Le groupe promettait des nouveautés. Il les délivre. The Astonishing est un mastodonte aussi impressionnant qu'un film hollywoodien. L'orchestre symphonique omniprésent rappelle à chaque instant l'ambition du concept. Impossible d'ailleurs de dissocier la musique de celui-ci. Le niveau d'écriture de l'histoire est assez pitoyable, à peine digne d'une fan fiction. Au moins les images de synthèse utilisées dans le livret et le clip de The Gift of Music sont en cohérence avec la qualité des textes. Quant aux bruitages (trompettes, scène de combat, applaudissements, rire d'enfant, oiseaux qui gazouillent, porte qui s'ouvre, dialogues...), aux orchestrations lourdingues et aux emphases vocales de James LaBrie, ils sont tellement nombreux qu'on passe le plus clair de son temps à glousser qu'à se laisser transporter par cette œuvre soit disant grandiose. Un bon test pour mesurer sa tolérance est d'écouter Brother, Can You Hear Me?, un grand chelem de ces faux pas, un festival de guimauve.
Les meilleurs rock opera se distinguent souvent par leur richesse et leur diversité. Sur les deux heures dix de musique de The Astonishing, on a droit à une majorité de ballades sirupeuses. Quelques incursions « metal » existent comme sur Three Days mais les efforts tombent à plat à cause de gimmicks vocaux ratés ou d'une absence totale de bons riffs. A Tempting Offer ou A New Beginning, avec son sympathique solo satrianesque, semblaient prometteurs mais ces deux morceaux évoluent dans la mélasse. Dream Theater a pourtant bâti sa réputation sur sa faculté à tout pouvoir jouer, à explorer, à émuler. La pauvreté de la palette déployée ici est sans équivalent sur les douze albums précédents. On se situe à la confluence de Jesus Christ Superstar, Frozen et des sections les plus soft de Metropolis Pt. 2: Scenes from a Memory alors qu'une bonne partie des fans auraient préféré qu'on aille à la croisée de Savatage et d'Ayreon.
Certes, James LaBrie est plutôt à l'aise dans son rôle : il maîtrise un chant « lyrique » autant que les parties rock et nuance son timbre avec justesse. Néanmoins, le reste du groupe n'est pas à la hauteur. John Petrucci ne lâche qu'un ou deux soli dignes de son niveau, Mike Mangini déploie une énergie folle mais le mixage ne le met pas en valeur, John Myung n'a aucun canevas où montrer son talent et Jordan Rudess s'avère relativement discret (tant mieux serait-on tenter de dire !). Les archétypes de cette sortie de piste sont Chosen et The Path That Divides, loin d'être mauvais dans le fond mais leurs composants sont si insipides qu'ils en deviennent comiques...
On se tourne donc volontiers vers les titres les plus ouvertement commerciaux car eux au moins ne cachent derrière aucun artifice honteux. The Gift of Music possède cet enchainement arpèges / rythmique dévastatrice qu'on adore depuis Images and Words. Mieux, Our New World en reprenant le thème principal du disque voit enfin Dream Theater proposer une mélodie qui ne fera rougir personne. Dans le registre prog seul A Life Left Behind et sa première partie à la Toto sauve les meubles. The Astonishing bénéficie certes d'écoutes répétées et se laisse bizarrement apprivoiser mais cela ne doit pas faire oublier la vacuité de cette double galette, systématiquement en retrait des précédentes réalisations.
