Vous avez annoncé votre retraite il y a quelques semaines. Comment prend-on une telle décision et pourquoi arrive-t-elle après dix-sept albums plutôt que seize ou vingt-quatre (rires) ?
Matthias Jabs : Nous avons composé et enregistré Sting In The Tail sans même penser à la retraite. En fait l’idée de départ ne vient même pas du groupe mais de notre management et des personnes de notre maison de disques. Quand ils ont écouté pour la première fois l’album ils se sont dits qu’il nous serait sans doute difficile de faire mieux à l’avenir et qu’il serait peut être bon de s’arrêter là. Au départ nous n’étions pas convaincus car il nous est impossible d’imaginer notre vie sans Scorpions. Klaus et Rudolf vont avoir soixante-deux ans cette année et auront donc soixante-cinq à la fin de la tournée. C’est donc vrai qu’ils seront peut être un peu vieux pour encore recommencer… Nous savions que nous avions un bon album avec
Sting In The Tail et un groupe au top de sa forme pour la tournée : autant en profiter et annoncer notre retraite pour que les gens se rappellent de nous comme d’un bon groupe qui se donne à fond. Ca serait terrible d’entendre des gens dire des choses du style « Les Scorpions ? Mmh, oui, ils étaient bons avant mais maintenant ils n’arrivent même plus à bouger sur scène… » Et puis notre carrière a été longue, tout de même (rires).
Quel est l’âge légal de la retraite en Allemagne (rires) ?
Matthias Jabs : Soixante-cinq ans. En tout cas je ne pense pas que nous serons inactifs. Notre vie a été un TGV pendant trente-cinq ans. Ce train n’a marqué aucun arrêt ! Cette « retraire » sera le premier.
Cela fait trente ans que tu fais partie du groupe. J’imagine que des liens forts se sont tissés en particulier avec Klaus et Rudolf. Comment décrirais-tu les relations que tu as nouées avec eux ?
Matthias Jabs : Nous sommes de vrais amis. Si nous ne nous voyons pas pendant plusieurs jours, nous apprécions d’autant plus de nous revoir. Cela est également vrai pour Pawel et James. Je crois qu’un groupe qui veut durer doit être bâti sur des relations amicales fortes. Comme dans toute amitié, il y a des moments où nous nous fâchons mais ce n’est jamais gratuit. Nous cherchons toujours à améliorer les choses. Nous resterons amis même après la fin du groupe.
Sur Sting In The Tail, un des moments forts est le duo que vous avez enregistré avec Tarja Turunen, « The Good Die Young ». Comment est venue cette idée ? Scorpions n’est pas spécialement habitué aux duos…
Matthias Jabs : Nous avons rencontré Tarja il y a trois ans au Brésil lorsqu’elle donnait un de ses derniers concerts avec Nightwish. C’était le groupe qui passait juste avant nous au Live & Louder Festival. Nous ne nous sommes rencontrés que très rapidement. Lorsque nous avons commencé à bosser sur
Sting In The Tail
quelqu’un de la maison de disques est venue avec une idée, comme toujours (rires). Il voulait un duo car il pense au marketing. Mais, comme tu l’as dit, nous ne faisons pas vraiment de duos car le résultat dépend trop de la personne invitée. « The Good Die Young » a été écrit avant que nous ne donnions certaines parties à chanter à Tarja. En ce sens ce n’est pas vraiment un duo mais plutôt un featuring… Nous avons enregistré Taratata hier et nous avons joué ce titre sans Tarja : nous sommes donc tout à fait capable de le jouer comme tout autre titre de Scorpions. De temps en temps nous chanterons ensemble comme dans une semaine pour une grosse émission de télévision autrichienne.
Tarja chante dans son style « opéra » caractéristique. Durant toute l’étendue de votre carrière, vous avez plus ou moins flirté avec les influences classiques et néo-classiques. Que penses-tu finalement du mélange entre le hard rock d’un côté et la musique classique de l’autre ?
