Préambule:
Une des principales critiques qui revient cycliquement concernant Gibson est que c'est une marque "conservatrice" centrée sur une poignée de modèles qui n'ont pas évolué depuis leur création (la question de savoir POURQUOI ils devraient forcément changer une recette qui gagne est légitime, mais ne sera pas traitée ici).
Et toute personne qui connaît bien la marque sait que c'est parfaitement faux bien sûr: depuis ses débuts, la marque n'a pas cessé d'essayer d'innover. Le mot qui compte, c'est "essayer"
. Car entre le flop de la Flying V, de l'Explorer et de la Moderne (ouf pour cette dernière
), voire de la LP première période et celui de la Firebird X (je doute qu'on change d'avis à son sujet même dans 50 ans mais soyons prudents ... non, pas possible), il y'a eu une multitude de tentatives de Gibson d'innover, voire de révolutionner le petit monde conservateur des guitaristes.
Développement:
La RD est de celles-là: sortie en '77, elle a disparu quelques années après suite à un flop de plus.
Et je m'avance: c'est injuste. C'est TROP injuste (bon, Caliméro, sors de ce corps). En particulier pour le top de la gamme, la RD Artist (les deux autres modèles était la Custom - touche maple et la Standard, sans électronique active).
La particularité de la RD Artist était, outre sa touche ébène et sa somptueuse tête (ce genre de tête sur ce genre de corps, d'habitude ça ne "marche" pas, ici par je ne sais pas trop quel miracle si) son électronique active signé Bob Moog, ze king of ze synthé à l'époque. Et c'est là que ça s'est compliqué pour les pov guitaristes figés dans leurs habitudes: oublieux du mode d'emploi (qui lit le mode d'emploi d'une guitare déjà?
), ils ont branché la guitare dans leur ampli avec leurs réglages habituels (tous les potards sur 10 quoi) et ... la cata, son caca, beurk, j'en veux pas.
Il suffit d'aller regarder (avec grande souffrance) les vidéos (assez rares) de RD Artist sur YT: ça sonne quasi systématiquement merdique, brillant à faire passer l'éclairage de la tour eiffel pour celui du sapin de tata Germaine et agressif à faire passer un mercenaire de Wagner pour le fils caché de Gandhi.
Explication:
Mais pourquoi tant de haine? Si ces zigomars s'étaient donné la peine de regarder les potards de tonalité de près (actifs, un d'aigües, un de basse), ils auraient noté qu'ils ne sont pas marqués de 0 à 10 mais bien de -5 à +5 ... et évidemment, en bons guitaristes standarts, ils ont tout mis à bloc comme d'habitude
.
Bref, le point "neutre" de ces potards, c'est le 0 (ceci dit, ils auraient pu mettre un cran). Et là ça sonne! Les volumes sont eux marqués de 0 à 10, et agissent comme des potards normaux; cependant, ils sont utiles sur toute leur course et je dirais que pour se trouver dans le territoire PAF, on le trouve entre 8 et 8,5, dans le territoire tele/strat entre 6 et 7 et pour le méchant humbucker aux hormones, à 10.
Déjà comme celà, on a une possibilité de réglages immense avec les trois positions classiques de micros. Et quand j'y pense, ils auraient sans doute dû s'arrêter là. Mais évidemment, ils n'ont pas pu s'empêcher de rajouter des trucs plus gadget: entre en scène le deuxième commutateur trois positions:
- position centrale: neutre, c'est là que vous vous trouverez 99,5% de votre temps
- en arrière: si on est sur le micro manche, ça enclenche un compresseur tout ce qu'il y'a de plus classique; si on est sur le micro chevalet, ça enclenche un "expandeur" - schématiquement le contraire d'un compresseur, au lieu de tout lisser il excite la dynamique, ce qui théoriquement permet plus d'expressivité du jeu
- en avant, il enclenche un bright VRAIMENT très bright; peu utile, même s'il permet, en coupant les aigües et en baissant le volume, d'obtenir des sons Nashville/tele assez intéressants
C'est amusant pour faire joujou mais je dois manquer de subtilité pour utiliser ça plus que comme un gadget - même si je vois parfaitement un Ed O'Brien par exemple sortir des trucs très intéressants de cette configuration.
