Hippocampe10 a écrit :
Nous sommes contre l'euthanasie pour plusieurs raisons :
On voit régulièrement des demandes d'euthanasie céder une fois le patient informé, rassuré, soulagé. Ce n'est donc pas à prendre au pied de la lettre. Il y a un gros risque de voir des patients être mal orientés et être privés d'une belle prise en charge chez nous. De plus il y a évidemment tous les risques de dérives vis à vis des personnes vulnérables et l'aspect commercial qui risquerait d'apparaître.
Effectivement, l'information du patient est primordiale. Et si le cas de figure que tu exposes se présente en effet, l'inverse tout autant: même après avoir été parfaitement renseigné sur les autres alternatives, certains patients persistent dans leur désir d'euthanasie. Ceux-là ne devraient donc pas être écoutés?
De même, les risques que tu exposes sont potentiellement réels (sans même être dans une société du genre Soleynt Green). C'est bien pourquoi dans une société où l'euthanasie est autorisée (et non pas promue!), tous les garde-fous sont mis en place pour les éviter. En Belgique, de très nombreuses demandes d'euthanasie sont refusées et un nombre minime abouti: sont nécessaires la demande éclairée ET répétée du patient (en possession de tous ses moyens intellectuels et en l'absence de pressions de l'entourage), la prise en charge de la demande par un médecin, l'avis contradictoire d'un deuxième médecin indépendant et enfin l'acceptation de la demande par une commission d'éthique. On est très loin des caricatures grossières qui sont faites du processus.
Citation:
Nous sommes aussi contre l'euthanasie car nous avons tellement mieux à proposer, j'ai déjà parlé de ce qu'on fait dans mon service.
Il arrive régulièrement que les patients décèdent pile au moment où leur proches s'absentent de la chambre. C'est assez incroyable à voir, on a du mal à l'expliquer, quoi que la mort est quelque chose d'intime. L'euthanasie nous enlèverait ce genre de moments très subtiles qui serait alors remplacés par un rendez vous pour mourir...
L'euthanasie n'a EN AUCUN CAS vocation à se substituer aux soins palliatifs. Je suis un fervent défenseur de ces derniers. Mais elle offre une possibilité à certains individus de choisir librement leur façon de partir de la façon, au moment et dans les conditions qu'ils ont choisi (et qu'on a pas choisi pour eux), sans subir l'inéluctable dégradation physique et psychique d'une agonie (même sous sédation - tout le monde ne désire pas être assommé pour "partir en paix" ... surtout pour l'entourage?).
Et si j'ai assisté à de "beaux départs" en soins palliatifs (mais pas que), j'ai aussi été témoin d'adieux émouvants d'une personne apaisée de pouvoir dire adieu à ses proches à sa façon, à son moment, avec dignité, et de pouvoir leur dire et transmettre clairement ses volontés, plutôt que de s'éteindre peu à peu dans un sommeil comateux où la communication n'est plus possible, ou souvent fantasmée.
Citation:
Et enfin nous sommes contre car c'est incompatible avec notre engagement et notre fiche de poste. Vous ne demandez pas à votre boulanger de réparer votre bagnole ? Bah c'est pareil, on n'est pas là pour tuer les gens, ça ne se fera pas à l'hôpital.
Déjà, ça peut se faire (fréquemment) au domicile du patient. La question éthique de savoir si un médecin "peut" donner la mort est évidemment primordiale: qu'est-ce qui prime, la volonté de préserver la vie à tout prix (ce qui incluera évidemment l'opposition farouche à l'avortement par exemple) ou bien la volonté de soulager un patient du mieux possible et selon des modalités que le patient aura choisi librement (et, je le répète, après information neutre et complète - généralement, le patient ne nous a d'ailleurs pas attendu pour se renseigner hein)?
Personne n'obligera jamais un soignant à pratiquer un acte qui ne correspond pas à sa philosophie. Et par ailleurs, je le répète: l'euthanasie n'a absolument pas vocation à se substituer aux soins palliatifs, ce serait un non-sens absolu.
Au contraire, et c'est ce que j'ai constaté en Belgique, la loi sur l'euthanasie a, paradoxalement peut-être si on est pas sur le terrain, permis le développement de soins palliatifs de grande qualité, avec du top personnel formé adéquatement.
Un cas vécu récemment pour illustrer: une dame d'une septantaine d'années (sorry, belgicisme
) atteinte d'un cancer du poumon. Grosse fumeuse, déjà rescapée d'un cancer de la gorge. Cette fois-ci, le cancer est métastasé d'emblée et la patiente choisi de ne pas faire soigner son cancer (après avoir été bien informée - c'est son choix).
Au début de l'annonce du diagnostic fatal, cette dame me parle de l'euthanasie, à laquelle elle veut absolument recourir "lorsqu'il sera temps". Je l'écoute, je l'informe des procédures (cf + haut), elle est apaisée.
Je la suis ensuite durant presque deux ans, chez elle (le cancer ne l'a fait pas souffrir pendant un bon moment, puis lorsqu'il se manifeste, les douleurs sont bien gérées en collaboration avec une infirmière palliative à domicile). Elle me reparle, ainsi qu'à l'infirmière palliative de son désir d'euthanasie "lorsqu'il faudra".
Arrive un moment où la dégradation devient importante, où Madame, qui vit seule avec ses chats, et a une famille aimante mais lointaine géographiquement, ne peut plus se déplacer seule chez elle, est totalement dépendante et représente un risque (grosse fumeuse au lit, des trous de cigarette partout dans les draps ... ).
J'ai plusieurs discussions avec elle (elle ne veut pas quitter son domicile et ses chats, ce qui est compréhensible) et finalement, entouré de sa famille, de l'infirmière palliative et de ma collègue infirmière, nous négocions avec elle une entrée en soins palliatifs qui s'organise rapidement (le lendemain).
Madame décède deux semaines après, aux soins palliatifs, entourée de sa famille, paisiblement.
Pourquoi donc est-ce que je raconte cette histoire qui pourrait paraître "contre-productive"? Parce qu'elle ne l'est pas à mon sens: je ne vais JAMAIS forcer un/e patient/e à choisir de façon dogmatique entre les soins palliatifs ou l'euthanasie, c'est l'histoire naturelle du patient et de sa maladie qui amènera progressivement à une décision du patient dans un sens ou dans l'autre.
Ecoutons le patient.
In rod we truss.
"Quelle opulence" - themidnighter
"It's sink or swim - shut up!"