Venturia, un groupe à suivre
Un groupe français chez Lion Music, voilà qui n’est pas monnaie courante ! Et c’est pourtant l’exploit réalisée par la bande assemblée par Charly Sahona, un guitariste dont on n’a pas fini de parler qui s’intéresse autant à la recherche mélodique qu’aux dépassements techniques les plus ambitieux. Le second album de son groupe Venturia vient de sortir et il revient avec nous sur tout ce qu’il faut en savoir avant, bien sûr, de savourer son écoute.
Propos recueillis par Nicolas Didier Barriac
Venturia s'est formé de manière assez "décousue". Peux-tu revenir sur les débuts du groupe jusqu'à la sortie d'Hybrid en passant par l'intégration des deux vocalistes (qui n'était pas prévue à la base si je ne trompe pas) ?
Charly Sahona : Venturia s’est officiellement formé en 2000. Je réalisais les premières démos de ce projet quelques années auparavant, mais je ne souhaitais pas rester seul dans ma chambre à composer. J’ai d’abord rencontré Diego Rappacchietti, le batteur, lors d’un concert. Sa prestation live m’ayant tellement impressionné, j’ai voulu faire sa connaissance au plus vite. Nous nous sommes tout de suite entendus à merveille et avons décidé de nous unir musicalement pour réaliser de nouvelles compos. Thomas James s’est joint à nous en tant que bassiste quelques temps après. Le départ de notre premier chanteur peu de temps avant l'enregistrement du premier album a affolé un peu tout le monde mais c'est à ce moment là que l'idée du binôme de chanteurs féminin / masculin formé par Lydie Robin et Marc Ferreira s'est concrétisée. Notre premier opus The New Kingdom est sorti en 2006. Nous voilà à nouveau pour présenter notre nouveau bébé, Hybrid, dont nous sommes très très fiers.
Que retiens-tu des retours reçus sur The New Kingdom, votre premier album ?
C. S. : Nous avons reçu de très très bons retours, ce qui est forcément très plaisant. Nous ne souhaitions pas présenter le groupe à ses débuts en mettant sur internet des démos. Je pense que nous avons réussi à créer une arrivée surprise avec un premier album très bien réalisé alors que le groupe et ses musiciens étaient totalement inconnus auparavant. Pour cela, nous avons énormément travaillé et donné toute la passion qui nous anime. Nous sommes très heureux que le public l'ait perçu ainsi.
Le nom du nouvel album, Hybrid, est-il une manière de se démarquer de
l'étiquette metal prog, quelque peu galvaudée ces temps-ci ?
C. S. : En quelque sorte, oui. A l'écoute des nouveaux titres, nous avons constaté que le groupe ne sonnait pas du tout comme un groupe de "métal prog" classique. Nous avons une approche musicale moderne et éclectique. Nos titres ne sont généralement pas très longs, les mélodies de chants ne sont pas alambiquées et plutôt accrocheuses et les autres membres du groupe ne sont pas branchés "prog". Hybrid nous est apparu comme étant l'adjectif qui qualifiait le mieux la musique de cet album. Ce qui nous rapproche du prog est le fait que les musiciens ont beaucoup de personnalité et qu'on ne se prive pas pour le montrer (sourire) !
Qu'est-ce représente pour toi le terme "metal progressif" ?
C. S. : J'ai découvert ce style avec Dream Theater dont je suis fan. Je pense qu'ils sont les véritables instigateurs et leaders de ce mouvement musical. Dans "métal prog", il y a le mot "progressif". Pour moi, cela signifierait : métal en constante évolution. Il y a beaucoup de très bons groupes de métal prog en ce moment. Cependant, presque tous plongent leurs influences de l'album Images And Words qui est la référence dans le domaine ainsi que dans le heavy des années 80/90. En général, je regrette un manque de modernité dans ce style.
J'ai lu que la musique de Venturia part toujours du piano. Comment la guitare trouve-t-elle sa place dans des titres qui ne sont pas faits pour elle à la
base ?
C. S. : Nous portons une attention toute particulière à la mélodie. Elle est l'âme du morceau. De ce fait, elle se doit d'être forte, même avec une instrumentation très minime. L'harmonie qui la soutient doit être belle et fluide. C'est pour cela que je compose la plupart du temps en fredonnant et en plaquant des accords, si cela nous plaît, nous ornementons tout autour. Une bonne chanson est réussie si elle sonne lorsqu'on la chante accompagnée d'une guitare acoustique ou d'un piano seulement. Quand la base me plaît, alors je pense "riffs" et arrangements, d'abord en programmant une base rythmique ou en jammant avec Diego. Après, viennent se greffer nos délires techniques et expérimentaux. Je trouve toujours de la place pour la guitare, elle peut être douce, subtile et très discrète pour colorer certains passages. Puissante, sauvage et agressive dans les grooves métal. Triturée par toutes sortes d'effets pour créer une ambiance. Passionnée, émotive, furieuse et plaintive lors des solos mais aussi froide et chirurgicale pendant les challenges techniques que nous nous lançons. La guitare est extrêmement présente dans Venturia. Je souhaitais pourtant ne pas en jouer du tout dans le titre "Why? This Woman's Life" et ne la faire qu'aux claviers, mais finalement, je n'ai pas pu m'empêcher de l'utiliser sur plusieurs pistes (rires)…
Vous avez signé chez Lion Music, un label bien connu des "groupes à musiciens". C'était déjà une forme de reconnaissance d'arriver dans cette écurie ?