Bref, les contrôles actifs de tonalité et volume, un grand OUI, les compresseur/expandeur/bright ... sympa mais dispensable.
Ma RD Artist :
Ben oui, si je disserte sur le sujet, c'est parce que j'en ai enfin une entre les mains. C'est un modèle qui m'a toujours intrigué, et j'ai toujours trouvé l'Artist Blonde superbe. L'occasion s'est présentée, un modèle de '78 entièrement d'origine.
J'ai dû prendre un risque car beaucoup de ces grattes ont été dépouillées de leur électronique et modifiées, en plus elles ont 44-45 ans et s'il y'a bien une chose qui vieillit mal en général, c'est l'électronique! Et en Pologne, pas question d'aller l'essayer ... Le vendeur m'inspirait assez confiance, et après un peu de négociation, je l'ai obtenue au prix max que je voulais y mettre (ce qui m'a aussi inquiété
).
Arrivée dans son case d'origine (lui a morflé aux coins mais est solide), petite panique: le micro chevalet est à 45° et bloque carrément les cordes! et il est complètement coincé!:
Heureusement, rien de grave, micro démonté et remonté, tout rentre dans l'ordre. Choc durant le transport? ça me paraît difficile d'imaginer comment le micro (qui ne ballotte pas) serait allé se coincer ainsi, même après un choc violent. Je me dis que ça explique peut-être pourquoi le vendeur ne s'est pas trop fait prier ... tout bénèf pour moi. Elle est superbe sinon! Evidemment le gold s'est usé par endroits (bords des micros) mais c'est inévitable et ça renforce le cachet d'origine.
J'en ai profité pour polir un peu les frettes (j'ai l'impression qu'à partir de la 14ème case elles n'avaient jamais été utilisées! et le reste était en très bon état, aucun dépôt sur la splendide touche en ébène), puis de nouvelles cordes, corriger un léger back bow (l'occasion de vérifier que le trussrod est nickel) et essai: oh yeah! Pour peu qu'on l'utilise dans les régles, elle sonne admirablement bien! On trouve vite des réglages qui la place dans le spectre sonore d'une SG, d'une Les Paul, d'une Deluxe ou même de strat/tele (je ne parle pas d'imitation parfaite hein, ce n'est pas le but, mais sur un enregistrement on s'y trompera sans problème).
Le diapason de 25,5 assure une grande clarté et précision (certainement aidé par l'ébène et l'érable) mais sans cette agressivité des "démos" citées, tant qu'on ne booste pas les aigües comme un con. Le manche a une excellente jouabilité et est du genre large, avec un profil en D aplati. A noter, le stop bar est le fameux TP6 avec ses fine tuners. Je me grattais la tête pour comprendre l'intérêt de ces fine tuners sur une guitare sans locking nut, j'ai lu que ça pouvait servir pour se réaccorder après avoir placé un capo ...ok.
La guitare est lourde (pas encore pesée, mais je dirais pas loin de 4,5 kg - EDIT: pesée, 4,3 kg) mais super bien équilibrée en position debout, c'est une des guitares les plus confortables qu'il m'a été donné de jouer dans cette position.
C'est vraiment un modèle incompris, lorsqu'on se penche un peu dessus et qu'on utilise les contrôles comme prévu par le concepteur, on découvre un instrument très polyvalent et super bien construit, peut-être avec juste des gadgets en trop (mais bon, plus ne peut nuire). Et qui est au final toujours très actuelle. Cependant, la polyvalence et les contrôles ont leur limite: si à la maison ou en studio, on peut se permettre de chercher son son, sur scène ce sera plus compliqué (quoique pas impossible).
Les photos:
Edit 23/09/23: et voici la meilleure démo disponible, celle qui montre comment elle sonne vraiment entre les mains de quelqu'un qui ne met pas tout à 10
:
In rod we truss.
"Quelle opulence" - themidnighter
"It's sink or swim - shut up!"