Evolutiomusic, la guitare ergonomique

Publié le 01/06/2007 par André Stern, a.k.a. Amidala
Depuis toujours, luthiers et guitaristes cherchent à optimiser le difficile assemblage de l’anatomie du guitariste avec celle de son instrument. Histoire de compromis, cette prospection a été émaillée de toutes sortes d’inventions généralement sans lendemain, faute de résultats physiologiques ET sonores vraiment concluants… Mais depuis peu, Evolutiomusic propose un concept de guitare ergonomique qui, lui, apporte enfin une solution convaincante sur tous les plans. Cela fera date.

La recherche d’une morphologie "idéale" de la guitare est une constante dans l’histoire tumultueuse de notre instrument. Tout comme la recherche, parallèle et, souvent, conjointe, d’une posture du corps et des mains la plus appropriée au jeu. Luthiers et guitaristes y sont allés à tour de bras de leurs inventions respectives ou concertées : si certaines se sont imposées au cours de l’Histoire, beaucoup sont restées à l’état de prototype.

Le guitariste Fernando Sor (1778 – 1839) invente, par exemple, une posture qui ne modifie en rien l’instrument (les guitares de l’époque sont encore très petites) mais permet de soulager le corps du musicien : il appuie l’éclisse du bas de sa guitare sur le bord d’une table, libérant en partie les bras et les mains de la tenue de l’instrument.

Quant au guitariste madrilène Dionisio Aguado (1784 – 1849), il invente un dispositif étonnant, le Tripodium (ou Tripodison ou encore Tripedisno) :

Cette sorte de tripode, destinée à tenir la guitare en position idéale devant l’instrumentiste, parachève la proposition de Sor. Voici une gravure montrant Aguado lui-même faisant usage du Tripodium :

Les divers supports et prothèses proposés de nos jours (ErgoPlay, Gitano etc.) n’apportent que des solutions partielles et connaissent une diffusion assez limitée – principalement auprès d’aficionados irréductibles… tels mon ami Riet Buchli, grand guitariste suisse, que l’on voit ci-dessous utiliser, pour sa guitare Werner Schär à 8 cordes, un support de ce type :


Vous noterez au passage qu’il pratique le tapping en classique, voilà une belle illustration de l’hybridation guitaristique qui me tient à cœur...

 

Né en 1959, Christian Bouté est guitariste professionnel. Commencée à l’âge de 8 ans, la pratique de la guitare le confronte, après la trentaine, à des difficultés musculo-squelettiques qui le mettent en alerte.

Au lieu d’être la victime des problèmes posés au guitariste par le porté de la guitare, Christian Bouté en fait, dès lors, l’objet de recherches et de réflexions poussées.

Il commence à étudier cette problématique au Centre de Rééducation du Musicien (Paris) auprès du kinésithérapeute Philippe Chamagne (celui-là même qui a mis en place les protocoles de rééducation du musicien)

Ensuite, il se lance dans une formation complète à l’Institut Européen de Médecine des Arts dirigé par le Docteur André François Arcier. C’est pendant les trois années de cette formation qu’il conçoit et développe le concept d’une guitare ergonomique.

Christian Bouté peaufine son invention, loin de tout empirisme, en tenant méticuleusement compte de tous les aspects psychologiques, anatomiques, ergonomiques et physiologiques mis en lumière par les éminents spécialistes dont il suit l’enseignement.

Son idée ? Modifier la caisse de résonnance de la guitare - sans en altérer les qualités sonores ! - afin de délivrer le guitariste de son principal problème postural : la torsion du buste (le guitariste classique est le seul musicien à contourner la caisse de son instrument avec le bras, ce qui explique le déséquilibre musculaire parfois très grave dont souffrent certains)

Son ami de longue date, Jean-Gilbert Deleusière (entrepreneur et guitariste amateur), découvre avec enthousiasme son invention et entreprend immédiatement de lui assurer la diffusion qu’elle mérite. Ensemble, après avoir trouvé en Espagne un premier atelier prenant en charge la construction en série de leur produit, ils fondent la Société Evolutiomusic. C’est cette dernière qui nous présente, aujourd’hui, la Guitare Ergonomique, objet du présent dossier.

 

Cette entrée en matière terminée, prenons en main une guitare ergonomique…
Première impression : le design, très soigné, surprend complètement. Mais – et c’est là l’un des points qui assurent le succès du concept – la physionomie générale de notre instrument est tout à fait respectée. Et même si j’ai entendu un amusant "tiens ! ils ont engagé Picasso comme designer !?", ce n’était pas du tout une critique.

Bien que sceptique de nature, j’ai été immédiatement conquis par la guitare ergonomique. En un clin d’œil, au moment où on la prend contre soi, la plupart des points "qui font mal" sur une guitare classique disparaissent, comme par enchantement, comme d’un coup de baguette magique. Cela fait "tout chose" !

Le biseau de la table libère le coude. Celui du fond permet à la guitare de se caler sans angle contre la cuisse droite.

Autre constat d’importance : les caractéristiques sonores de la guitare ne sont pas le moins du monde défigurées.

