Le guitariste le plus titré au monde est français ! Pour celles et ceux qui ne le connaitraient pas encore, Thibault Cauvin est aujourd'hui l'un des concertistes de guitare classique les plus réputés. Au-delà de cette simple étiquette, il nous livre dans son nouvel album Films, paru chez Sony Classical, des interprétations très actuelles de musiques tirées de chefs d'oeuvres du 7ème art tels que Kill Bill, La La Land, Drive, Arizona Dream, Midnight Express… tout cela en incorporant à son arsenal des pédales d'effets qui lui ouvrent de nouveaux horizons sur les scènes qu'il a hâte de retrouver. Avec ces thèmes connus de tous, Thibault invite un public large à découvrir son univers et pour nous autres guitaristes que nous sommes, il nous démontre que peu importe le style que l'on préfère, il est toujours bon de s'ouvrir à de nouvelles expériences et rencontres musicales ! Il était donc grand temps que nous fassions plus ample connaissance avec Thibault Cauvin, une interview que j'espère vous aurez autant de plaisir à lire (tout en écoutant l'album bien entendu !) que nous avons eu à la réaliser. Bonne écoute, et bonne lecture.

Gcom : Bonjour Thibault merci de nous accorder cet entretien à l'occasion de la sortie de ton album Films. Après les 2 Cities dans lesquels tu partageais avec nous les villes emblématiques qui ont rythmé ta vie de concertiste international nomade, ce nouveau projet sur de célèbres musiques de films serait-il né dans des avions par hasard ?

Thibault Cauvin : Oui, en fait le cinéma est dans ma vie depuis toujours, j'ai commencé la guitare tout petit avec mon père quand j'avais 5 ans. Je jouais toute la journée avec lui et le soir ma mère,  qui elle était professeur de lettres classiques, me racontait des histoires, des légendes du bout du monde. J'adorais ça ! Et le lendemain quand je reprenais ma guitare, je me faisais des films dans ma tête sur les notes de musique que je jouais, influencé par les histoires de la veille. Encore aujourd'hui quand je joue des partitions j'ai derrière des personnages, des histoires, des décors qui sont complètement inventés. Voilà, j'ai ce rapport très intime entre les images et les notes de musique. Tellement bien que lorsque j'étais petit, la première fois que je suis allé au cinéma je me suis dit "mais c'est dingue, ils font exactement comme moi !", et je me demandais si comme moi ils partaient de la partition pour ensuite écrire l'histoire, ou si c'était l'inverse. J'ai vite compris que c'était l'inverse !

Ensuite c'est vrai que j'ai regardé plein, plein de films dans l'avion lors de mes tournées. Je trouve qu'on est très émotif dans l'avion, qu'on plonge véritablement dans le film… surtout qu'à l'époque je voyageais beaucoup seul. Souvent je regarde des films qui sont liés à la destination où je vais pour le concert. Je n'y reste que 2 jours, c'est très court, très dynamique, presque sous adrénaline et un peu féérique, si bien que j'ai parfois l'impression de vivre dans un film.

Quels ont été tes critères de sélection des 18 morceaux ? S'agit-il de films qui t'ont particulièrement marqué ? Ou simplement ceux dont les thèmes musicaux t'ont inspiré ? 

TC : Un peu des 2 mais ça a été très délicat, des films qui m'ont bouleversé il y en a beaucoup, pareil pour les musiques… J'ai d'abord essayé de choisir des choses qui étaient évidentes. Quand j'étais adolescent, j'avais vu Kill Bill dont la bande originale m'avait interpellé ou Arizona Dreams dont la musique m'avait semblé complètement géniale. Ces musiques comme celle aussi de In The Mood for Love, ce très beau film hongkongais de Wong Kar-Wai, m'ont marqué à vie et sont restées en moi. J'ai eu envie de proposer un voyage dans le cinéma avec des films de différentes époques, de différents pays, qu'il y ait quelque chose de très fédérateur. Et je voulais aussi que ce soient des films et des thèmes connus pour inviter un public nombreux à vivre cette aventure.

 

Cet album est marqué par l'utilisation de pédales d'effets qui viennent transformer le son de ta guitare classique et t'ouvrir les portes de registres dans lesquels on ne t'attendait pas forcément, comme la musique électronique sur Nightcall extrait du film Drive, ou The Chase de Midnight Express notamment.

TC : Oui complètement, c'était vraiment mon souhait. J'ai pour ami -M-, Matthieu Chedid et il m'avait invité pour un concert à Bordeaux et on avait joué un morceau ensemble. Il m'avait présenté son vaisseau spatial complètement délirant de sa dernière tournée (dont Gcom vous avait présenté le matos de Matthieu Chedid et l'interview de Christophe Ramin son Guitar Tech). Et je me suis dit que ce serait formidable de connecter cet univers futuriste à ma guitare classique un peu ancestrale. Du coup j'ai recontacté mon luthier Jean-Luc Joie pour que ce soit faisable. Comme toujours il m'a traité de fou et ensuite il a passé des jours à travailler. Il est brillantissime et un des meilleurs luthiers du monde, il a relevé le challenge. Ça m'a permis de vraiment m'éclater, ça a été un amusement total ! 

