Sur un timing quasi germanique, Earl Thomas et ses musiciens entrent sobrement sur la scène du Stravinski à 20h40 précises. Il ne vont en occuper qu'un petit tiers, pas besoin de beaucoup plus: Un batteur, un guitariste, un bassiste, et un monsieur-derrière-les-claviers armé d'une solide leslie vont se positionner derrière Earl Thomas.
Matériel léger pour une musique qui ne l'est pas moins: Cet afro-américain originaire du Tennessee pratique ce que les jeunes branchés d'aujourd'hui pourraient qualifier d'"easy listenning", mais n'y voyez aucun côté péjoratif, bien au contraire. Du funky-blues-pop tranquille mené par une voix de crooner émouvante et posée, voilà qui colle parfaitement avec la première première partie d'une soirée avec BB King !
Le public apprécie autant que moi (et autant assis que moi) les coups tranchants de twin reverb qui s'harmonisent parfaitement aux mimiques explicites et émouvantes d'un fils d'une chanteuse de Gospel revendiquant des influences aussi diverses que Otis Redding, Frank Zappa ou même Bela Bartok.
Un rappel largement mérité sur un boogie entrainant plus tard, et voici les roadies qui s'affairent à changer rapidement le plateau pour faire place à
Dr John, dont je ne verrai que la seconde moitié, la première étant passée à me restaurer sur les quais, entre deux averses.
Lorsque je reviens dans l'auditorium, le public s'est fait encore plus dense et commence sérieusement à se tasser vers l'avant. Sur scène, on a un petit peu changé de configuration: C'est à présent un barbu blanc à chapeau qui chante un boogie motivé et motivant, assis derrière un Steinway&Sons.
Il est en la companie de ses musiciens (basse-guitare-batterie), mais également d'un crâne humain et d'une bougie voodoo posés devant lui.
Dr John est en train de faire ce qu'il fait depuis le milieu des 50's, à savoir mener une approche musicale unique aidée par un physique marquant: Des influences mélangeant musique et esprit créole avec un background de la New-Orleans, le résultat est là. Des chansons de 20 minutes laissant la place belle à des improvisations époustouflantes de chaque musicien, ça sonne funky-jazzy-bluesy, et c'est bien plus que ça. Le public manifestement très en forme en redemande encore et encore, mais il faut bientôt laisser la place à ce cher Claude Nobs qui nous annonce une demie heure de break avant la venue du King...
Le temps pour moi d'aller me désaltérer une dernière foi avant d'entamer le plat de résistance de cette soirée.
23h15, Le BB King Blues Band prend possession de la scène qui parait, du coup, sacrément plus petite au vue du nombre de personnes qui l'occupent: 4 musiciens pour la section cuivres, un bassiste et un batteur, un pianiste et 2 guitariste. Et une chaise, avec Lucille posée à côté.
23h18, alors que les premières blues notes retentissent au rythme des impros successives de chaque musicien, le premier malaise se produit dans les premiers rangs, tassés à bloc. La petite dizaine de personnes sur la scène connaissent la formule, et font gentiment monter la sauce.
23h40, BB King entre sur la scène, sous un tonnerre d'applaudissement et sous les beuglées de Claude Nobs. Le roi rejoint son trône, empoigne son ES-335 frappée à son nom, et se met, comme d'habitude, à parler avec le public...
Jokes de bluesman, éclats de rire communicatif et auto-dérision font le plaisir de la salle. Le monsieur de 79 ans fait attendre le moment ou il va commencer à jouer...
Et le show commence vraiment, avec une formule rôdée et efficace, dont les preuves ne sont plus à faire: Un band de virutoses, un charisme inégalé depuis 50 ans, des speechs Blues à n'en plus finir, et surtout ces notes, quelles notes... BB King nous livre ses arpèges bleus par petites doses, il joue peu, mais bien. Il nous laisse le temps de boire et de déguster chacune des note qu'il pose sur le manche de sa guitare, au bon moment, au bon endroit. On déguste ses phrasés comme du bon vin, en sachant qu'il n'y en aura pas forcément pour tout le monde...
Le show continue, et profitant d'une impro au feeling encore plus fort que la moyenne, BB King fait signe au staff de laisser le public venir jusqu'à la scène. Immense mouvement de foule vers l'avant, qui laisse se découvrir une bonne dizaine de gens couchés par terre, au fond de la salle, endormis !
Exit les cuivres, voici un moment plus intime ou il offre des chaises à ses guitaristes et à son batteur, à peine plus jeunes que lui. Et on y va pour les classiques: Summertimes, Early in the morning, Key to the highway... La salle se vide déjà, j'en profite pour me mêler au public. Rock me babe, Thrill is gone, les cuivres reviennent...
1h15. BB King joue et chante depuis une heure et demie, mais n'a pas du tout l'intention de s'en aller. Comme le veut la coutume, il demande une jam avec les autres musiciens de la soirée.
Je profite de la mise en place pour rejoindre mon collègue au centre de presse, afin de le prévenir de ne pas m'attendre, la nuit risque d'être assez longue. Message compris (je crois), je remonte dans une salle qui a un peu changé de gueule: Moins de monde dans le public, mais par contre sur scène c'est un véritable pogo: Je compte pas moins de 6 guitaristes autour de BB King, 3 personnes derrière les claviers, et des bassistes-batteurs qui jouent à tour de rôle...
Cette immense jam-session en companie de Dr John et Earl Thomas revenus sur scène pour l'occasion, du jeune génie japonnais Kotaro Oshio et de plein d'autres personnes que je n'identifie pas va se prolonger jusqu'a 2h45, sur des 12-bar blues des familles afin que tout le monde puisse suivre, y compris Claude Nobs et ses harmonicas (les rares fois où les autres ont la politesse de s'adapter à sa tonalité, lui en étant totalement incapable).
Un air de famille donc, pour cette dernière heure de show, ou les grands monsieurs sur scène discutent entre eux comme ils l'auraient fait à l'occasion d'une soirée privée.
BB King sort de scène à 2h45 comme il est entré, souriant et humble avec son public, qui lui supplie de rester encore un peu... A l'année prochaine ?
Come on dad, gimme the car tonight...