La mort de Leonard Cohen aura été à l'image de son nouvel album : silencieuse et sereine. Musicalement, aucune trace de pop ici. Cohen revient aux arrangements dépouillés de ses débuts. Toute l'attention se porte sur les paroles et sur les nuances hypnotiques que sa voix unique était capable d'apporter à ses compositions. On sent une fébrilité dans le timbre mais aucunement une faiblesse ou un signe de maladie. On est loin des derniers American Recordings de Johnny Cash. Difficile d'imaginer qu'il allait disparaître quelques mois après l'enregistrement de You Want It Darker. Toutefois, à son âge, la mort fait partie du quotidien. Pour cet artiste atypique, la mort était devenue une sorte de personnage récurrent dans ses textes, une obsession que résume parfaitement cet extrait de The Future : "I've seen the future, brother: it is murder".
Cet ultime album, son quatorzième, commence sous les meilleurs auspices pour tous ceux qui apprécient l'humour noir. You Want It Darker et son refrain "Hineni, hineni, I'm ready my lord" (littéralement "Me voici, me voici, je suis prêt mon Dieu") peuvent difficilement annoncer plus clairement la couleur. Les huit titres suivants jouent également avec les thèmes préférés du musicien : la mort, l'amour, la religion et, toujours, l'humour. L'image est facile mais You Want It Darker s'affirme comme une sorte de testament où résonne une musique immaculée sur des airs impavides.
Car, en dépit des sujets évoqués, Cohen ne paraît jamais perturbé par la gravité de la situation (Leaving The Table, Treaty, Travelling Light). Il rumine des idées noires en s'appuyant sur la chaleur profonde de sa voix, préservant en chaque instant son magnétisme. La production de l'album, ainsi que les arrangements, s'occupent de créer une vivacité en soutien à ce positionnement quelque peu dramatique (Travelling Light, Steer Your Way). Lorsqu'il décide de prendre aux tripes comme sur le morceau éponyme ou le sublime It Seemed The Better Way, le singer-songwriter déploie tout son savoir-faire. C'est dans ce créneau précis qu'il sera le plus regretté car personne, pas même Bob Dylan, Nick Cave ou Mark Lanegan, n'a réussi à lui voler la vedette dès qu'il s'agit d'évoquer dignement des pensées funestes.
You Want It Darker n'est pas un disque indispensable quand on le remet en perspective face aux classiques qu'a pu sortir Leonard Cohen durant sa carrière. Il demeure néanmoins son album le plus intéressant depuis I'm Your Man (1988). Sans la reprise aux cordes de Treaty comme ultime piste, il aurait même pu laisser une meilleure impression globale. Comme pour Blackstar, son contexte lui donnera une exposition de premier choix mais sa qualité intrinsèque aurait été suffisante pour l'imposer par lui-même. Aujourd'hui et pour toujours I'm your fan...
Discographie de Leonard Cohen :
Songs of Leonard Cohen (1967)
Songs from a Room (1969)
Songs of Love and Hate (1971)
New Skin for the Old Ceremony (1974)
Death of a Ladies' Man (1977)
Recent Songs (1979)
Various Positions (1984)
I'm Your Man (1988)
The Future (1992)
Ten New Songs (2001)
Dear Heather (2004)
Old Ideas (2012)
Popular Problems (2014)
You Want It Darker (2016)
Tracklist de You Want It Darker :
En gras les morceaux essentiels :
1.
You Want It Darker
2. Treaty
3. On the Level
4. Leaving the Table
5.
If I Didn't Have Your Love
6. Traveling Light
7.
It Seemed The Better Way
8. Steer Your Way
9. String Reprise / Treaty