Discographie :
When Dream and Day Unite (1989)
Images and Words (1992)
Awake (1994)
Falling into Infinity (1997)
Metropolis Pt. 2: Scenes from a Memory (1999)
Six Degrees of Inner Turbulence (2002)
Train of Thought (2003)
Octavarium (2005)
Systematic Chaos (2007)
Black Clouds & Silver Linings (2009)
A Dramatic Turn of Events (2011)
Dream Theater (2013)
The Astonishing (2016)
Tracklist de The Astonishing (en gras les morceaux essentiels) :
CD1
1. Descent of the NOMACS (NOMACS instrumental) 1:10
2. Dystopian Overture (Instrumental) 4:50
3. The Gift of Music 4:00
4. The Answer 1:52
5. A Better Life 4:39
6. Lord Nafaryus 3:28
7. A Savior in the Square 4:13
8. When Your Time Has Come 4:19
9. Act of Faythe 5:00
10. Three Days 3:44
11. The Hovering Sojourn (NOMACS instrumental) 0:27
12. Brother, Can You Hear Me? 5:11
13. A Life Left Behind 5:49
14. Ravenskill 6:01
15. Chosen 4:32
16. A Tempting Offer 4:19
17. Digital Discord (NOMACS instrumental) 0:47
18. The X Aspect 4:13
19. A New Beginning 7:40
20. The Road to Revolution 3:35
CD2
1. 2285 Entr'acte (Instrumental) 2:20
2. Moment of Betrayal 6:11
3. Heaven's Cove 4:19
4. Begin Again 3:54
5. The Path That Divides 5:09
6. Machine Chatter (NOMACS instrumental) 1:03
7. The Walking Shadow 2:58
8. My Last Farewell 3:44
9. Losing Faythe 4:13
10. Whispers on the Wind 1:37
11. Hymn of a Thousand Voices 3:38
12. Our New World 4:12
13. Power Down (NOMACS instrumental) 1:25
14. Astonishing 5:51
Dream Theater – The Astonishing
Roadrunner
www.dreamtheater.net
j'avais vu et lu des topics et des traductions partielles sur l'album, mais loin d'être aussi complet que ton travail.
J'ai vu le concert samedi au palais des congrès, j'ai adoré a titre personnel. Bien sur c'est très différent des deux autres fois ou j'avais vu DT en live mais je me suis laissé porté par la musique et ce que je comprenais de l'histoire (dommage que je n'ai pas lu tes traductions avant.
complètement d'accord avec toi et pas du tout avec Guitariste.com!
quel manque de connaissance et d'analyse
the Astonishing est un des meilleurs albums de DT! ils changent de style et arrivent une nouvelle fois à me surprendre (les derniers albums étaient c'est vrai un peu répétitifs et Mike Mangini manque un peu d'âme face à Mike Portnoy)
Pour la petite histoire, je suis fan de DT depuis 2002, je suis admin sur le forum officiel du fan club français et je suis membre du staff du fan club français (je suis chargé de tout ce qui est communication avec les autres fan clubs et les traductions). J'ai intégralement traduit : l'histoire complète de l'album, les paroles en intégralité, la biographie des personnages et un article sur les différents thèmes récurrents de cet album. Tout ceci est visible ici http://blog.yourmajesty.net/
Le but de cette intro n'est pas de me la péter ni de poster mon CV mais juste de dire que je pense bien connaître le groupe et l'album en question.
En guise de conclusion à cette introduction, je préciserai également que si je suis fan de DT, je n'ai pas beaucoup aimé les albums après Train of Thought (voir détesté Systematic Chaos), je n'aime pas les soli shreddés de Rudess, la production de l'album Dream Theater. Bref je ne me considère pas comme un fan boy qui pense que le groupe est parfait loin de là.
Mais lorsque je lis votre chronique, je ne peux m'empêcher de penser que vous n'avez pas écouté l'album dans de bonnes conditions.
En introduction, vous mentionnez le fait qu'un opéra rock a des clichés. Certes alors pourquoi dénigrer le fait que Dream Theater utilise ces clichés? Ils se frottent à l'exercice de style qu'est la création d'un opéra rock donc ils en utilisent les codes. Peut-on reprocher à quelqu'un qui fait de la science fiction de mettre des vaisseaux spaciaux et des extra terrestres??