Les effets sont pour moi une addition car les parties de guitare classique que je joue sont vraiment très virtuoses, très complexes, presque savantes et je suis un peu un petit orchestre à moi tout seul grâce à ces pédales. J'ai hâte de pouvoir les jouer en concert car toutes les parties du disque, même les plus élaborées sont faisables en temps réel en solo.

Est-ce qu'en temps ordinaire tu utilises des effets par exemple de réverbe ou autre ? Ou est-ce que c'est la 1ère fois que tu plonges dans cet univers ?

TC : D'ordinaire même quand je joue des musiques actuelles ou des musiques du monde, c'est sans aucun artifice sonore. Juste moi et ma guitare classique. Et là, c'est une grande nouveauté, des découvertes fabuleuses et c'est ultra inspirant ! Un nouveau monde que je sillonne avec passion.

J'ai remarqué différentes configurations dans les 2 clips (Mystery of Love et Nightcall) avec plusieurs pédales en demi-lune devant toi, et dans ta récente prestation pour France Musique un kit de voyage si on peut dire avec un looper Boss RC-300 et un Line 6 HX Stomp. Tu choisis et configures toi-même le matos ou tu es accompagné pour cela ?

TC : Pour ce disque j'ai collaboré avec 3 arrangeurs car je voulais vraiment des couleurs différentes. Le premier c'est mon frère Jordan Cauvin qui a une écriture que j'aime beaucoup. On se connait tellement que je l'appelle avec des thèmes, des idées, des références, des rêves, et lui il comprend même si c'est décousu parfois et un peu surréaliste. Le second s'appelle Kevin Seddiki. Il est très inspiré par les musiques qui ont un parfum de voyage, de grands espaces, très colorées de musique du monde. Et le troisième Giani Caserotto est justement un spécialiste des pédales d'effet pour lesquelles il se passionne depuis plus de 20 ans. Il est guitariste classique à la base et on s'était rencontrés au conservatoire de Bordeaux. Il m'a énormément apporté pour ces arrangements et la découverte des effets. Ensuite en studio le disque a été réalisé par Jeff Delort un producteur formidable. Lui vient de la pop et il a une vraie expertise des sons actuels.

Il y a eu un travail en studio très intense de coloration, un peu comme un peintre, ce qui est assez nouveau pour moi et passionnant. Avec le confinement, on y a passé des jours, comme une chasse au trésor et au final ces petits détails qui pour certains sont quasiment inaudibles donnent ensemble une vraie force à l'album. Cette dimensions artistique énorme du travail en studio, je ne l'avais pas forcément vécue sur mes autres disques. Avec mon frère on a adoré ça, on veut développer ça et entre temps j'ai eu l'opportunité là où j'habite dans le 10ème arrondissement de Paris d'acheter un endroit étonnant. Les travaux de notre propre studio d'enregistrement ont commencé (« Le Port de Lune »).

Pour en revenir aux effets, maintenant j'ai une nouvelle équipe de gens qui m'entourent et m'aident à optimiser tout ça pour le live.

Avez-vous adapté les tonalités au registre de la guitare ou conservé les tonalités d'origine des morceaux ? Il me semble que tu utilises différents accordages, des octavers…

TC : Autant que possible on a essayé avec les arrangeurs de garder les tonalités d'origine car il y a des thèmes qui sont tellement universels que des gens, même sans le savoir, ont l'oreille absolu et sifflent les morceaux dans la bonne tonalité. Ma copine par exemple n'est pas du tout musicienne mais quand elle chante une note c'est toujours la bonne. Pour les accordages, oui je suis "désaccordé" sur certains titres, mais ce n'est rien comparé à mon précédent disque Cities 2 où il y avait presque un accordage propre à chaque titre ! Si bien que sur scène je passais beaucoup de temps à me ré-accorder, surtout que je n'utilise toujours qu'une seule et même guitare.

Tu peux nous l'avouer : cet albums Films c'est juste un appel du pied au monde du cinéma pour composer tes propres musiques de film, non ?

TC : (rires..) Ce serait finalement une suite logique, un nouveau rêve pour moi et j'en serais très heureux bien entendu. Surtout maintenant qu'il y a ce studio ! 

Est-ce que ces nouvelles expériences t'ont donné envie d'essayer d'autres types de guitares, ou même d'autres instruments ?