C. S. : Se faire remarquer par un label qui croit en votre musique et qui fera ce qui lui est possible pour la faire connaître internationalement au public est un véritable aboutissement pour un groupe. Nous sommes effectivement très fiers de faire partie de l'écurie Lion Music dont la qualité des signatures ne fait que s'accroître en qualité. Cependant, Venturia est loin d'être qu'un simple "groupe à musiciens" et peut plaire à un public très large. Les amateurs de gros riffs et de groove seront autant séduits que les fans de belles et fortes mélodies. Et bien sûr, les personnes en recherche d'exploits ultra-techniques seront aux anges (rires).
Il y a un titre sur l'album avec Gus, le chanteur d'Adagio. Il me semble que vous
êtes assez proches dans la vie... Raconte-nous ça !
C. S. : (rires) C'est tout à fait vrai, mais rien de tendancieux, je vous rassure ! J'ai rencontré Gus au début de son intégration au sein d'Adagio. Nous avons très vite sympathisé. A ce moment là, notre précédent chanteur venait de quitter le groupe subitement. Et là, tel un génie sorti d'une lanterne magique, Gus m'a fait rencontrer Marc dont la voix et la motivation correspondait totalement aux attentes du groupe. Cela fait quatre ans maintenant que nous sommes des amis très proches et que nous passons presque six mois de l'année ensemble quand il vient séjourner en France. Il nous a fait l'honneur d'enregistrer quelques voix sur un titre de l'album. Nous sommes très complices aussi bien humainement que musicalement. Son départ d'Adagio fût une surprise pour beaucoup mais depuis, il a été contacté par Timo Tolki (Stratovarius) pour devenir le chanteur de Revolution Renaissance. Gus est un chanteur vraiment incroyable. Je lui souhaite tout le succès qu'il mérite.
Egalement au niveau du chant, Hybrid présente un titre avec uniquement du chant féminin. Est-ce une piste que le groupe veut explorer à l'avenir ?
C. S. : Marc chante également un titre seul. Même si nous sommes enchantés par le binôme de chanteurs féminin / masculin qui fonctionne à merveille, je souhaitais vraiment que Lydie et Marc s'expriment pleinement dans l'album. Concernant le titre de Lydie, J'ai écrit « Why? This Woman's Life » en fonction de tout ce qui me touche dans sa voix, je souhaitais qu'elle puisse tout donner de son expressivité. Pour cela, je lui ai également demandé d'en écrire les paroles afin qu'elle s'implique encore d'avantage. Sur cet album, la répartition est donc 50/50 entre les deux chanteurs. Cependant, nous avons effectivement fait un titre bonus inédit qui figure sur le DVD bonus accompagnant le CD. Lydie chante également seule ce titre, elle y est une nouvelle fois enchanteresse et d'une émotivité qui ne pourra pas laisser de marbre le plus grand nombre.
Musicalement on entend çà et là des passages assez tordus. Comment compose-t-on ces parties ? J'imagine qu'en dépit des apparences ça ne relève pas du tout de l'improvisation...
C. S. : En fait, ce qui est amusant dans nos passages tordus que nous appelons "nos singeries", c'est qu'ils nous font beaucoup rire, du moins pendant leur création car quand vient le moment de les enregistrer, c'est une autre histoire... Car bien évidemment, absolument rien n'est improvisé dans ces moments là. Ces brefs passages viennent des pétages de plomb entre Diego et moi-même. On se transforme en de véritables ados attardés qui rient bêtement sur la prochaine énorme bêtise à faire. On jamme, on écrit, on programme puis c'est l'escalade vers la perversion rythmique et technique la plus déstabilisante qu'il nous faudra reproduire après. Notre plus grand bonheur : faire écouter aux amis et aux autres membres du groupe puis s'entendre dire: "mais vous êtes complètement malades !" Oui, nous le savons, mais ces petits délires sont notre thérapie (rires). C'est très prise de tête et très physique mais ça préserve notre âme d'enfant. Cette musique est un exutoire... Toute notre passion, l'amour, la libido, l'énergie, la frustration, la colère, le désespoir, bref tout ce qui compose les sentiments humains y est exprimé.
