« Sounds That Can’t Be Made » a de nouveau propulsé Marillion dans le haut des classements de fin d’année. Ce 17ème album à peine sorti, le groupe était déjà sur la route pour en répandre la bonne parole. Si la première partie de leur tournée a soigneusement évité notre capitale, les Anglais se sont rattrapés avec deux concerts d’affilée au Trianon les 18 et 19 janvier derniers. Le guitariste Steve Rothery nous a livré ses impressions avant d’attaquer le second de ces deux concerts.

Jouer deux soirs d’affilée dans la même ville n’est pas très courant pour Marillion. Cela correspondait à une envie précise de votre part ?
Steve Rothery : C’était mon idée, en fait. Nous avons commencé à le faire pour la tournée américaine en juin dernier. Nous faisons cela dans des villes « touristiques » car cela donne une raison supplémentaire aux gens de venir nous voir, notamment à nos amis et à nos familles (rires). Ça devient presque une petite convention car nous jouons des sets relativement différents. Nous jouons les mêmes extraits de Sounds That Can’t Be Made chaque soir avec d’autres vieux morceaux. Nous allons en tous cas recommencer à Milan et à Barcelone.

Sounds That Can’t Be Made a été enregistré de manière assez inhabituelle pour vous. Peux-tu nous expliquer ?
S. R. : Tout à fait. Nous avions à peu près fini l’album et avions ensuite décidé de rajouter « Gaza », qui n’était au départ qu’une idée à moitié finie… Nous avions une tournée américaine prévue pour juin et l’album n’allait pas être prêt à temps. Nous avons donc dû travailler en partie sur le disque alors que nous étions en pleine tournée ! Ce n’est pas la solution idéale mais nous avons réussi à tirer parti de la situation. Mark, Steve et moi pouvions bosser sur des portables dans de bonnes conditions. Nous avons réussi, au final, mais nous avons failli y rester (rires).

Comme à chaque fois, non (rires) ?
S. R. : Non, quand même pas ! Là, il y avait vraiment une pression supplémentaire. Nous avons dû travailler chacun de notre côté, dans notre propre studio. Nous n’avions jamais fait cela. 80% des guitares ont été enregistrées alors que j’étais tout seul. Pas très glamour (rires).

L'album « Sounds That Can't Be Made » de MarillionTu penses que c’est une expérience que vous pourriez renouveler ?
S. R. : Nous avons beaucoup appris. Nous avons une liberté supplémentaire en étant seuls, une liberté qui fait parfois défaut dans un studio. On peut se lâcher sans que quelqu’un s’indigne immédiatement du fait qu’on ne joue pas ce qui était prévu.

« Gaza », le premier morceau de Sounds That Can’t Be Made, a déjà fait couler pas mal d’encre… Il s’agit de votre premier morceau « politique » depuis 1989. Comment expliques-tu ce retour à un sujet aussi sérieux, 24 ans plus tard ?
S. R. : Il ne faut pas le voir comme un morceau politique. C’est plutôt un morceau humanitaire écrit de la perspective d’un enfant qui grandit dans une zone de conflits. Nous avons appelé cette chanson « Gaza ». Il aurait sans doute été plus intelligent de l’appeler « Both Sides Of The Wire ». Dès que nous avons annoncé le titre du morceau, nous avons reçu plein de commentaires très engagés alors que personne n’avait encore entendu la moindre note ! Ni lu la moindre parole, d’ailleurs. La chanson est très neutre et ne prend aucunement partie en faveur d’un côté ou de l’autre. Nous aimerions que la situation s’améliore là-bas et que la vie des gens devienne normale. Allez voir la vidéo de « Gaza » sur YouTube et lisez les commentaires que les gens laissent. C’est presque comme un microcosme de la situation là-bas. Les observateurs, motivés par leur culture, la position de leur pays ou leur religion, adoptent également des postures rigides et peu ouvertes au dialogue. Je trouve cela extrêmement triste et j’espérais que les gens puissent de temps en temps prendre le recul nécessaire pour avoir, sinon une position neutre, au moins une oreille attentive aux témoignages des autres… Mais la vie nous rappelle sans cesse que cette intelligence fait défaut à la plupart des gens…

Es-tu déçu qu’on ne parle pas plus de la musique ? Avant tout, « Gaza » est une superbe chanson, novatrice et épique dans le répertoire de Marillion.
S. R. : Heureusement, tout le monde ne rentre pas dans la caricature. « Gaza » est incontestablement devenu un des morceaux phares de Sounds That Can’t Be Made. C’est un titre très puissant. Je crois que les gens hier soir à Paris l’ont bien compris dès le début du concert. « Gaza » aurait pu ne jamais voir le jour car sa première ébauche posait déjà la question du caractère politique. Certains membres du groupe se demandaient si cela était pertinent de l’inclure sur notre album… Mais en définitive, il s’agissait d’un trop bon morceau. Nous ne pouvions pas nous permettre de le laisser dans un tiroir. Et s’il a pu sensibiliser certains fans au conflit, tant mieux. C’est ce que nous pouvons faire de mieux car on ne change pas le monde avec une chanson…

« Gaza » ouvre donc l’album de façon assez surprenante et innovante. À l’autre bout du disque, on trouve une autre chanson, certainement la plus « Marillion » de toutes : « The Sky Above The Rain ». Malgré tout, avec une recette bien connue, vous arrivez encore à exceller. À titre personnel, c’est mon morceau préféré de l’album…
S. R. : Je crois que c’est mon préféré également ! Je trouve tout de même que la première partie est assez inhabituelle pour nous. Les paroles sont merveilleuses et c’était un vrai plaisir que de bosser sur ce titre. Il fallait trouver des manières de broder de manière poignante autour des mélodies.

C’est une démarche qui rappelle également « Neverland ». C’est difficile pour le groupe d’enregistrer la bonne prise pour des titres si chargés en émotions ? Notamment pour les pistes de chant…
S. R. : C’est vrai qu’il y a un côté « Neverland » dans ce morceau. Steve sait exactement quand il a fait une bonne prise. Toutefois, nous trichons aussi comme tous les autres groupes et avons recours à de subtils couper-coller pour créer un patchwork parfait à partir de plusieurs prises.

Au niveau de la guitare, on sent peut-être moins de créativité que sur certains autres albums du groupe. Peux-tu néanmoins évoquer avec nous quelques passages qui t’ont particulièrement marqué ?
S. R. : Sur « Gaza », il y a des choses très intéressantes, même si je me suis surtout appliqué à retranscrire la vision de Mike Hunter, notre producteur, dans la première moitié de la chanson. Il est directement responsable des sonorités un peu grunge des guitares à ce moment-là. C’est toujours intéressant d’avoir quelqu’un qui pousse dans une direction où l’on ne va pas naturellement. Sur le reste du disque, j’ai surtout essayé de rendre le tout intéressant à écouter. J’emploie pas mal d’effets différents mais j’essaie de ne pas en abuser non plus. Il faut être innovant tout en gardant des éléments plus traditionnels pour faire un tout cohérent.

« The Sky Above The Rain » par Marillion en live



Marillion – Sounds That Can’t Be Made
EAR Music
www.marillion.com
Steve Rothery (Marillion) : « Il ne faut pas voir « Gaza » comme un morceau politique »