La facture de l’instrument, assurée par l’Atelier Ricardo Montes, est sans reproche dans la catégorie visée : bonne lutherie, finition soignée. Autre point réjouissant : la volonté affichée par Evolutiomusic de vendre ces guitares exceptionnelles à un prix tout à fait raisonnable.

Il existe toute une gamme de modèles, en plusieurs tailles : les enfants, que l’inconfort finit souvent par dégoûter de la pratique guitaristique, sont particulièrement concernés par cette petite révolution… les deux photos ci-dessous (tirée du site www.evolutiomusic.fr) illustrent, de manière spectaculaire, aussi bien ce principe que l’apport général de la Guitare Ergonomique.

Posture avec une guitare traditionnelle  :

Posture avec une Guitare Ergonomique :

 

Pour assurer l’objectivité de ce banc d’essai, j’ai confié cette guitare (j’ai essayé un modèle CC11 à caisse classique et un modèle Cutaway, CX15, pré-amplifié) à 5 guitaristes professionnels invités séparément.

Dans tout les cas, l’effet "waouh" est confirmé, même auprès de guitaristes très académiques. J’ai même remarqué que plus le niveau du musicien est élevé, plus son enthousiasme est fort…

Je n’ai entendu que deux "critiques". L’une, citée plus haut, est ouvertement une affaire de goût et d’habitude : elle portait sur le "design by Picasso" et n’était pas sérieuse.

L’autre dénote d’une certaine myopie : "Ah c’est parfait, mais si les gens s’habituent à jouer avec une guitare comme celle-là, ils ne sauront plus jouer sur une guitare normale !"
A cela je répondrai deux choses :

1) Le passage d’une guitare ergonomique à une autre est régulièrement pratiqué par certains musiciens professionnels et ne présente aucune difficulté (ces musiciens ont choisi de pratiquer leur entrainement quotidien sur une guitare ergonomique et d’utiliser leur instrument "classique" pour les concerts).

2) Et si tel était le cas, en quoi cela devrait-il être un problème ?? Pourquoi ne pas envisager toute une vie de guitariste avec une guitare ergonomique ? Il en existe dans toutes les gammes, et certains luthiers fabriquent (sous licence) des instruments de concert sur mesure dotés du concept Evolutiomusic. Ce concept n’est en rien limité à l’usage des débutants et ne représente absolument pas une antichambre au niveau soi-disant supérieur. Pourquoi, enfin, ne pas imaginer une certaine standardisation de ce qui est mieux, même si la nouveauté, toujours, secoue les tenants de la pensée unique en place ? Au nom de quoi devrait-on souffrir, là où il est possible d’améliorer les choses ? J’ai trop souvent entendu ce genre de remarque absurde au cours de ma propre recherche sur le confort de jeu - grande bête noire (oui, c’est incompréhensible) de la plupart de guitaristes académiques… (voir à ce sujet ma Série Amidala sur Guitare Live et mon prochain article (Guitare Live N°30) : "La Guitare dans tous ses états").


Un autre domaine dans lequel la guitare Evolutiomusic apporte un avantage décisif, c’est dans celui des musiciens qui, jouant debout, accompagnent leur chant d’une guitare tenue en bandoulière : l’épaule n’est plus tordue vers l’avant, le buste, droit, permet à la colonne d’air (pilier du chant humain) de se positionner idéalement, dans une parfaite rectitude.

Notons au passage que le concept Evolutiomusic est également appliqué à des modèles de guitares Folk à cordes en acier.

Pour conclure, je me dois de constater que la guitare ergonomique n’apporte ses avantages spectaculaires que dans le cadre de la position classique. Elle ne peut rien amener, par exemple, aux guitaristes qui, comme moi, sont adeptes de l’ancienne position flamenco.

Par ailleurs, le problème de bascule du bassin, dû au tabouret rehaussant le pied gauche, reste présent dans le cadre de la position classique et doit faire l’objet, à mon avis, d’une recherche parallèle. C’est bien le seul problème que le concept d’Evolutiomusic ne peut résoudre, tout simplement parce qu’il est situé en dehors du périmètre de la guitare.


En conclusion
De telles avancées dans le monde de la guitare sont rares. Celle-ci connaît un succès grandissant et ce n’est que justice. Et, loin de s’endormir sur ses lauriers, l’équipe d’Evolutiomusic prévoit toutes sortes de développements.

Comme je le disais dans le précédent numéro de Guitare Live au sujet de la Yamaha EZ-AG : "lorsqu’une ère nouvelle pointe, je suis toujours attentif et ému. Surtout, comme ici, lorsqu’elle promet de nouvelles ramifications et un cosmopolitisme musical renforcé pour notre guitare : historiquement, nous jouons du plus populaire et du plus hybridé des instruments."

Je suis aussi touché que ravi de faire partie de cette aventure. Et vous ?

Les points forts :
- La plus grande avancée dans le domaine de l’ergonomie de la guitare
- Confort spectaculaire
- Disparation des risques de pathologies
- Lutherie de bon aloi
- Prix raisonnable
- Grande diversité de modèles proposés

Les points faibles :
- Je n’en ai trouvé aucun !

Textes et photos :
© André Stern, a.k.a. Amidala, Guitare Live, juin 2007

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