Place Saint-Georges, Paris février 2013
J'attends Franck, un passionné de musique, de guitare et de course automobile qui s'occupe depuis 2012 de la distribution en France des guitares de la marque Bulgare Kremona, produisant exclusivement des instruments acoustiques, et en ce qui nous concerne des guitares classiques. Franck et son associé Xavier ne travaillent pas en soi pour la marque mais achètent des instruments directement au près du fabricant pour les revendre en France. Et quels instruments… Franck a pensé à moi. Sachant que je suis gaucher, il a eu la gentillesse de me ramener deux de ses modèles adaptés à ma « singularité » qui sont tout bonnement épatants, mais j'aborderai ce point plus tard. Cette rencontre enrichissante m'a offert la possibilité de mieux aborder la démarche commerciale des deux associés, ainsi que la nature de la marque, dont je vous propose un bref historique : « L'histoire de Kremona commence, aux alentours du début du XXème siècle, avec un homme : Dimitar Georgiev. Au début de la Première Guerre Mondiale, Dimitar est appelé à rejoindre les rangs de l'armée nationale. Pendant son séjour sur le front, il prend l'habitude de trouver un certain réconfort à jouer de la musique sur sa mandoline mais, cet environnement s'avérant très rude pour l'instrument, il est obligé de le réparer lui-même à de nombreuses reprises. De retour chez lui, en Bulgarie, Dimitar commence à produire des échantillons sculptés à la main : des mandolines, d'abord, puis des violons et, plus tard, des guitares. Ces échantillons lui valent d'être accepté en apprentissage dans la célèbre ville de Markneukirchen, en Allemagne, où il excellera dans la vente. Il retourne en Bulgarie en 1924 pour y ouvrir son propre atelier. Kremona est alors créée avec l'aide de ses deux frères et, plus tard, celle de deux maîtres-artisans allemands. Depuis la fin 1999, Kremona est de nouveau une entreprise privée opérationnelle qui mobilise environ 120 ouvriers et maîtres-artisans. C'est désormais dans un monde moderne que Kremona continue à mettre en œuvre sa riche tradition d'artisanat et d'excellence, en utilisant uniquement les meilleurs des matériaux locaux et importés. Kremona continue d'améliorer l'apparence, le ressenti et la jouabilité de ses instruments dans une ligne complète de guitares et la fabrication d'instruments à archet appréciés par les virtuoses. La production de guitares est principalement axée sur les guitares classiques avec tables massives, pour lesquelles il est proposé 11 déclinaisons mais également une série limitée de guitares entièrement fabriquées main et en bois massifs. Kremona fabrique aussi des instruments à cordes frottées comprenant violons, violes, violoncelles et doubles-basses pour tous niveaux, de l'étudiant au professionnel.
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L'objectif de l'entreprise Kremona est l'excellence dans la qualité, la flexibilité dans la production et les possibilités de personnalisation de vos instruments de musique. » Cet historique plein de promesses et sachant susciter l'intérêt et l'envie se voit immédiatement crédibilisé quand Franck se met à me parler de ce qui l'a amené à travailler avec cette marque. Il en parle avec passion et conviction, fort de ses 30 ans passés à voguer dans le milieu de la musique (groupes, magasins…). Pour sa part, Franck n'a jamais eu le coup de cœur qu'il a eu pour Kremona lors de sa première expérience dans la distribution à partir de 2006, et s'épanouit aujourd'hui dans sa profession, accompagnant la marque sur le marché Français. Après tout, proposer un instrument entièrement fait à la main par des artisans correctement rémunérés au même prix qu'un instrument manufacturé en Asie, c'est en effet séduisant. Notons que Kremona est une marque qui « marche fort », présente dans le monde entier et connaît un véritable succès commercial outre Atlantique. L'engouement pour la marque Bulgare se ressent aussi en France : ne devant à l'origine être distribuée qu'auprès d'un petit groupe de magasins, le succès fût tel que la demande a augmentée de manière exponentielle : ce sont désormais 50 points de vente qui distribuent la marque en France, et les deux associés se fixent l'objectif tout à fait réalisable de 100 points de vente d'ici