Matthias Jabs : C’est marrant que tu dises ça car nous avions bossé sur des mélodies de Chopin, de Brahms et Dvorak pour
Sting In The Tail avant de laisser tomber et de faire un disque de pur hard rock. Sur « The Good Die Young » il reste tout de même une légère mélodie de Brahms il me semble. Je crois que tout cela montre que nous venons d’Allemagne. C’est ancré inconsciemment dans notre culture. Mais nous avons tout de même une grande part d’influences de blues. Mon jeu de guitare est ancré légèrement dans le classique mais surtout dans le blues. Quand j’étais petit, je n’avais pas beaucoup de disques alors j’en piquais souvent à mon père. Il avait l’Opus 64 de Frédéric Auguste Bartholdi que j’écoutais souvent. C’est la seule composition classique dont j’arrivais à me rappeler la mélodie. Je m’entraînais à la reproduire en arpèges à la guitare.
Tu étais un petit Yngwie Malmsteen (rires) !
Matthias Jabs : Exactement (rires). Je le savais déjà ! Mais je ne faisais pas que ça non plus !
Beaucoup de fans de hard rock disent que si les compositeurs de musique classique vivaient aujourd’hui ils joueraient pour beaucoup dans des groupes de heavy metal !
Matthias Jabs : Ce serait en tout cas des rock stars, c’est clair. Je vois mal Wagner et Beethoven ne pas déchaîner les passions avec leur metal ! Je me suis toujours demandé à quoi ressemblait leur musique à leur époque avec les instruments et les techniques de l’époque. Je suis certain que c’est assez différent des enregistrements modernes de leurs œuvres en tout cas.
Revenons à Scorpions. Les vieux se rappellent de toi comme le type qui a remplacé Uli Jon Roth. Rencontres-tu encore des gens qui ne se remettent pas de ce changement de line-up ?
Matthias Jabs : Il y a toujours des gens qui vivent dans le passé. Nous essayons régulièrement de remettre quelques éléments des seventies dans nos shows comme lors de ce Wacken où Uli Jon Roth nous a rejoints avec Herman et Michael. Nous avions également fait un concert comme cela à Strasbourg car je sais que pas mal de fans français sont encore très friands de cette époque du groupe, une époque où tu n’étais pas né, n’est-ce pas (rires) ? Les chansons de cette époque sont ce qu’elles sont mais je pense que tout le monde sera d’accord pour dire que le vrai son du groupe est né lorsque j’ai rejoint Scorpions. Nous avons eu nettement plus de succès et je pense que c’était vraiment mérité.
Blackout
et
Love At First Sting sont les albums de référence pour la plupart de nos fans.
Sting In The Tail est finalement très proche de ces disques et il partage la même vision. Nous ne voulions plus faire d’expérimentations, plus d’influences classiques, plus de formats acoustiques, etc. Nous sommes revenus aux sources et aux morceaux comme « Rock You Like A Hurricane » et « Still Loving You ». Micheal n’a fait qu’un seul disque avec le groupe et Uli n’est resté que quatre ans. Je pense que j’ai davantage apporté qu’eux pendant trente-deux ans.
Comme tout groupe qui a vécu si longtemps que les Scorpions, votre carrière a connu des hauts et des bas. Y a-t-il quelques disques en particulier que tu auras aimé mieux soigner ?
Matthias Jabs : Evidemment. Je crois que le succès mondial de 'Wind Of Change' a provoqué quelques confusions... C'était une chanson de l'album Crazy World qui a été mis sous les feux de la rampe du fait des événements en Allemagne et en Russie à l'époque. D'ailleurs c'est la France qui a aimé ce titre en premier ! Nous avons été assimilés à ce morceau et tout le monde a oublié ce que nous avions fait pendant vingt ans. Du coup sur l'album suivant,
Face The Heat, nous voulions faire l'inverse. Mais l'album n'est pas très bien passé. Les années quatre-vingt-dix étaient difficiles pour tous les groupes des années quatre-vingt. Avec Pure Instinct en 1996 nous avons été trop soft. Mais nous avons touché le fond avec Eye II Eye en 1999. Nous étions un peu perdus dans cette scène changeante pour être honnête. Heureusement, nous avons appris de nos erreurs et nous avons entamé le nouveau millénaire avec vigueur grâce aux lives
Moment Of Glory
et
Acoustica. Ces lives nous « donnaient du temps » car nous n'avions pas besoin d'écrire de nouveaux albums ! A partir de 2004, nous assumions totalement notre identité et nous avons alors fait quelques bons disques.
Scorpions –
Sting In The Tail
Columbia
www.the-scorpions.com