Les DVDs et les films sur les Stones étant à peu près aussi rares que les compilations des hits de Frank Sinatra, on peut s’étonner qu’un musicophile aussi averti que Scorsese, certes fan depuis la première heure, se penche sur ce groupe entre deux réalisations de films à
Oscars. Pour Keith Richards, le guitariste du groupe et père de Jack Sparrow à Hollywood, le New-Yorkais « apporte sa vision » alors que pour Mick Jagger, le polymorphe chanteur, « c’est très travaillé. C’est du Scorsese avec un montage bien présent. Ce n’est pas la même expérience que de nous voir depuis les gradins ou le quarantième rang. En bougeant, on a des points de vue différents. »
À la vue du sublime plan d’introduction sur « Sympathy For The Devil », du montage intelligent ou des longs gros plans sur l’expression faciale des quatre membres du groupe, on trouve effectivement une maîtrise de tous les instants et une mise en scène parfaite pour ne pas ennuyer un spectateur calé dans son fauteuil de cinéma et n’ayant pas le droit de manifester sa joie alors qu’il vit l’action au plus près. Richards y va de son commentaire : « J’ai juste regardé le film et je me suis dit qu’on avait fait un bon show ! Sur le côté cinématographique, je n’avais rien à dire mais forcément on repère ses erreurs et fausses notes. Mais ce qui m’intéresse c’est qu’on joue ensemble et Marty a bien réussi à le montrer. »
Toutefois, par rapport à Hamish Hamilton qui avait magnifiquement capté la prestation de la dernière tournée de Peter Gabriel ou au film hypnotique de Sigur Ros, Heima, Martin Scorsese manque cruellement d’inventivité. Pour The Last Waltz en 1978 il avait redéfini le genre du film musical. Shine A Light, aussi agréable soit-il, n’est qu’une bonne exécution d’un travail d’artiste ne sachant plus rien apporter de nouveau. Le multi-nominé aux Academy Awards explique qu’un « réalisateur a beaucoup de contrôle mais mon problème est que je recherche la spontanéité… Tout en gardant le contrôle ! » Et c’est sans doute à cause de cette habitude de tout contrôler qu’il a manqué l’occasion de se laisser porter par un groupe toujours au top de son charisme après quarante ans de tournées incessantes.
Heureusement, entre les morceaux, on découvre des images d’archives pour la grande majorité inédites et, dans ces moments, la patte Scorsese refait pleinement surface. Courtes et incisives, elles représentent exactement ce qui manque au groupe entre ses chansons : une légèreté de ton et un détachement enfantin. Le réalisateur explique qu’il y avait « environ quatre cents heures d’images d’archives. J’ai simplement trié pour raconter l’histoire des Stones grâce à ces petits moments interstitiels et de manière détournée. » Un parti pris qui plaît autant au public qu’au groupe lui-même. En effet, pour Jagger, « ça fonctionne bien. On a fait beaucoup d’essais avec les archives. Certaines scènes ne me plaisaient pas. On a plutôt cherché un côté humoristique. » Pour Richards, « l’humour est très important dans ce qu’on fait. Sur scène, on ne fait pas beaucoup de blagues. Mais entre nous, il y a de bonnes vannes qui sont lancées ! » Révéler ici les anecdotes racontées amputerait Shine A Light de la moitié de son facteur plaisir ; sachez seulement que « Keef RiffHard » fait honneur à sa réputation d’électron libre.
Et la musique, alors ? Là aussi, la pléthore d’enregistrements disponibles, récents ou anciens, n’aident pas franchement à voir d’un bon œil Shine A Light. Individuellement, les membres du groupe jouent nettement moins bien qu’il y a trente ans et bien que collectivement ils s’en sortent mieux, les solos de Richards font beaucoup de peine aux amateurs de guitare ainsi que ses quelques parties de chant lead. Malgré ces grosses déceptions d’interprétation, il y a largement de quoi se réjouir au cours de ce concert grâce en partie à une setlist surprenante. « Some Girls », « Far Away Eyes » ou « All Down The Line » ne sont que quelques exemples des vieilles pépites que les Rolling Stones vont se faire le plaisir de revisiter ici sans oublier des classiques toujours aussi efficaces quelles que soient les conditions dans lesquelles on les écoute (« Jumpin’ Jack Flash », « Brown Sugar », « (I Can't Get No) Satisfaction », etc.).
Et puis il y a des invités de marque loins d’être présents uniquement pour ajouter une collaboration prestigieuse à leurs CVs. Jack White des White Stripes amène son candide sourire et sa bonne humeur sur « Lovin’ Cup », Buddy Guy vient mettre le feu aux amplis dans la plus grande décontraction sur « Champagne & Reefer », une chanson de Muddy Waters, et Christina Aguilera réalise une performance vocale des plus démonstratives sur une excellente interprétation de « Live With Me ». Shine A Light s’apparente donc à une grande fête. Cela est accentué par la salle, un petit théâtre new-yorkais, où l’intimité s’installe plus facilement qu’au stade de France. Scorsese nous invite ainsi à un événement VIP – un coup d’œil au public confirmera que c’était bien le cas – et rien qu’à ce titre en guise de remerciements, comme l’avoue Keith Richards lui-même, « Martin aurait dû faire partie des Stones ! »
Martin Scorsese – Shine A Light, au cinéma depuis le 16 avril.
B.O. disponible chez Polydor – Universal
www.rollingstones.com