spectre. Sur "Dark Side Of The Moon", je n'ai utilisé qu'une seule réverb : une EMT 140, à plaques. Elle concourt vraiment au son, à l'atmosphère de l'album.
C'est cette ambiance qui a disparu lorsque, pour une compilation intitulée "Pink Floyd, a Collection Of Great Dance Songs", le titre "Money" a été remixé dix ans plus tard...
Je crois que ce "remixage" est en fait une récupération d'autres éléments. En 1973, quand "Money" est sorti en 45 tours aux USA, le groupe avait en fait réenregistré toute la chanson à cette occasion. Leur problème était que "Dark Side" était sur EMI. Ils ne se doutaient pas du succès qu'aurait cet album. Ils l'avaient vendu à Columbia, qui était leur label aux USA, et qui a voulu y ressortir ce titre. C'est pour un problème de droits, me semble-t-il, qu'il leur a fallu tout réenregistrer. Mais après tout, quand il est en tournée, Dave (Gilmour) joue le même solo que sur l'album, note pour note...
Vous aussi, vous avez remixé pour le CD "Tales & Imagination" en 1987 : pourquoi particulièrement cet album ! ?
Pour une raison "politique"... En fait, c'est Polygram qui me l'a demandé, et j'ai répondu "Pourquoi pas, je ne suis pas contre l'idée..." J'en ai profité pour rajouter pas mal de choses, du D50 par-ci, d'autres instruments par-là, et c'était surtout une opportunité de corriger certaines erreurs : par exemple, sur "The Raven", la basse et la batterie ne jouaient absolument pas ensemble. Un petit coup de sampler après, ils étaient enfin réunis ! Très sincèrement, j'ai veillé à ne pas perdre l'atmosphère de l'album, à y être fidèle... J'espère y être parvenu !
Justement, sur "The Raven" version live, le Vocoder sonne différemment de celui de l'album...
C'est normal, ce n'est pas le même appareil ! Tous les soirs, c'est moi qu'on entendait en direct, c'est ma voix qui passe à travers le Vocoder : une de mes rares apparitions en "lead vocals"... Comme dans l'album original, d'ailleurs. Mais le Vocoder est vraiment un effet particulier : plus il est imparfait, meilleur il est ! Le multieffet SQ Roland que nous avons utilisé en tournée n'était pas assez mauvais, je suppose... C'était une vraie paranoïa à chaque soundcheck, "Est-ce que ça va marcher ?", c'est un effect très délicat, pour qu'on comprenne bien les paroles, la balance doit être impeccable. "The Raven" version live sortira en single en Allemagne.
Materiel de la tournée 1997: Yamaha DX7, Korg : M1, Wavestation SR, Roland : D-50, A-110, Emulator II, E-mu : Proteus XR, EIV, Akai S3000 samplers, Kurzweil 1000PS