TC : Pourquoi pas, je ne m'interdis rien. Je commence à me connaître, j'ai ce besoin constant de nouveautés, d'expériences et de voyages dans la musique mais c'est vrai que mon expertise, c'est la dimension technique de la guitare classique, ma manière de jouer avec les doigts, avec ce côté polyphonique assez complexe. Sur le disque précédent avec ma guitare j'avais imité le sitar indien, le oud, ou encore la Kora. Là ce sont les pédales d'effets mais je n'ai pas la prétention de devenir un guitariste électrique, ni de faire des solos au médiator. Ce qui me plait c'est de voyager avec mon bagage dans d'autres mondes et de faire des rencontres, tout en restant qui je suis. 

Les effets t'ont-ils inspiré d'éventuelles ré-interprétations du répertoire classique ?

TC : Oui clairement ! Et j'en découvre encore en faisant mes premiers live. C'est ultra inspirant, ça me donne plein d'idées pour la tournée qui va débuter à l'automne avec de beaux rendez-vous. Ça pourrait être amusant de remanier des pièces avec cette nouvelle installation !

A 20 ans tu es devenu le guitariste le plus titré au monde, avec 36 grands prix internationaux avec le surnom de "Petit Prince de la six-cordes". Quel regard portes-tu à présent sur cette période ? Et quelle est ta routine de travail pour continuer à maintenir un tel niveau ?

TC : Je suis toujours très attaché à ces titres mais de manière sentimentale. Ça représente une époque de ma vie qui m'a passionné et j'ai adoré vivre tout ça, ce côté presque sportif de la musique... C'est un dévouement absolu, total, qui est de l'ordre presque de la folie parce que c'étaient des journées entières dédiées uniquement à cela. Une adolescence mise entre parenthèses, comme ça peut être le cas pour un joueur de tennis en centre de formation. J'ai 36 ans et quand je repense à tout ça, c'est touchant. C'est une forme de petit exploit, les gens aiment m'en parler et j'en suis heureux.

Aujourd'hui ce n'est plus le même travail. Je passe moins de temps directement avec l'instrument. J'ai toute une réflexion sur ce qu'est un concert. Quand j'avais 16 ans, c'était jouer les pièces les plus dures le mieux possible. Ensuite quand j'avais 25 ans, essayer de faire rêver le public et maintenant j'ai cette envie de proposer un moment qui soit au-delà de la musique, un spectacle au-delà de l'étiquette musique classique. Que ce soit juste de la musique, une expérience qu'on vive ensemble et qui soit la plus belle possible. 

Tu es accompagné par Lucienne Renaudin Vary qui reprend la partie de Miles Davis à la trompette sur le générique de L'Ascenseur pour l'Échafaud et l’actrice Nadia Tereszkiewicz sur La Chanson d'Hélène où l'on t'entend parler d'une voix grave assez lointaine de ta bonne humeur habituelle. Dans l'album Films 2 est-ce qu'on t'entendra chanter ?

TC : (rires…) Rien n'est exclu ! J'ai adoré ces 2 duos, celui qui est plus conventionnel avec Lucienne qui est une trompettiste que j'adore. Jouer avec elle c'est un bonheur absolu, on s'entend particulièrement bien. Parfois il y a des tensions quand on enregistre un disque et là c'était une journée particulièrement électrique quand elle est arrivée en fin de journée. Puis on s'est mis à jouer et c'était presque magique, on a fait une seule prise sur le morceau de Miles Davis et quand elle a posé sa dernière note, il y a eu un long silence de presque une minute. Tout s'est apaisé, le temps s'est arrêté. Un sublime souvenir.

Avec Nadia ça a été une autre forme de rencontre. Pour symboliser le mariage entre la musique et le cinéma je voulais inviter une actrice à chanter et elle s'est présentée à moi comme une évidence. Nadia est une actrice talentueuse pleine d'émotions mais elle n'a jamais chanté et c'est ça qui me plaisait, d'aller chercher une sensibilité brute. Et c'est une expérience qui lui a beaucoup plu je crois. Pour ma part je me suis amusé à entrer dans son monde à elle et à jouer les acteurs, à prendre une voix plus grave un peu à la Piccoli. C'était un choix volontaire pour lui dire voilà toi tu as joué les musiciennes, moi je vais jouer les acteurs et ça va faire un morceau de vraie rencontre.

Du coup tu étais dans un rôle presque de professeur pour guider Nadia, non ? Tu évoquais ta mère qui travaillait dans l'enseignement, ton père guitariste, ton destin n'est-il pas de devenir à ton tour professeur de guitare pour nous apprendre enfin à jouer correctement de la guitare ?

TC : Pour la première partie de ta question, répéter avec Nadia c'était hyper intéressant pour moi car il fallait adapter les codes et le vocabulaire qu'on utilise d'habitude entre musiciens. Et ça va dans le sens de ma réflexion globale et de mon souhait pour cet album d'accueil d'un public plus large et de discours universel. 