septembre 2013. Vous vous demandez probablement comment une marque peu connue peut s'installer de manière aussi efficace et rapide sur le territoire ? La réponse tient en un mot : « marge ». En effet, Franck et Xavier minimisent au maximum les marges d'importation des instruments et ne prennent pas de pourcentage hallucinant sur les instruments. Ce cocktail a deux conséquences tout à fait primordiales pour les deux associés : Tout d'abord proposer des instruments que je qualifierais de « haut de gamme abordable » (du moins pour les instruments que j'ai testé). Le rapport qualité prix est plus que saisissant. Ci-dessous un échantillon des 4 séries proposées chez Kremona : |
Des guitares entièrement réalisées à la main, disposant de qualités acoustiques réelles et proposées à partir de 239€ TTC jusqu'à 1120€ TTC (prix public conseillé), je n'ai jamais vu ça ailleurs. Les potentiels clients ne sont dès lors plus obnubilés par le prix de l'instrument mais par ce qu'il représente en termes de qualité, et prend conscience de ce qu'il est non plus pour son tarif mais pour ce qu'il a à offrir. Deuxièmement, comme le dit Franck, l'idée est aussi que les magasins aient « quelque chose à se mettre sous la dent ». En allant à contre-courant des grossistes qui travaillent sur le volume et ne laissent que de petites marges aux revendeurs, les deux compères, conscients de la conjoncture économique actuelle des magasins de musique physiques, valorisent le réseau de distribution et la qualité des produits proposés pour se concentrer sur la dimension qualitative plutôt que quantitative, ce qui s'avère payant. D'un point de vue personnel, je pense que nous sommes ici face à un exemple à suivre en termes de distribution et d'attitude commerciale, préservant les points de vente physiques rongés par la vente en ligne. Une réalité économique Je tiens tout de même à nuancer cet aspect idyllique entourant les prix des instruments. Certes les artisans de la marque sont rémunérés de façon correcte et traités avec respect, mais il faut savoir que le salaire moyen en Bulgarie en 2012 s'élevait en moyenne à 688€ bruts (pour un salaire minimum obligatoire de 145€ bruts) pour des journées de travail de 8 heures (40 heures par semaine). A titre comparatif, le salaire moyen en France est de 2082€ bruts par mois, pour un salaire minimum obligatoire de 1430,22€ bruts par mois. Le coût de la vie est bien entendu indexé sur les revenus moyens, ce qui justifie la différence de prix entre deux produits de même conception ayant été produits dans deux pays différents. Ces données sont bien évidement à prendre en compte. Il faut être conscient que nos artisans français ne proposent pas des instruments à des milliers d'euros pour s'en mettre « plein les poches » mais parce que, malgré la dimension européenne (dont, au même titre que la France la Bulgarie fait partie), les entreprises et artisans ne sont pas soumis aux mêmes législations, aux mêmes impositions ni aux mêmes taxes douanières lorsqu'ils importent des matériaux ou des produits en fonction des pays. L'interconnexion des économies européennes ne rime pas avec harmonisation des règles en vigueur, instaurées par des institutions étatiques gardant une réelle indépendance ainsi qu'une forte marge de manœuvre. Nous sommes donc en droit de nous poser de nombreuses questions. Des mesures ne devraient-elles pas être prises pour pérenniser les activités artisanales du pays ? La réponse coule de source lorsque l'on sait que notre pays importe plus de 95% des instruments distribués sur le territoire et est le cinquième vendeur d'instruments de musique à l'échelle mondiale. Une fois de plus ces problématiques sont soulevées et mettent en exergue la situation actuelle difficile à laquelle se confrontent les luthiers, les artisans et en général les entreprises de notre pays. Pour nous focaliser sur les artisans, en France ces derniers sont confrontés à un réel dumping. La solution ? Une politique commune pour l'artisanat, avec une harmonisation fiscale et sociale à l'échelle européenne. Sans aller jusqu'à mentionner une « concurrence déloyale », il faut garder à l'esprit qu'en fonction des pays les agents économiques ne sont pas soumis aux mêmes obligations. |
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