Quel matériel as-tu utilisé en studio pour enregistrer tes parties de guitare ?
C. S. : Je joue exclusivement sur les guitares Ibanez et sur les amplis et effets Line 6 depuis bien longtemps maintenant et j'ai l'honneur de représenter les marques en tant qu'endorsé. Concernant les guitares, j'utilise principalement des RG 7 cordes, en accordage standard et en open de La pour des rythmiques encore plus lourdes. Cela m'offre également de nouvelles ouvertures pour les voicings et les renversements d'accords. Je fais de même avec mes six cordes qui sont accordées en open de Ré. Ainsi réglées, cela me permet de faire les powers chords en barré sur les trois cordes graves et la manière de créer les riffs est ainsi totalement différente. Le titre « Love Gamers » est un bon exemple, il serait impossible d'alterner les accords de quinte ainsi avec un accordage standard. Toutes mes guitares sont équipées du vibrato Lo-Pro Edge et de 24 frettes de type Jumbo. J'utilise beaucoup le vibrato mais de manière assez fluide pour enrichir l'expressivité de certains bends. Et bien sûr les manches "autoroutes" que font Ibanez conviennent parfaitement à mon jeu quand je passe en mode supersonique.
De plus, c'est très adapté pour l'endurance. Les manches confortables limitent les tendinites. Pour l'enregistrement d'Hybrid, j'ai voulu faire au mieux pour économiser des journées entières de studio afin de réaliser les meilleures prises car je suis extrêmement perfectionniste. Nous avons donc utilisé la technique du réamping. J'ai donc enregistré seul chez moi ou dans une autre cabine le signal direct de la guitare avec mon G5 et ma carte son Présonus Firebox. Une fois les prises en son clair direct enregistrées, j'utilisais une simulation d'ampli témoin pour contrôler les bruits parasites que procure la distorsion. Une fois mes pistes audio réalisées, nous les avons ré-injectées dans les amplis en studio. C'est une économie de temps, d'argent et de stress incroyable. Nous avons donc pu nous focaliser uniquement sur le choix des sons et expérimenter avec plusieurs amplis. Toutes les grosses rythmiques sont doublées et sont enregistrées avec deux sons différents. Elles seront pannées gauche/droite au mix. Je n'utilise pas énormément de gain pour les rythmiques afin de conserver la dynamique. Côté amplification et effets, je suis toujours aussi fidèle à mon Pod X3 et à mon ampli Vetta 2 qui m'offrent un confort de jeu et une versatilité de sons sans limite. Cependant, pour l'enregistrement, nous avons également utilisé des Mesa-Boogies et des amplis Orange.
Quel passage d'Hybrid va le plus affoler les guitaristes en herbe ?
C. S. : En fait, il y a des passages "affolants" un peu partout (rires)... Mais le pire à réaliser techniquement est le passage central de « Running Blind ». Il s'agit d'une alternance de gammes et d'arpèges principalement jouée en quatre notes par cordes, legato et sweeping à une vitesse dangereuse pour le live (rires). Le solo de « Love Gamers » est intéressant pour sa diversité de style, de gammes et de techniques. Mais le solo de « Take Me Down (atmospheric version) » (qui ne figure que sur le DVD bonus de l'album) est sûrement mon préféré. Tout y est dans le ressenti et dans le choix de notes. Tous les solos d'Hybrid étant très sophistiqués, celui-ci était LE solo "feeling" qui me manquait dans l'album. Il y a deux aspects dans mon jeu solo : d'abord, le plus important, c’est la mélodie et le feeling avec lequel le solo sera interprété. La passion, la fougue, la tristesse, la sensualité, bref, tout ce qui caractérise le feeling va donner l'âme du solo. Le deuxième aspect est celui de la performance technique que je considère comme un dépassement de soi-même et donc un challenge très excitant. Cela fait également partie intégrante de mon jeu.
Quels sont tes héros musicaux actuels ?
C. S. : J'admire tout ceux et toutes celles qui de par leur personnalité musicale et par leur talent arrivent à toucher les gens et à marquer les générations. De la musique classique, je citerais les compositeurs Mozart, Rachmaninov, Debussy mais aussi tant d'autres... En metal, Dream Theater, Pantera, Korn, Meshuggah m'ont beaucoup apporté. Guitaristiquement, Steve Vai est pour moi LE guitariste le plus abouti. Shawn Lane, John Petrucci, Alan Holdsworth et Bumblefoot m'ont ouvert de nouveaux horizons. Au niveau chant, qui est pour moi "l'instrument" d'expressivité le plus touchant, je citerais Kate Bush, Russel Allen, Christina Aguilera et le chanteur du groupe Keane qui, dans quatre styles totalement différents me font vibrer. Mais pour te citer un "héros musical" actuel, je dirai sans hésiter Matthew Bellamy du groupe Muse. Un artiste complet au talent vraiment incroyable...