Pour ce qui est de l'enseignement, ma passion ultime c'est de jouer pour les gens, quand je suis bien, c'est sur scène ! L'enseignement je n'y ai jamais vraiment réfléchi jusque là. Parfois je donne des masterclasses et j'adore ça cette rencontre ponctuelle, pour aider quelqu'un, lui donner mon avis de façon assez libre. Avoir des élèves réguliers, avoir la responsabilité qui va avec... ça me tente moins, en tous cas pour l'instant.

Lors du 1er confinement l'an dernier tu avais lancé un défi aux guitaristes du monde entier de reprendre chaque jour avec toi les "30 Estudios Sencillos" de Leo Brouwer. Le phénomène a pris une telle ampleur que le compositeur t'a offert 3 études supplémentaires qu'on trouve dans l'album "Thibault Cauvin Plays Leo Brouwer". Qu'en aurait pensé l'élève du conservatoire Thibault Cauvin ?

TC : Je n'aurais jamais pu imaginer ça ! C'est un rêve de petit garçon qui se réalise. J'ai découvert ces pièces quand j'avais 12 ans, j'étais complètement émerveillé. Ça fait partie des premières pièces qu'un guitariste classique aime jouer, parce que tout de suite ça groove, il y'a un sens du rythme et des mélodies incroyables colorées du monde et de plein de cultures. C'est un peu comme les bandes-dessinées de Tintin... Je me suis revu petit garçon jouer ces pièces là et si on m'avait dit un jour que le Grand Maître Leo Brouwer poursuivrait cette série légendaire en m'en écrivant 3 nouvelles, je ne l'aurai jamais cru !

Ça a été une aventure complètement imprévue tout ça, ce qui est très joli. C'est parti d'un tableau cubain de Rene Portocarrero que j'ai reçu au début du confinement. Le monde est arrêté, tous les concerts sont annulés, ma guitare n'a plus trop de sens puisqu'elle est faite pour jouer pour les gens et qu'il n'y a plus personne pour l'écouter. Et un matin en me réveillant face au tableau, j'ai eu l'idée de lancer ce défi sur les réseaux sociaux de rejouer les 30 pièces. Et sans trop savoir c'est devenu un phénomène assez fou, puis un disque, puis Brouwer a entendu parler de ça et ensuite il m'a écrit ces pièces, j'ai échangé avec lui et c'était fabuleux ! C'est une légende vivante ! Et ça continue car j'ai découvert toutes les histoires qui se cachent derrière ces petites pièces très courtes, et il y plein de choses très belles à raconter, d'anecdotes, de pépites… J'ai voulu en faire un spectacle et ça devient un moment entre concert et théâtre, presque des comtes. J'ai collaboré avec un réalisateur, metteur en scène et comédien de théâtre qui s'appelle Carlos Chahine qui m'a aidé à mettre tout ça en forme. Et les premières de ce spectacle sont enfin là en juin (9 & 10 juin à Bordeaux, 15 & 16 juin à Paris, NDLR).

Tu vas donc défendre ces 2 projets simultanément sur scène ?

TC : Non mon envie c'est d'avoir 2 spectacles un peu grand écart : Leo Brouwer qui a ce côté très intime, je souhaiterais le jouer dans des petits lieux, presque cafés-théâtres, qu'on soit tous comme dans un lobby d'hôtel du bout du monde dans les années 1960, autour de la guitare à écouter ces pièces d'une minute à peine et les histoires. En parallèle, il va y avoir la tournée Films, qui va être beaucoup plus grandiose et j'ai un tourneur qui est très investi par l'idée. On va jouer fort dans de grandes salles, avec beaucoup de visuels.

On a hâte de voir ça et de te retrouver sur scène. Avant de te remercier une dernière fois, que dirais-tu aux lecteurs de Guitariste.com qui sont en majorité plutôt rock et guitare électrique pour les inviter à découvrir Thibault Cauvin et l'univers de la musique classique en général ?

TC : Déjà je suis très heureux que vous m'offriez la parole et que vous m'accueilliez sur votre site. Ma philosophie, c'est que je suis très fier d'être le petit cousin de Jimi Hendrix, Paco De Lucia et Andrés Segovia. On est une grande famille et il y a un côté transversal dans tout ça. Toutes les guitares sont cousines. Il se trouve que celle que je joue, que je maitrise et que j'aime c'est la guitare classique mais j'adore m'inspirer de toutes ! Mon père était un rockeur très électrique et j'adore cette énergie, tout comme la folie du jazz, le côté sanguin du flamenco, et la dimension savante de la guitare classique. Et je rêve que ma guitare ait toutes ces couleurs.

Plus d'informations sur le site de Thibault Cauvin. Crédits photos Louis Lepron.

Thibault Cauvin nous présente Films, son nouvel album