Rencontre avec un luthier du troisième type - (Histoire vraie)
Sur une de mes guitares, je désire faire installer un système électro-acoustique. Après quelques recherches sur le Web, je découvre le système AER. Après comparaisons virtuelles, après lecture des avis sur divers forums, après échanges avec des guitaristes ayant choisi le même principe, j'opte pour cette formule. Rassuré.
Sur cette guitare, "Custom Shop", au prix neuf de 3 300 euros, en 2004, je désire faire installer le système de la façon la plus invisible possible.
Une magnifique guitare en palissandre Indien "Master-grade", dont la table en Engelman "Master-Grade" est incrustée sur les bords et autour de la rosace d'un superbe filet d'abalone bleuté Paua. Une touche et un chevalet d'un ébène noir du Gabon de toute beauté.
Le système que j'ai choisi ne nécessite aucune défonce de l'éclisse. Un capteur piezzo placé sous le sillet en ivoire fossilisé et un micro à condensateur dans la caisse. Un principe de réglage "volume-tonalité" collé près de la rosace. Un préampli-pile collé à côté du renfort du talon, également à l'intérieur de la guitare. Rien qui n'impose autre chose qu'une simple installation. Sans modification de la lutherie.
Le patron du magasin de musique de la région, où je séjournais à l'époque, pour des raisons professionnelles, m'indique le luthier avec lequel il travaille. Je prends donc rendez-vous après avoir acquis le système. J'arrive chez le luthier par un froid après-midi de décembre. Ce dernier m'a assuré au téléphone que je pouvais rester pendant l'installation qui ne durerait pas plus de deux heures, au grand maximum.
J'arrive dans le sous-sol de sa maison, là où se trouve son atelier. Je suis immédiatement frappé par les choses les plus invraisemblables que cet artisan possède dans un incroyable amoncellement de pièces d'instruments, plus hétéroclites les uns que les autres.
Sur une table, un vieil accordéon désossé. Sur un bout de cette même table un saxophone posé sur une guitare basse sans cordes et sans mécaniques. Là, contre le mur un clavier de piano électrique. Sur l'autre table un corps de Les Paul dont pendent des fils, des potentiomètres. Les micros pendent lamentablement dans le vide. Serré dans un étau, un manche de Fender Stratocaster période CBS. Je suis défavorablement intrigué…
Je n'ai pas du tout le sentiment d'être chez un luthier mais plutôt l'impression d'être chez un garagiste…
Le Monsieur me serre la main. Vêtu d'un pantalon de grosse toile barré de plusieurs fermetures "éclairs" en métal, d'un gilet ouvert dont la grosse fermeture en métal pend sur sa cuisse. Chaussé de grosses chaussures dont les lacets passent dans des boucles en métal, le quidam est plutôt jovial. Une persistante odeur de cigarette m'indispose rapidement et considérablement. Aux murs, de vieux posters de musiciens des années soixante-dix terminent de donner au lieu un aspect plutôt insolite, voire "suspect".
Le monsieur s'empare de l'étui qu'il pose sur l'établi. En sortant la guitare comme si c'était une vulgaire bûche, il me dit < Voilà la bête ! >. Immédiatement, je réponds : < Non , voilà la guitare ! >. En regardant à l'intérieur de l'instrument, la fermeture en métal de son gilet cogne à plusieurs reprises contre le magnifique palissandre. J'avale ma salive de travers…
Il pose la guitare sur une couverture douteuse qui a dû servir à nombreux pique-niques. Puis à l'aide d'une deviseuse à piles, il démonte les cordes. Les gestes de ce luthier ont la délicatesse d'un lutteur Ukrainien. Essayant de sortir le sillet en ivoire fossilisé de l'entaille du chevalet, tirant comme une brute, sans résultat, le bougre s'empare d'une vieille pince rouillée. Il bloque les mâchoires de l'outil préhistorique sur l'os et, avec la douceur délicate d'un équarisseur Russe, arrache le sillet en poussant un . Il rajoute avec un clin d'œil : < Ces trucs-là, c'est toujours la merde à enlever ! > J'avale ma salive.
Se saisissant de la guitare comme le ferait un boucher d'un quartier de bœuf , le "luthier" pose la tête du manche sur sa chaussure droite. Rappelons qu'il est chaussé de ces anciennes godasses de montagne des années soixante, en cuir, avec cousu Norvégien et boucles en métal pour serrer les lacets. De très bonne qualité. Sans doute des Vandramini ! Mon sang ne fait qu'un tour…
Avec la même pince rouillée il se met à arracher l'attache courroie, en bel ébène noir, incrustée d'une pointe d'abalone. Avec la délicatesse d'un dentiste de la Waffen SS, sur un champs de bataille, opérant entre deux coups de canon et sans anesthésie. Il prononce ces mots inoubliables : < J'espère qu'ils n'ont pas collé cette saloperie ! >, juste avant que le pauvre morceau de bois noir ne se retrouve entre les mâchoires de la pince. Conan le barbare regardant avec un sourire carnassier ce petit morceau d'ébène qui ne lui avait rien fait. Je transpire…
Puis, s'emparant d'une sorte de tire-bouchon, il en enfonce la pointe crantée dans le trou. Le manche au sol, l'inquisiteur appuie comme un dément, tout en tournant, afin d'agrandir le trou. Il y a une série de craquements. Ç'en est trop ! Je crie : < stop ! >.
Me saisissant de ma guitare, j'attrape le sillet, les chevilles et l'attache courroie, je fourre le tout dans l'étui. Je ferme ce dernier et m'en vais sans même saluer le bourreau. Ce dernier se précipite dans la rue en m'invectivant : < Oh ça fait quand même trente euros de main-d'œuvre, ça fait trois quarts d'heure de boulot ! >. Je claque la porte de la voiture au nez du dangereux psychopathe, faisant démarrer la voiture, je quitte cet endroit de fou…
Heureusement le patron du magasin après m'avoir présenté ses excuses me propose de remettre la guitare dans son état initial. Le "Luthier" avait rayé le beau palissandre à plusieurs endroits. La tranche de la tête présentait des rayures. A l'aide d'un outil électrique, sur lequel j'ai fixé un disque à polir, de la pâte à polir déposée sur les endroits blessés, je fais disparaître toutes les traces laissées par "l'exécuteur".
J'ai sans doute rencontré un descendant de Gilles de Rais (Barbe Bleue)…
C'est une fois de retour à Paris qu'un sympathique luthier, (de convenance certes, mais compétent), fit un travail remarquable dans le petit atelier du fond de son magasin. Il connaissait son boulot…
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Ci-dessus, la guitare incriminée...