Joe Satriani : Ouais… Je crois que je suis le dernier mec à avoir intégré le groupe, d’ailleurs. Peut-être donc que les trois autres avaient planifié les choses un peu plus clairement car je sais qu’ils avaient pas mal joué ensemble au club de Sammy au Mexique. J’ai jammé un jour avec eux et nous avons fait des reprises où le feeling était absolument incroyable. Nous avons senti qu’il y avait un véritable potentiel car ça n’arrive pas tous les jours. Je finissais mon dernier album solo et Sammy et moi avions un peu de temps. Nous avons écrit des chansons pendant une heure et demie où nous avons été très productifs. Je suis rentré chez moi pour en faire des démos. Il y avait tout d’abord huit titres qui ont servi de base pour savoir ce que chacun aimait ou n’aimait pas en termes de styles abordés. Après tout, je ne connaissais pas bien les autres gars ! Il y avait Avenida Revolution sans véritable mélodie et je me demandais si Sammy accepterait de chanter sur un truc comme ça ! Au final, les huit morceaux ont plu et nous les avons enregistrés. Trois autres sessions ont eu lieu avant d’aller vraiment en studio pour faire ce premier album où nous avons encore écrit et peaufiné quelques trucs. C’est à ce moment-là que nous avons pris conscience de ce que nous étions en tant que groupe car jusque-là nous ne pouvions nous concentrer sur le projet que par intermittences à cause de nos carrières respectives.
Qu’est-ce que ce projet t’a révélé sur toi-même et sur ton jeu de guitare ?
Joe Satriani : Plein de choses et surtout plein de possibilités à la guitare rythmique ! En grandissant, j’ai toujours pensé que je rejoindrai un groupe pour avoir un rôle à la Keith Richards, Jimmy Page ou Pete Townshend, c'est-à-dire avec une forte présence rythmique. Et pourtant depuis vingt ans je fais des disques avec peu de rythmiques mais surtout de la lead. Cela va à l’encontre de ce que je pensais ! Avec Chickenfoot je peux combler ce côté-là de ma personnalité car nous avons un chanteur incroyable avec une voix très expressive qui me laisse tout le loisir de créer des « riffs rythmico-harmoniques » (rires) ! La guitare rythmique dans un groupe de rock est sûrement l’élément le plus important, celui qui fait qu’on aime une chanson. On ne peut pas en dire autant des soli (rires)… Ce sont donc de nouvelles possibilités qui s’offrent à moi.
Le groupe avait-il initialement un avis sur la présence ou non de soli dans la musique ?
Joe Satriani : J’écrivais la majorité de la musique donc il était naturel que des soli soient prévus. Les premières démos comportaient des passages avec certains soli très courts et d’autres extrêmement longs. Je me suis adapté à chaque cas, en fait. L’approche du « supergroup » aurait été de faire des soli hyper longs tout le temps car, après tout, je suis connu pour cela. J’ai été très étonné de la prestation des autres gars, aussi. Michael s’est vraiment lâché. Chez Van Halen il était très en retrait et il n’y avait qu’Eddie qui pouvait délirer avec sa gratte. Ici, il montre un tout autre aspect de son jeu et il ne se contente plus d’être uniquement en support. Chad quant à lui joue avec une approche très rock ! Il faut dire que les albums des Red Hot ont leur propre son. Je t’assure que lorsque tu es dans la même pièce que lui, il dégage deux fois plus de puissance qu’un album des Red Hot !
Un peu comme lorsqu’il joue avec Glenn Hughes ?
Joe Satriani : Exactement ! Je crois que pour résumer nous interagissions beaucoup les uns avec les autres et c’est ce qui rend le disque intéressant. Nous avons également beaucoup parlé pour les arrangements ou la longueur des soli. Pour ces derniers, il faut voir un peu comme des soli des Who et non pas comme des soli de Satch qui joue tout seul. Le meilleur exemple est le titre « Oh Yeah » où il se passe plein de choses !
Retrouve-t-on sur ce premier album des idées que tu n’avais pas utilisées sur un de tes propres disques ?
Joe Satriani : On retrouve chez Chickenfoot le genre de chanson que je n’ai pas l’occasion de jouer. Ce sont des titres qui ne marcheraient pas en mode instrumental : le manque de chant serait trop flagrant. Je sais par expérience qu’un disque instrumental est très délicat à réaliser : il ne s’agit pas simplement de chansons sans chant. Tout y est très différent. Mes albums sont des disques de fusion et de rock’ n’ roll ce qui explique que les arrangements soient très méticuleux. Chickenfoot n’a rien à voir avec ça : il s’agit d’un enregistrement brut d’un groupe dans une pièce.
Et donc ton jeu s’en est trouvé affecté. Ça me semble évident…
Joe Satriani : J’ai pu développer ma rythmique et avoir un style qui soit reconnaissable pas seulement grâce à mes soli et mes tonalités. Je n’ai pas l’opportunité de faire ça sur mes disques car on peut difficilement imaginer du chant sur mes morceaux…
Joe Satriani : Tout simplement l’acceptation de la part des fans. Si nous avons un minimum de succès, je suis persuadé que nous trouverons tous du temps pour faire de Chickenfoot une de nos priorités. Nous faisons tous les quatre des disques depuis plus de vingt ans et nous savons parfaitement que parfois le public adore et parfois il nous boude (rires). Il faut attendre, maintenant.
Cette expérience avec Chickenfoot doit avoir un goût différent que ton passage au sein de Deep Purple, n’est-ce pas ?
Joe Satriani : Tout à fait. C’était génial d’être dans Deep Purple mais je ne faisais finalement que remplacer quelqu’un. Je n’étais pas l’étincelle de départ. Ici, le fait que Sammy m’appelle alors que je ne m’y attendais absolument pas et le fait de transformer un jam anecdotique en groupe à temps plein est nettement plus marquant. Ça me rappelle mes débuts où, sans chercher le succès, ma bonne étoile me guidait. Tu sais, j’avais passé beaucoup de temps dans ma jeunesse à me faire connaître sans y parvenir. Ce n’est seulement lorsque j’ai décidé de laisser tomber cela et de faire du rock instrumental – qui selon moi n’avait aucune chance de plaire – que j’ai commencé à vendre des millions de disques… L’ironie…
Chickenfoot – Chickenfoot
Ear Music
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