Ensuite, on a l'impression que vous critiquez les personnages (car sinon pourquoi mettre un (sic)?). Là encore une fois, Dream Theater puise dans les influences classiques des romans dystopiques. Tout roman dystopique comporte des personnages avec des noms plein de sens : Winston (Churchill) Smith de 1984, Bernard (Karl) Marx de Brave New World, (Saint) Thomas du Labyrinthe (pour les plus récents)... Ici les noms servent à transformer les personnages en allégorie (Faythe qui apporte l'espoir à Gabriel et lorsqu'elle semble mourir, tout espoir meurt avec elle...et que dire de Gabriel, l'ange, annonciateur de bonnes nouvelles...)
Je conçois que Dream Theater ne brille pas par ses textes (il y avait quand même une certaine poésie avant SFAM on va dire, comparer deux chansons sur la mort des parents de Mike Portnoy : A Change of Seasons et The Best of Times...la dernière est bien moins littéraire et plus factuelle) mais au final, où est la poésie dans une chanson telle que : "hey, professeurs laissez les jeunes tranquilles" ou alors "c'est un génie du flipper il doit avoir un poignet souple"...on touche là à deux opéra rocks ultimes et énormes : The Wall de Pink Floyd et Tommy de the Who. Et pour ceux qui seraient tenté de comparer avec SFAM (LE concept album de DT), on n'était pas non plus dans le domaine littéraire avec des trucs du genre : "j'apprends tout sur ma vie en regardant à travers ses yeux..."
Par contre dire que l'histoire est digne d'une fan fiction...je vous invite à aller lire la traduction entière sur le site du fan club. Je concède également qu'à première vue l'histoire peut paraître mièvre. D'ailleurs lors de la sortie de l'album, nous avions fait un sondage parmi les membres du fan club et j'avais été le premier à dire que l'histoire était naze. Mais c'était avant de me concentrer sur les paroles, de lire et de traduire l'histoire. Lorsqu'on lit attentivement, on peut voir que chaque personnage n'est pas totalement gentil ou mauvais (sauf Gabriel et Faythe) et que TOUS sont habités par des motivations compréhensibles. Daryus recherche l'approbation de son père qui n'a d'yeux que pour sa fille. Qui n'a jamais voulu plaire à ses parents et encore plus lorsque le frère ou la sœur semblait plus aimé par les parents? Nafaryus n'est qu'un dirigeant qui a mis la musique de côté pour se consacrer au pouvoir? Qui n'a pas mis son cœur d'enfant et sa passion de côté lorsqu'il a grandi? Arhys veut à tout prix sortir son fils de la misère sociale et économique dans laquelle il a grandi. Encore une fois, qui ne ferait pas tout pour assurer un avenir propice à son enfant?
Pour revenir sur l'histoire en elle même, on a quand même une tonalité Shakespearienne : le manque de communication qui conduit à une tragédie (le retard de la lettre de Roméo et Juliette et le fait que Daryus ne sait pas que c'est sa sœur, la silhouette qui se déplace), l'importance de l'héritage et des liens familiaux (le complexe de Daryus, l'amour de Nafaryus pour sa fille, l'amour de Arhys pour son fils), l'importance des sens (la vision pour Shakespeare et l'ouïe pour The Astonishing), l'importance du passé (volonté de Shakespeare de puiser dans les histoires du passé comme le Roi Lear, Richard III...et les références au passé comme le climat moyenâgeux, les références à New Pavonia sur la carte, le décor de l'amphithéâtre : décor de tragédie)... Quand on sait en plus que Shakespeare a déjà été évoqué dans Pull Me Under (le plus grand hit de DT...pas foncièrement le meilleur morceau)...
On pourra poursuivre la réflexion sur la critique actuelle de la musique : des gens qui s'en fichent de la vraie musique car ils n'ont plus le temps d'écouter de la musique (ils ne l'écoutent plus que dans le métro ou en faisant du sport et jamais ils ne se posent pour écouter simplement), des maisons de disque qui préfèrent de la musique électronique sans saveur comparée aux jeunes artistes qui ont un réel talent et qui galèrent face à un Sébastien Patoche ou des artistes qui ne font que des CDs de reprise.
Sinon je suis d'accord pour les effets sonores : c'est douteux, la mort d'Arhys on dirait qu'il vomit, on était mort de rire lors de l'écoute en avant première dans les locaux de Warner.
