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Les mastodontes télévisuels français (TF1, F2 et F3) sont passés à côté de l’événement de ce début de siècle: la naissance de la démocratie européenne, l’émergence d’un espace public européen, la fin de l’Europe opaque des États. Le débat entre les cinq candidats à la présidence de la Commission, une première dans l’histoire de la construction communautaire, a montré où se situaient les vrais enjeux, non plus au niveau national, mais au niveau fédéral. En dépit du format contraignant imposé (trop de questions, des réponses limitées à une minute, l’interprétation), une véritable émotion est passée, celle de l’Europe en train de se faire. Deux Allemands, un Luxembourgeois, un Belge et un Grec ont débattu entre eux en anglais, en français et en grec de questions dont on a pu s’apercevoir qu’elles n’étaient plus nationales, mais transnationales : l’euro, l’immigration, les budgets, la croissance, le chômage, la solidarité, les valeurs, la laïcité, etc.
On a pu voir l’histoire en train de se faire lorsque les cinq, en chœur, ont affirmé que les chefs d’État et de gouvernement n’avaient plus d’autre choix que de choisir l’un d’entre eux au lendemain du 25 mai : la dynamique démocratique lancée par les partis politiques européens, lorsqu’ils ont décidé de désigner des candidats à la présidence de la Commission, est telle que rien ne pourra l’arrêter. Angela Merkel peut bien être réticente, David Cameron agiter un droit de véto qu’il n’a plus depuis longtemps, on ne voit pas comment le Conseil européen pourra ignorer le choix des électeurs et sortir de son chapeau un sixième homme ou femme qui n’a pas concouru. Le Parlement européen a pris le pouvoir et les citoyens doivent en prendre conscience.
Ce qui m’a aussi frappé, c’est l’absence de débat artificiel entre les candidats, style « faut-il sortir de l’euro », « faut-il quitter l’Union » ? Car, en réalité, ce sont des slogans, des artifices, aucun politique ne l’envisageant sérieusement en dehors de l’extrême-droite, chacun connaissant le prix à payer. L’enjeu, et Alexis Tsipras de la gauche radicale l’a bien dit, ce sont les politiques menées. Personne n’est locataire de l’Europe, tout le monde en est co-propriétaire et le consensus européen est de ne pas mettre le feu à la maison. L’absence ce soir de l’extrême droite et des souverainistes, incapables de s’entendre sur le nom d’un étranger pour les représenter, était de ce point de vue remarquable. Ils sont tonitruants en France ou en Grande-Bretagne, ils sont marginaux en Europe.
Et puisqu’il faut désigner un vainqueur: sans conteste l’écologiste Ska Keller qui a montré que la jeunesse avait faim d’Europe et qui a donné faim d’Europe. Alexis Tsipras a été aussi excellent, montrant que la gauche radicale pouvait ne pas être vociférante.