Pour le deuxième paragraphe, vous dîtes que le dernier album manque de diversité : introduire dans la discographie d'un groupe de metal prog, des parties tango, swing, gospel, thrash, prog, classique, de la cornemuse, une soprano, un choeur d'enfants, de la harpe, c'est un manque de diversité? Je comprends qu'après UNE seule écoute, on pense que le premier CD est répétitif (lorsque je suis sorti de l'avant première, j'ai tout de suite dit que le premier CD était basé sur le même schéma : intro piano puis guitare et couplet refrain) or, aucun morceau ne se ressemble et peu de morceaux peuvent être considérés comme des ballades pures car on voyage et bien souvent, si le début est doux/mièvre, la fin du morceau évolue vers quelque chose de différent.
DT a une capacité à jouer et à explorer et ce n'est pas le cas ici? Que dîtes vous des 30 thèmes inventés et déclinés dans tout l'album? (je vous invite à lire l'article sur les thèmes récurrents et leur apparition disponible sur le blog). Puisque vous parlez d'Ayreon, puis je vous rappeler que les critiques sur le dernier album (The Theory of Equation, que j'adore personnellement) étaient surtout envers la pauvreté des paroles narratives...
Pour le troisième paragraphe : Petrucci ne lâche qu'un ou deux soli digne de lui. Bin oui et on le remercie : les derniers albums n'étaient qu'une succession de soli peu inspirés, du shred sans âme, sans prétention. Peut-on reprocher JP de mettre un peu de sobriété dans son jeu, tel un David Gilmour? (perso je préfère mille fois Comfortably Numb qu'un solo tiré de the Enemy Inside et autres morceaux plus heavy de DT). D'accord pour Mangini même si le mixage est mieux que l'album Dream Theater (oui bon c'était pas trop dur à faire). Pour Myung, là encore une fois désolé de vous contredire mais il faut "écouter" l'album. Myung apporte sa patte discrète (c'est pas un Geddy Lee ou un Pete Trewavas certes au niveau du mix) mais il est essentiel et il est largement audible (suffit juste de ne pas écouter l'album sur un téléphone avec des écouteurs et une version mp3). Et pour Rudess : il n'est pas discret (on n'entend que lui) il est sobre!!! Son jeu sur le Steinway D fait penser à Chopin, à Rick Wakeman et lorsqu'il utilise l'orgue hammond, il est sobre mais efficace (un peu comme Sherinian l'était sur Falling Into Infinity).
Je terminerai la critique de votre critique par votre phrase sur Our New World. Le simple fait d'écrire : "Our New World en reprenant le thème principal du disque" montre bien que vous n'avez pas écouté le CD attentivement et de la bonne façon. Our New World est l'un des rares morceaux qui ne reprend aucun thème caractéristique évoqué avant. La mélodie apparaît certes au début de A Savior in the Square mais c'est tout. Elle n'est en aucun cas le thème principal du disque qui serait plutôt le thème de Brother Can You Hear Me ou d'Act of Faythe. Donc écoutez attentivement avant de sortir une chose comme cela.
Pour conclure, je pense (et je sais que c'est le cas de beaucoup de personnes qui ont écouté l'album) que vous n'avez pas écouté l'album de la bonne façon. Ecouter un opéra rock veut dire écouter d'une oreille attentive, en savourant les détails, en écoutant plusieurs fois. Je n'ai pas apprécié cet album à la première écoute (j'ai d'ailleurs été assez déconcerté, trouvant l'album répétitif, l'histoire mièvre, un peu comme vous, pour preuve, je vous invite à lire l'article sur l'avant première chez Warner) mais plus je l'écoute, plus je me rends compte qu'il n'est pas vide, que l'histoire est plus intéressante qu'elle n'y paraît.
Je conseille donc à tous les déçus de The Astonishing, de réécouter l'album en ayant lu l'histoire et en ayant lu l'article sur les thèmes récurrents...en gros en lisant les articles du site internet du fan club officiel :D http://blog.yourmajesty.net/